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Nous pensons donc, malgré l'autorité de M. Marsden, que l'intérêt n'étoit pour rien dans cette coutume bizarre, et qu'elle étoit du moins originairement fondée sur quelque superstition aujourd'hui inconnue,

Nous proposerons une conjecture à ce sujet : les caravanes de voyageurs dont parle ici Marc-Paul n'étoient peut-être que des troupes de gosseins, ou pénitens indiens, et les présens qu'ils laissoient à leurs compagnes tibétaines n'étoient que des amulettes, des talismans, des grains de chapelet. Encore aujourd'hui les femmes hindoues se livrent à des superstitions de ce genre.

Femmes mariées, cédées aux voyageurs.

M. Marsden paroîtroit sans doute mieux fondé en regardant l'intérêt comme le motif de la bizarre hospitalité de quelques Tartares qui cédoient leurs femmes et leurs maisons, pour un court espace de temps, à des étrangers qui påssoient par une ville. Cependant nous inclinons encore y voir quelque mélange de superstition. Que le lecteur en juge. Voici les paroles de Marc Paul:

à

Liv. I, ch. 37. « Les habitans de Kamul (Hamil) vi<< vent dans les plaisirs et les amusemens. Quand un étran«ger arrive chez eux, ils le reçoivent de la manière la

plus gracieuse; ils ordonnent à leurs femmes, filles et << sœurs de prévenir tous leurs vœux; puis ils quittent la << maison et se logent en ville, abandonnant à leurs hôtes

par joyau, bijou ; mais il cite des exemples où ce mot signifie joujou, entre autres Théodoric. Vita S. Elisabeth Ungar. 7. et Glossa Isonis Magistri ad Prudentium. M. Marsden paroît avoir lu pocale au lieu de jocale; mais comment pourroit-on suspendre au cou des bocaux ?

« la jouissance de tous leurs droits; ils leur envoient aussi << tout ce qui leur est nécessaire, mais contre paiement. Ils << ne rentrent dans leurs maisons que lorsque les étrangers < en sont sortis. Cette manière d'abandonner leurs femmes « aux étrangers, qui, après les périls du voyage, ont be«< soin de récréatîon, passe pour être agréable à leurs di« vinités et propre à leur assurer du bonheur dans toutes « leurs entreprises, ainsi qu'à attirer sur leur famille l'a<«<bondance et la richesse. Les femmes qui sont fort jolies «<et très-voluptueuses, obéissent avec joie aux commande« mens de leurs maris. >>

Liv. II, ch. 38. « Les habitans de Kaindou ont la honteuse << coutume de ne pas regarder comme un outrage les liai« sons que les étrangers, en passant chez eux, peuvent <«< avoir avec leurs femmes et filles. Au contraire, tous les << maîtres de maison vont au-devant des étrangers, les con<< duisent chez eux et leur abandonnent toutes les per<< sonnes du sexe dans leur maison, où ils les laissent en◄◄ «tièrement les maîtres et d'où eux-mêmes s'éloignent.. « Aussitôt la femme place au-dessus de la porte un signal, « qui n'est enlevé qu'après le départ de l'étranger; alors «<le mari a le droit de rentrer. Ils font cela en l'honneur « de leurs idoles, croyant, par ces actes d'hospitalité, ob<< tenir les bénédictions du ciel et d'abondantes récoltes « des biens de la terre. »

Il nous paroît très-probable que l'origine de ce genre d'hospitalité a été dû à des superstitions, quoiqu'il soit vraisemblable que dans la suite un intérêt sordide ait contribué à en maintenir l'usage. Il seroit superflu de recueillir les exemples des usages semblables, rapportés dans les relations de voyages qui sont entre les mains de tout lecteur instruit.

L'étendue de cet extrait surpasse déjà les bornes d'une analyse ordinaire; nous sommes donc forcés d'en remettre la suite à la seconde partie de ce volume.

M. B.

Lettres sur l'authenticité des inscriptions de Fourmont, par M. RAOUL-ROCHETTE, membre de l'académie des inscriptions et des belles-lettres, etc., etc.

Ces lettres, adressées à lord Aberdeen, présentent sous la forme épistolaire un mémoire très-important, et qui, par la profondeur des recherches neuves et difficiles, ajoute à la réputation de M. Raoul-Rochette, comme hellénisté, en même temps qu'il nous le fait connoître en qualité d'habile antiquaire, et justifie ainsi le choix que le gouvernement a fait de lui pour conservateur du cabinet des médailles et des antiques. Quélque intéressantès que soient ces lettres, même pour l'Histoire des voyages, nous devons nous borner à donner une idée de leur objet et de leur contenu.

M. Fourmont, membre de l'ancienne académie des inscriptions et belles-lettres, avoit été envoyé en Grèce par le gouvernement françois pour recueillir des inscriptions anciennes. Au bout de trois ans, il revint avec un immense recueil d'inscriptions, dont plusieurs, d'après les noms qui s'y trouvoient et d'après le caractère de l'écriture, paroissoient appartenir à une antiquité très-reculée. Quelques-unes, recueillies à Amycles, dans la Laconie ; semblent même remonter aux temps antérieurs à la guerre de Troye. Des savans, tels qu'un Barthélemy, un Caylus, un Lanzi, se sont occupés de quelques-unes de ces inscriptions, très-difficiles à lire et à expliquer. On craignoit que Fourmont, homme peu versé dans la langue grecque,

n'eût mal copié; on étoit choqué du nombre de termes inconnus et de formes inusitées dont fourmillent les inscriptions qu'il a transcrites, mais on savoit que l'austérité de ses mœurs et la loyauté de son caractère éloignoient de lui tout soupçon de fraude et d'imposture. Son peu de savoir même devenoit une garantie; car comment un aussi foible helléniste eût-il pu composer de fausses inscriptions dans un dialecte aussi peu connu que le laconien ?

Cependant, le scepticisme exagéré du dix-huitième siè– cle, qui partout soupçonnoit l'imposture, atteignit la réputation de Fourmont; et, dans un ouvrage d'ailleurs très savant, dans une analyse critique de l'alphabet grec, un helléniste anglois, M. Payne Knight, entreprit formellement de prouver que le voyageur françois avoit forgé la plupart de ses inscriptions, en réunissant quelques noms et quelques dates pris au hasard dans les ouvrages érudits de Meursius et de Cragius. Il s'appuie sur de prétendues anomalies d'orthographe et d'écriture qui prouveroient le mélange maladroit d'alphabets de siècles divers; il insiste sur des mots et des termes qui n'offrent, selon lui, aucun sens, n'étant que des emprunts faits en aveugle; il s'étend enfin sur l'invraisemblance des dates historiques, attribuées par Fourmont à ses prétendus monumens dont lord Aberdeen et d'autres voyageurs n'ont pu trouver aucune trace sur les lieux mêmes. Tout, dans Fourmont, n'est qu'impudens mensonges et insignes impostures.

M. Raoul-Rochette réfute de la manière la plus savante, mais quelquefois la plus sévère, ces accusations injurieuses. On est presque entraîné par sa brûlante indignation contre M. Knight, auquel il semble renvoyer le reproche de mauvaise foi que cet helléniste avoit fait à notre.compatriote. M. Raoul-Rochette justifie, par le témoignage des auteurs anciens et des critiques modernes, plusieurs faits

et dates qui sont consignés dans les inscriptions dont on avoit attaqué l'authenticité; il repousse, avec les armes de M. Clavier et avec les siennes propres, cet esprit de doute systématique, aux yeux duquel tout ce qui n'est pas mathématiquement prouvé, est comme non avenu; il démontre que l'accord entre les anciennes généalogies et traditions héroïques d'un côté, et les inscriptions de Fourmont de l'autre, ne sont pas le résultat d'une imposture de la part de celui-ci; il explique ces formes du dialecte laconien qui arrêtent M. Knight, et qui assurément étoient trop peu connues pour pouvoir avoir été imaginées par Fourmont; il retrouve dans les médailles et des monumens d'une haute antiquité ces mêmes configurations des lettres qui, selon le critique anglois, trahissoient la nature factice des inscriptions contestées.

Quant à la disparition des monumens observés par Fourmont, l'explication est tout-à-fait une curiosité historique, appartenant de droit aux Annales des voyages; la voici :

Fourmont lui-même, dans une lettre à M. de Maurepas, rend compte de la précaution qu'il avoit prise, en quelques endroits, de briser, de mutiler et d'enfouir des marbres, après avoir copié les caractères qu'il y voyoit tracés; précaution barbare par laquelle il croyoit assurer à sa patrie la gloire exclusive de ses découvertes, et qui, contre son attente, a au contraire donné naissance aux suppositions les plus défavorables. Le voyageur anglois Stuart, qui suivit Fourmont à peu de distance, atteste ce même fait dont la mémoire est encore conservée dans la Laconie, Car, lorsque le savant M. Dodwell, de qui on attend avec impatience la relation, s'occupoit récemment à la recherche des inscriptions parmi les ruines de Sparte; le Grec qui les lui montroit, après les avoir déterrées, les recouvrit aussitôt, afin, disoit-il, de préserver ces marbres de

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