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des difficultés qui fermoient l'entrée de la Nubie, et plusieurs Européens y ont voyagé. Le journal du capitaine Light, écrit avec un ton de vérité qui doit plaire, est un morceau précieux, par les observations qu'il contient sur les antiquités, la langue et les mœurs de ce pays, et nous nous empressons de le communiquer aux lecteurs des Annales. Nous ferons successivement connoître d'autres relations du même genre qui sont du plus vif intérêt. En effet, comme l'observe M. Et. Quatremère, la topographie et l'histoire de la Nubie sont encore aujourd'hui presque entièrement inconnues. A peine deux voyageurs, Poncet et Bruce, ont-ils traversé rapidement son territoire (1).

La contrée visitée par M. Light est la Nubie turque. Il est allé un peu plus loin que Norden, qui ne pouvoit se hasarder à pénétrer dans l'intérieur, même à une petite distance. Beaucoup de ruines, vues par M. Light, annoncent que le christianisme étoit jadis florissant dans ce pays; sa destruction et la conquête de la Nubie par les Turcs ont été suivies, comme partout ailleurs, de la dépopulation et de la barbarie. Quel contraste entre l'ancien état de la Nubie, annoncé par tant de beaux édifices, et l'anarchie à laquelle cette contrée est aujourd'hui en proie!

(1) Tom. II, p. 1.

Parti de Boulac en bateau, j'arrivai à Syène, ou Assouan, le 7 mai 1814. La navigation est interrompue en ce lieu par les rochers dont le Nil est rempli. Son lit est si bas et tellement partagé, qu'il n'est ni assez profond ni assez large pour que les bateaux y puissent passer. Je quittai donc le mien pour aller par terre à un village vis-à-vis

de Philae.

Le 10.-Je quittai Assouan, suivi d'un domestique anglois et d'un arabe. J'avois deux ânes pour servir de monture, et trois pour porter le bagage. Osman, fils du scheyk d'Assouan, m'accompagnoit comme guide et comme garde. Je traversai les ruines de la ville arabe sur les hauteurs au-dessus d'Assouan. Le désert est interrompu de chaque côté par des masses énormes de granite, la plupart couvertes d'hieroglyphes. En deux heures, j'arrivai sur le bord du Nil visà-vis de Philae.

Ce lieu, appelé par les habitans du pays Selouadjoud et par Norden El-Heist, est digne de sa renommée par les temples et les autres monumens antiques que l'on y trouve. J'y restai jusqu'au 11. Je vis, ce jour-là, pour la première fois, les ravages causés par les sauterelles. Une troupe innombrable de ces insectes obscurcissoit l'air (1). Quelques heures après leur arrivée, les (1) « Elles obscurcissaient le soleil » dit le prophète Joel, ch. 11, v. 10, en parlant d'une nuée de sauterelles. TOM. II.

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palmiers étoient dépouillés de leur feuillage, et la terre de ses herbes. Hommes, femmes, enfans, s'épuisoient en vains efforts pour empêcher les sauterelles de s'arrêter, répétant sans cesse le mot de gherad, qui est le nom de cet insecte en arabe et en nubien, jetant du sable dans l'air, frappant la terre de leurs bâtons, et le soir allumant des feux. Il me sembla pourtant qu'ils supportoient la perte de leurs moissons sans murmurer, et bénissant Dieu de ce qu'ils n'avoient pas la peste, qui, à ce qu'ils me dirent, régnoit toujours au Caire quand les sauterelles se montroient; c'étoit exactement vrai dans cette oc

currence.

Je louai, des habitans de la rive orientale visà-vis Philae, un bateau plus petit que celui que j'avois laissé à Assouan; il étoit néanmoins assez grand pour que je pusse y placer mon lit en travers à l'arrière; une natte, étalée sur des branches de palmier courbées, formoit un abri contre le soleil. L'équipage étoit composé de quatre hommes.

Le 12.-Je vis des crocodiles à Ser-Ali, sur la

Dans plusieurs parties de la Turquie, le Turdus roseus (Merle rose, ou Samarmar), par un bienfait de la Providence, paroît en même temps que les sauterelles, et en détruit un grand nombre. Lorsque le grain est trop avancé, elles se jettent sur les cotonniers, les mûriers, les figuiers, et dévorent leurs feuilles.

rive orientale. A moitié chemin, entre Philae et ce lieu, il y à dans le village de Debou (1) les ruines d'un temple. On aperçoit près de là, dans les champs cultivés, beaucoup de moutons et de vaches. Le camsin, ou vent pestilentiel, nous empêcha de partir le 13; il souffla, annoncé par une nuée sombre; le soleil devint pâle, comme vu à travers un verre décoloré.

Je débarquai le 14 à Gartaas (Hindau de Norden) (2) sur la rive occidentale, qui, dans une longueur de deux milles, offre par intervalles de nombreuses ruines. La première, et la plus méridionale, est un grand édifice carré, de cent cinquante-trois pas; sa plus grande hauteur est de seize pieds; l'épaisseur des murs, de dix. II y a des portes aux faces du sud et du nord; celle-là est presque au centre; elle est surmontée d'une corniche au-dessus de laquelle on aperçoit un globe ailé et une figure symbolique. En marchant au nord au milieu de blocs de grès, on trouve un passage étroit ouvert par en haut, creusé par l'art; de chaque côté on voit par intervalles des hiéroglyphes grossièrement sculptés, et le dessin d'un temple monolithique. Ce passage mène à une partie du rocher dans lequel on a

(1) Deboud (Norden ).

· (2) Norden ne décrit pas Hindau, mais il donne le dessin de ses antiquités, Tom. III, Pl. CXLVIF, fig. 1.

pratiqué un enfancement; des figures d'hommes de demi-grandeur y sont sculptées en ronde bosse, les têtes sont mutilées. Leurs épaules et leurs bras sont couverts de draperies, elles semblent tenir dans leurs mains la baguette et le fouet de la mythologie égyptienne; la première est le symbole du pouvoir; le second est quelquefois donné à Osiris.

Au-dessus et au-dessous de ces figures, de nombreuses inscriptions grecques sont sculptées sur des tables de pierre, et tout-à-fait au-dessous on voit des hiéroglyphes grossièrement formés. A peu de distance au nord, se trouvent les ruines d'un petit temple, consistant en six colonnes d'un beau fini, et garnies de leurs chapiteaux. Les deux qui font face au nord, sont engagées dans le mur qui forme l'entrée ; leurs chapiteaux sont des têtes d'Isis, soutenant une plinthe sur laquelle sont sculptés des temples monolithiques. Les quatre autres sont engagées dans les murs d'orient et d'occident, jusqu'à la moitié de leur hauteur; leurs chapiteaux varient, mais ceux des deux colonnes opposées sont les mêmes. Ceux de l'angle du sud ont une grappe de raisin et un épi de blé sculptés au-dessous des volutes. Le diamètre des fûts est à peu près de trois pieds; ces colonnes sont séparées par un espace de dix pieds. La face du nord a trente pieds de long, celles de l'est et de l'ouest trente-six; vers la base

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