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Es la fin de cette même année 1864, le nouveau docteur prenait possession, comme professeur suppléant, de sa chaire à la Faculté des lettres de Lyon. On ne prévoyait encore que de loin les transformations qui devaient faire prendre plus tard un tel développement à l'enseignement supérieur. Il était donné à Lyon par cinq professeurs seulement, y compris le nouveau venu. M. Dareste de la Chavanne, l'auteur de cette belle Histoire de France, si élevée et si consciencieuse, exerçait les fonctions de doyen. La chaire de philosophie était occupée par M. Ferraz, qui, dans sa docte retraite, continue et fixe son

(1) Voir la Revue du Lyonnais de Mars 1895.

enseignement par ses ouvrages. M. Philibert Soupé attirait autour de la chaire de littérature française un nombreux auditoire, par ses leçons intéressantes et sa parole spirituelle et animée. Enfin M. Heinrich répandait sur ses leçons de littérature étrangère ce charme délicat qui était comme le signe distinctif de sa nature si sympathique. Avec quelle joie n'accueillit-il pas à la Faculté son ancien professeur, devenu son collègue après vingt-et-un ans et qui était toujours resté son ami!

Fidèle à un usage introduit à la Faculté de Lyon par M. le doyen Bouillier, M. Hignard, rédigea et publia sa leçon d'ouverture. Il y montre la place importante que les littératures antiques occupent dans cette histoire du genre humain qu'un honnête homme ne doit pas ignorer », dit Bossuet. C'est la littérature, en effet, qui nous fait le mieux << connaître et comprendre les sociétés humaines et pénétrer pour ainsi dire, dans leur génie, dans leur âme. »>

Toutes les littératures de l'Europe civilisée portent l'empreinte des lettres gréco-latines. Elles sont les éducatrices du genre humain. Elles présentent d'ailleurs des œuvres parfaites qu'il faut connaître, comme « nos sculpteurs continuent à étudier les chefs-d'œuvre de la statuaire antique, sans espérer d'en égaler la beauté idéale. » Il ne s'agit pas de pousser l'esprit humain à jeter ses productions nouvelles dans des moules usés. « Lors même qu'il semble conserver le plus fidèlement la forme extérieure d'un genre littéraire, il verse dans l'amphore antique le vin généreux et fumant de l'esprit nouveau. »><

L'esprit scientifique qui caractérise notre temps a renouvelé l'étude de l'antiquité, comme toutes les autres, par l'examen et la comparaison des manuscrits, par l'application à l'histoire de ces recherches littéraires. Non contente de

raconter les événements du passé, l'histoire veut ressusciter les sociétés disparues. La littérature nous les fait comprendre, nous aide à pénétrer dans leur vie. En se mettant au service de cette ardeur historique de notre siècle, l'étude des littératures en a profité et certaines œuvres de l'antiquité classique, lues à la lumière de l'histoire, ont été mieux comprises et ont pris, pour ainsi dire, une physionomie nouvelle.

Cette analyse était nécessaire pour faire comprendre. dans quel esprit élevé et large M. Hignard abordait son enseignement. Il traita parallèlement deux sujets cette année-là. Dans l'un de ses cours, il traça à grands traits le tableau de la littérature grecque, s'arrêtant de préférence aux auteurs du programme de la licence ès lettres. Dans l'autre, il s'occupa de Lucrèce, développant devant son auditoire certaines parties de sa thèse latine, et y ajoutant des détails biographiques qu'elle ne comportait pas et une analyse détaillée du poème de la Nature. Toujours préoccupé de donner à son enseignement un but élevé, il montrait que l'étude de Lucrèce est morale au fond, malgré son matérialisme et sa doctrine désolante. On sent que cette doctrine ne comble pas le vide de son cœur. Ce tourment de l'infini et de l'idéal arrache au trouble secret de sa conscience des accents de protestation éloquente, qui font penser à l'Espoir en Dieu d'Alfred de Musset.

Rattachons à ces études, sans y insister davantage, un intéressant article de M. Hignard sur Lucrèce, dans le Correspondant du 25 juillet 1869.

Il devait aussi faire profiter ses auditeurs de la Faculté de l'étude approfondie qu'il avait faite des poèmes homériques. Ce fut le sujet de son cours en 1865-1866. Il montra dans Homère l'historien des temps héroïques de la

Grèce et de ses mœurs à cette époque reculée, le théologien qui célèbre les dieux et raconte les vieilles légendes religieuses, le poète et ses belles inspirations. Il y revint quelques années après, en 1872-73, et, cette fois, il exposa en détail et discuta la question homérique. J'ai sous les yeux le résumé de ces leçons, rédigé par un auditeur. Il y manque le charme de cette parole animée et ingénieuse; mais toutes les pièces de ce grand procès y sont passées en revue. Les arguments de Wolf sont exposés avec clarté et la réfutation en est intéressante et judicieuse. Toutes ces idées sont du reste condensées et résumées d'une manière brillante dans un article de la Revue du Lyonnais (1866, t. Ier).

Nous n'aurons plus à revenir à ces études homériques, quand nous aurons signalé encore un mémoire intitulé : Du Combat de Diomède contre Mars et Vénus, qui eut, en avril 1867, les honneurs d'une lecture à la Sorbonne. Les mythologues qui veulent voir partout des symboles et des allégories ont cherché, dans cet épisode de l'Iliade, je ne sais quelle thèse singulière de météorologie. M. Hignard y trouve, beaucoup plus simplement, la traduction héroïque par le poète historien d'une tradition qui rappelait le souvenir des guerres de Thèbes et d'Argos.

On a dit que les poèmes d'Homère étaient la Bible des Grecs. Cette parole est plus vraie peut-être de l'œuvre d'Hésiode. Il est donc naturel de rapprocher les deux poètes dans ce compte rendu de l'enseignement de M. Hignard. C'est en 1871-72 qu'il entretint son auditoire du vieil aède béotien. Un petit fait, que je tiens de lui-même, montrera avec quelle conscience il préparait ses leçons. Il avait, avant l'ouverture de son cours, traduit lui-même la Theogonie tout entière, afin d'en approfondir davantage l'étude.

C'était, avons-nous dit, pour les Grecs, le livre sacré où ils cherchaient l'origine des hommes et des choses et les antiques traditions religieuses de leur race. Dans ce poème, qui doit être à peu près contemporain de Salomon, M. Hignard trouve des ressemblances assez frappantes, au milieu de graves différences, avec la Genèse biblique. Il semble que l'on y trouve l'écho d'une vérité ou transmise ou devinée. Il est difficile de ne pas être de son avis, quand on a lu le travail qu'il présenta en 1879 à l'Académie de Lyon, et qui est consigné dans les Mémoires de cette compagnie, sous ce titre : Quelques idées sur la Théogonie d'Hésiode. Des savants qui ne partageaient pas les convictions religieuses de M. Hignard furent frappés de ces rapprochements. Il est impossible d'entrer ici dans le détail; mais je ne résiste pas au désir de citer quelques lignes de la conclusion de cette brochure :

« Qui pourrait méconnaître l'intérêt et l'importance des études mythologiques ainsi comprises? Où l'on ne voyait au premier abord qu'un ramassis de contes ridicules, nous retrouvons de précieux débris de la sagesse antique; l'erreur n'est que l'enveloppe, au fond est la vérité. Sans interprétation subtile, il nous est permis parfois d'y reconnaître, non seulement les plus anciens souvenirs du genre humain, mais encore des vérités que l'esprit de l'homme n'aurait pu deviner, et qui remontent, par conséquent, jusqu'à cet enseignement divin qu'il a reçu à plusieurs reprises. >>

Dans une savante et intéressante étude sur le Mythe d'Io que M. Hignard avait présentée à l'Institut (Académie des Inscriptions), quelques années auparavant, en 1872, il avait été amené à faire une remarque du même genre. Io est à la fois vierge et mère. D'elle et d'elle seule, sans la

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