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INTRODUCTION

Dès l'abord, ce titre alléchant semble être une réclame ou une surprise commerciale, et pourtant il tient ce qu'il promet. C'est l'annonce loyale, l'enseigne honnête, dirait un certain chanoine d'Orléans, d'un travail important sur les ouvrages galants ou singuliers écrits par des membres du clergé. Au reste, quelques réflexions préliminaires sur la bibliographie et le rôle du bibliographe prouveront au lecteur que cette description d'écrits clérico-galants ne peut être ni un roman, ni un pamphlet, mais une histoire littéraire vraie et authentique.

La bibliographie est l'art de décrire correctement un livre. C'est, dit l'abbé J. B. Cotton des Houssayes, dans son Discours sur les devoirs et les qualités d'un bibliothécaire, c'est une connaissance exacte et raisonnée des productions de l'esprit, une science qui est comme le principe de toutes les autres, comme leur guide, qui doit les éclairer de son flambeau. Notitia librorum est dimidium studiorum, et maxima eruditionis pars, exactam librorum habere cognitionem.

La bibliographie est une espèce d'état civil de la littérature, et le bibliographe un contrôleur officiel qui inscrit dans les archives littéraires, le nom, le lieu de naissance, la date, le nom du père (l'auteur), celui des témoins (l'imprimeur, le libraire), la profession (le genre), la taille (le format), les signes particuliers, les campagnes, les blessures des livres qui naissent, qui

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Kraus

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meurent, et des quelques-uns qui vivent toujours. Cette science descriptive du livre étant le portrait au vif, la reproduction photographique d'un fait accompli, elle rend, sans colère ou sympathie, sans indulgence ou sévérité, sans atténuation, en un mot, le livre tel qu'il est. Comme toute science exacte, elle est au-dessus des passions humaines. Gardienne impartiale et incorruptible de l'honneur et de la gloire littéraires, la bibliographie constate la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Ne lui demandez pas de la faiblesse ou de l'indulgence pour les faux-nez littéraires qu'on nomme anagrammes, anonymes, pseudonymes, etc., ce serait méconnaitre sa mission et surtout la détruire. Si le devoir du bibliographe est, en effet, de décrire correctement les ouvrages déclarés, enfants légitimes de pères connus, sa tâche aussi doit être de rechercher scrupuleusement les enfants non avoués ou dissimulés de pères inconnus, les livres bâtards. La recherche de la paternité littéraire est permise; on doit clouer, sur les masques typographiques, le vrai nom du père. Si ce fils le gêne, tant pis pour lui, il n'avait qu'à ne pas le faire. Un livre est un acte public, il appartient à la société qui a le droit de lui demander qui il est, d'où il vient, ce qu'il veut.

Ceci doit suffire, même aux Thomas littéraires, pour prouver que cette Bibliographie clérico-galante étant l'enregistrement d'ouvrages galants ou singuliers, écrits sur l'amour et les femmes par des membres du clergé, on ne peut l'accuser de fraude, de surprise et d'exagération. Tout livre cité a été décrit d'après les meilleurs biographes, bibliographes, catalographes et souvent, de visu, d'après l'examen de l'ouvrage. Au reste, il est facile, en remontant aux sources indiquées, de s'assurer de la sincérité des recherches et de contrôler l'existence et le caractère des volumes décrits.

Oui, l'apôtre bibliographe se rend le témoignage d'avoir, dans cette longue étude, vérifié avec le plus grand soin tous les titres, indiqué les diverses éditions, signalé les contrefaçons, dévoilé les pseudonymes, et annoté, autant que possible, le prix des ouvrages, d'après les ventes publiques et les catalogues des libraires. Malgré de longues recherches, ce travail offrira, sans nul doute, des lacunes et des imperfections, mais, tel qu'il est, sa nouveauté et son haut intérêt littéraire lui serviront, je

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l'espère, de passeport près des bibliographes. Si l'on est surpris de trouver dans cette bibliographie des pièces de théâtre et des ouvrages mystiques, dont j'aurais pu et peut-être dû augmenter les citations, qu'on réfléchisse à ceci : de même qu'il n'y a pas de feu sans fumée, il n'y a pas d'ouvrages mystiques et de pièces de théâtre sans amour. S'il y a exception, elle confirme la règle, voilà tout. L'amour le plus dangereux n'est pas cet enfant malin, effronté, et un peu polisson parfois, qni se montre dans les coulisses et joue sur la scène; on le connaît, on sait ce qu'il peut faire, on s'en défie, en un mot il ne frappe que des avertis. Mais l'amour ascète, l'amour ermite, cet autre enfant à l'œil baissé, au costume sévère, au langage divin, qui, au lieu de flèches et de carquois, porte agnus, chapelets, disciplines et reliques, peut-on s'en défier? Quel langage pourtant! Quelles ardeurs!

Mais la fin, dit-on, sanctifie les moyens; or, comme Dieu est la fin de cet amour mystique, qu'importe que les moyens soient très humains? Qu'importe! Le mysticisme, pour nous, n'est qu'un leurre clérical, pour tromper ou amuser la passion humaine aux dépens de Dieu. Vous avez beau comprimer les appétits du cœur, ils s'échappent toujours par quelque coin et de n'importe quelle façon : la religieuse aura toujours un saint préféré, et le religieux une sainte adorée qu'ils accableront de leurs déclarations les plus ardentes, qu'ils brûleront de la passion la plus folle. Le mysticisme n'est qu'une galanterie religieuse déguisée, la manifestation souvent bouffonne et indécente de rêves hystériques surexcités par l'isolement, les privations et les fustigations corporelles.

L'Histoire des flagellants, par l'abbé Boileau, espèce de traité chirurgical sur les disciplines et leurs effets, éclairera sur ce sujet ceux qui auraient des doutes. Si nous pouvions étendre les limites de cet ouvrage, nous prouverions, en comparant le texte des œuvres les plus licencieuses avec celui des mystiques ordinaires, que ce sont les mêmes expressions, les mêmes pensées, la même allure et surtout la même crudité dans la passion; nous dirions aussi qu'il est reconnu que le libertin, épuisé par ses excès, lassatus sed non satiatus, demande à des souffrances physiques, à des fustigations charnelles, un reste de vigueur perdu, et que le moine, que la religieuse, épuisés par les jeûnes

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et les macérations, retrempent, par le fouet et la discipline, leurs rêves lascifs et pantelants... Où est la différence? où est le mieux ou le pis? Je redoute toutes les passions qui parlent la même langue et qui s'excitent par les mêmes moyens.

Bien que cet ouvrage ne traite que d'auteurs ecclésiastiques, hélas! je n'ai pas la conviction qu'il soit agréable à leurs confrères. Si pourtant ce livre les rend plus bienveillants pour les péchés littéraires des autres et leur en fait commettre quelquesuns de moins, tant mieux, mon but sera atteint ce livre sera une bonne action.

Et nunc fiat lux et ad majorem bibliographiæ gloriam!

BIBLIOGRAPHIE CLÉRICO-GALANTE

NÉE D'UN CHANOINE ET D'UN JOURNALISTE

Cuique suum, d'après ces paroles d'antique sagesse et celles de l'Évangile : rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, il serait digne et juste de dédier cette œuvre à Monsignor V. P***, chanoine de l'église d'Orléans et à L. V***, rédacteur-écumoire d'un certain journal, qui modestement se dit: L'Univers, probablement parce qu'on le lit encore dans quelques sacristies, entre une confession et un enterrement. Je dis qu'il serait juste d'accoler ici fraternellement leurs noms, et je le prouve ils ont combattu ensemble, goupillon et plume à la main, le bon combat d'une charitable dénonciation contre un rédacteur de catalogues; or cette pieuse délation a inspiré l'idée, au catalographe, de cette bibliographie, et lui a prouvé la nécessité de sa publication; donc elle est le fruit de cette délation, et la délation étant le fruit du chanoine et du journaliste, donc elle est née d'eux, elle est leur fruit. Placés en dédicace, tout en haut, ils en seraient ainsi, sinon les bienveillants protecteurs, au moins les portiers vigilants. Après tout, tirer le cordon à des abbés galants comme Bretin, Voisenon, Dulaurens, à des chanoines bons vivants comme Grécourt, Beroalde de Verville, à des évêques et cardinaux, joyeux faiseurs d'éroticités, comme Boisgelin de Cucé, Bernis, Piccolomini, etc., n'est-ce pas un métier aussi propre que de travailler si malproprement la

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