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nications sont chaque jour maintenues entre le logement et
la grange, l'étable, le bûcher; un sentier mène à l'école, à
la maison commune, à l'église, au cimetière; car, au milieu
du sommeil de la terre, l'activité humaine, les soucis de ce
monde, les pensées et les soins religieux vivent toujours.
On s'arrange, il est vrai, pour avoir tout ce qu'on peut
sous la main; la prévoyance du père de famille a placé la
provision de bois à portée de la ménagère; on a fait, dès
l'arrière-saison, toutes les emplettes nécessaires jusqu'au prin-
temps; car on ne sait pas s'il sera possible de retourner à la
ville avant les beaux jours. Chaque maison, comme une arche
perdue, doit être fournic de quelques secours contre les
accidents imprévus. Demandez à la prudente villageoise
d'ouvrir ses armoires et ses bahuts: vous y yerrez, avec ces
précieuses denrées coloniales, dont les montagnards suisses
font une grande consommation, avec le pain qui, dans cer-
taines localités, se fabrique pour toute la saison, et même
pour l'année entière, une petite pharmacie soigneusement
étiquetée, et qu'une vieille expérience saura mettre en usage
assez à propos. Au reste, il y a toujours dans le village quel-
que maison qui est mieux fournie que les autres sous ce
rapport: c'est le plus souvent le presbytère, et l'on court,
au besoin, chercher les remèdes du corps sous le même toit
qui tient en réserve, et dispense non moins libéralement, les
remèdes de l'âme. Plus ces petites communautés sont sépa-
rées du reste des hommes, plus le besoin de secours mutuels
s'y fait sentir, et plus les dispositions charitables s'éveillent
tous les pauvres sont nourris et soignés, ou plutôt il n'y a
point de pauvres dans ces retraites sauvages, où personne n'a
le superflu.

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| les Alpes, si nous passions sous silence les admirables effets que la lumière y produit quelquefois. Quand une soirée sereine empourpre les montagnes, le spectacle est encore plus magnifique et plus étonnant que dans les plus beaux jours d'été. Le rose vif et tous les tons les plus chauds prennent la place du blanc mat et lugubre; les lacs s'illuminent de ces teintes enflammées; on dirait un vaste incendie, jusque dans les entrailles de la terre; les forêts, les rochers éblouissent la vue, et ce qu'il y a de vapeurs au ciel se colore avec une vigueur étonnante. Puis l'ombre monte peu à peu des vallées, et fait succéder, en quelques instants, à cette scène de vie la froide image de la mort.

L'imagination de ces peuplades méditatives est frappée par ces contrastes sublimes; enfants et vicillards se figuraient autrefois des génies présidant à ces grandes métamorphoses, et régnant là-haut sur les avalanches, les tourbillons et les tempêtes. Il n'y a pas si longtemps que les dragons merveilleux ont cessé d'habiter les cavernes, et que le géant de la montagne ne fait plus entendre sa voix. Au reste, si les croyances vaines se dissipent avec le progrès des lumières, la foi chrétienne y gagne d'autant; les esprits ne se dégagent pas de la superstition pour s'égarer dans le doute, mais pour s'attacher à la divine et salutaire vérité.

Le voyageur, sagement curieux, qui voudrait observer luimême tout ce que nous pouvons à peine indiquer ici, trouverait sur les Alpes plusieurs des phénomènes qu'on suppose réservés aux contrées polaires. Le savant qui se résout à passer un hiver dans ces hautes régions y peut faire un grand nombre d'observations précieuses; un artiste n'y est pas désoccupé; mais un moraliste surtout, qui verrait de près la vie pastorale au temps où les bergers sont emprisonnés dans leurs villages, ferait une moisson au milieu des frimas. C'est où les hommes souffrent davantage que leur histoire est plus intéressante, On ferait des volumes avec la chronique des Alpes, et l'on y trouverait, Dieu merci, bien des pages honorables pour l'humanité.

Le village, presque toujours inerte et silencieux, a pourtant ses heures de réveil et ses moments de vie. La cloche appelle la petite paroisse à l'office divin, ou les enfants à l'école; le moment où ils en sortent est toujours bruyant; on ne rentre guère chez soi sans avoir échangé quelques boules de neige, ou glissé, en sabots, sur la glace des fon- | taines et des étangs; on construit le bonhomme, que nos Cette mère si tranquille au bord du précipice, avec ses lecteurs n'ont peut-être pas oublié (1850, p. 17); on roule deux enfants, ce rigoureux hiver, cette neige épaisse qui fait des masses de neige à grand renfort d'épaules. C'est aussi le courber les branches des sapins, nous rappellent une de ces moment où les luges (petits traîneaux) glissent d'elles-histoires des montagnes. La voici telle qu'elle nous a été ramêmes sur les pentes avec leurs guides aventureux, qu'elles versent bien souvent en chemin, aux grands éclats de rire de ceux qui remontent, en traînant leur véhicule, pour aller courir de nouveau les mêmes hasards, et provoquer peutêtre la même hilarité,

Si les fontaines sortent d'une assez grande profondeur pour échapper à la gelée, on amène le bétail à l'abreuvoir, et c'est, deux fois par jour, un moment de presse et de tumulte; mais, le plus souvent, on porte dans l'étable l'eau nécessaire au bétail. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'on n'ait à lui donner que de la neige fondue. L'extrême froid et l'extrême chaleur tarissent également les fontaines,

Dans les profondes vallées, le jour est borné à la mesure d'un étroit horizon. Tel village ne voit pas le soleil pendant plusieurs mois de l'hiver. C'est un beau moment que celui où l'on aperçoit de nouveau l'astre vivifiant poindre sur la crète de la montagne. Il ne laisse d'abord paraître que le hord supérieur de son disque; peu à peu il s'élève, il se dégage; on le voit cheminer dans le ciel.

On comprend d'ailleurs quelle énorme différence il doit exister entre la température des pentes méridionales, où le soleil darde en plein ses rayons, et de celles qui, tournées au nord, ne les recoivent jamais. Celles-ci, à une médiocre élévation, sont, à vrai dire, le séjour d'un éternel hiver. Entre ces points extrêmes, il y a des degrés sans nombre, et ces variétés d'aspect, déterminant une fonte plus ou moins rapide, plus ou moins lente des neiges, sont un grand bienfait de la nature, qui ménage par là ses ressources, et prévient ou diminue les inondations.

contée,

Le père était descendu à la ville avec ses deux garçons, l'un de quinze ans, l'autre beaucoup plus jeune. On était au mois de novembre. Obligé de terminer quelques affaires pressantes avant de regagner son village, le père avait fait prendre les devants à ses fils. Ils furent surpris en chemin par une tempête. La neige tombait en abondance, leur fonettait le visage et les aveuglait. Ils avaient peine à suivre la route. Le petit garçon, tremblant de frayeur et de froid, perdit courage; l'aîné l'exhortait de son mieux et le traînait de toutes ses forces. Enfin, consultant plus son zèle que sa vigueur, il le prit sur ses épaules, et, sous le fardeau, il avança encore quelque peu.

S'il avait été moins près du village, il aurait rebroussé du côté de la ville; mais il n'était plus qu'à demi-lieue de la maison: il crut mieux faire d'avancer toujours, jusqu'à ce que, n'en pouvant plus, il se laissa tomber avec son frère, et, désespéré de ne pouvoir le sauver, voulut s'ensevelir avec lui.

Le petit lui dit bravement : « Que fais-tu, Nicolas? Va plutôt chercher du secours au village; tu te sauveras pentètre, et moi aussi. » Alors l'aîné, ayant aperçu à côté du chemin une espèce de trou dans le rocher, y porta son frère, et, pour signaler l'endroit, il dressa tout à côté, dans la neige, un plant de cerisier que son père l'avait chargé d'emporter, ayant l'intention de l'élever en espalier contre sa maison. Après quoi, Nicolas se mit à courir vers le village.

Le père, alarmé par le mauvais temps, n'avait pas tardé à se mettre en chemin. Il suivait ses enfants à la distance

On n'aurait pas une idée complète et fidèle de l'hiver dans d'une lieue, toujours plus inquiet à mesure qu'il avançait. Il

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jug ait, à la difficulté de sa marche, combien ses enfants devaient souffrir; il regardait de côté et d'autre, tout en cheminant, craignant de les laisser en arrière sous quelque roche ou quelque sapin, où ils auraient cherché peut-être un abri.

Arrivé à l'endroit où le plus jeune était blotti dans son trou, et déjà tout couvert de neige, il voit par hasard le cerisier, et le saisit avec joie, en se disant : « C'est bien; ils sont plus loin; ils ont voulu m'en avertir, ou bien ils ont jeté cela pour marcher plus aisément. » Il s'en allait donc, l'arbre sur l'épaule, après avoir ôlé à son enfant la seule chance de salut qui lui restát. Tout à coup, avec cet instinct rapide qui ne manque jamais aux pères, il s'arrête et se dit : « Non! c'est un signal de détresse; ils sont là !» Sur cette idée, il revient en arrière... Le voilà sur la place; il appelle de toutes ses forces, il piétine partout: point de réponse. Le pauvre enfant avait déjà perdu connaissance.

Enfin, en tâtonnant avec le bout de sa canne, il croit sentir un corps mou et peu résistant; il écarte la neige, et trouve le pauvre petit délaissé. Le malheureux père, croyant n'avoir découvert que la moitié de ce qu'il a perdu, poursuit assez longtemps ses recherches, en pressant son fils dans ses bras, afin de le ranimer. Il essaye inutilement de l'interroger: l'enfant était sans aucun sentiment.

Alors, plein de trouble et d'angoisse, il se décida à quitter la place, craignant, s'il tardait encore, de ne pouvoir sauver même celui qu'il avait retrouvé. Il n'était pas à moitié che min, lorsqu'il rencontra l'aîné, qui revenait, porté sur les bras de quelques voisins. Tout s'expliqua de part et d'autre; et de cette scène vraiment pathétique il ne resta qu'un souvenir sans amertume, le petit garçon ayant repris connaissance et s'étant parfaitement rétabli.

Je veux qu'on m'enterre sous la gouttière de l'école, et qu'on n'inscrive que mon nom sur la pierre qui me recouvrira. Lorsque les gouttes qui tombent du ciel l'auront creusée à moitié, on se montrera plus juste envers ma mémoire qu'on ne l'a été pendant ma vie.

Dernières paroles de PESTALOZZI (1).

VITRUVE.

ment de ce règne. On avait prétendu mal à propos qu'il était contemporain de Titus. C'est encore à son livre que nous devons les seules lumières que nous ayons à ce sujet. Dans sa préface, Vitruve dit qu'il avait été recommandé à l'empereur par sa sœur; or Titus n'avait pas de sœur, puisque, au témoignage de Suétone, Vespasien survécut à sa fillé unique. D'un autre côté Vitruve ne fait aucune mention des beaux monuments dont Rome ne fut embelli que depuis Auguste. Ainsi il ne parle que d'un seul théâtre en pierre, et il le désigne d'une manière telle qu'on ne peut douter que ce ne fût celui de Pompée; car il nomme Pompeiani les portiques qui étaient vraisemblablement placés derrière ce théâtre. On a observé encore qu'il parle d'Accius et d'Ennius, nés l'un 239, l'autre 171 ans avant l'ère chrétienne, comme de personnages morts depuis longtemps, tandis qu'il paraît avoir connu Cicéron et Lucrèce, nés en 107 et en 54 avant notre ère. Il écrivit son ouvrage étant déjà dans un âge avancé, et il le présenta à l'empereur quelque temps après que celui-ci eut pris le surnom d'Auguste, ce qui arriva l'an 27 avant notre ère. Il nous apprend, dans la préface de son sixième livre, qu'il avait reçu de ses parents une excellente éducation et que sa jeunesse avait été consacrée à de fortes études. Dans la préface de son second livre, il dit de luimême : « La nature ne m'a pas départi une stature élevée, l'âge a déformé mes traits, la maladie a détruit mes forces.»

Tels sont, à peu de chose près, les seuls détails que nous possédions sur la vie et la personne de Vitruve. Quant à son ouvrage, quoiqu'il soit bien connu, nous en donnerons ici l'esquisse faite en partie par l'auteur lui-même dans certains passages placés ordinairement au préambule de chacun des dix livres.

« La plupart de ceux qui ont écrit de l'architecture, dit-il dans la préface du livre quatrième, n'ont fait que des amas confus et sans ordre de quelques préceptes dont ils ont composé leurs ouvrages. Pour moi j'ai cru que l'on pouvait faire quelque chose de meilleur et de plus utile, en réduisant comme en un corps parfait et accompli toute cette science, et rangeant dans chaque livre chaque genre des choses qui lui appartiennent. C'est pourquoi j'ai expliqué dans le premier quel est le devoir de l'architecte, et quelles sont les choses qu'il doit savoir. Dans le second j'ai examiné les matériaux dont on construit les édifices. Au troisième j'ai cnseigné quelle doit être la disposition des temples, la diversité des ordres d'architecture, leur nombre et leurs espèces, quelles doivent être les distributions des parties dans chaque ordre, et principalement dans ceux qui sont plus délicats à cause de la proportion de leurs modules. Mais je me suis particulièrement étendu sur les propriétés de l'ordre ionique. Présentement, je vais expliquer en ce livre les règles de l'ordre ionique et du corinthien avec toutes leurs particularités et différences. » (Préface du livre IV.)

Voilà donc le contenu des quatre premiers livres nettement indiqué; voici pour le cinquième :

« Ayant traité des temples dans le troisième et quatrième livre, j'explique dans celui-ci quelle doit être la disposition des édifices publics, et en premier lieu de quelle manière la

Marcus Vitruvius Pollio, si connu des architectes et des antiquaires, est un de ces hommes qui, malgré un incontestable mérite, malgré des œuvres importantes, seraient morts tout entiers s'ils n'avaient consigné dans un livre les préceptes de l'art qu'ils pratiquaient. Que Vitruve soit allé à Plaisance pour y établir des horloges, ou pour y travailler aux fortifications, c'est chose fort douteuse, et dont on n'aurait même jamais parlé sans certain passage de son traité; qu'il ait élevé à Fano une basilique, remarquable par ses dimensions et par les innovations qu'il introduisit dans la construction, nous n'en saurions rien aujourd'hui, sans la description qu'il en donne lui-même, et qui a seule survécu aux injures du temps. On n'a que des conjectures plausi-place publique doit être faite, afin que les magistrats y puisbles il est vrai, mais enfin aucune certitude sur le lieu de sa naissance. L'opinion la plus probable est en faveur de Formies, ville de la Campanie, aujourd'hui Mola di Gaeta. ¡On a trouvé à diverses époques, dans les ruines de cette cité antique, des inscriptions sépulcrales où il est question de la famille Vitruvia, et qui, désignant divers personnages morts dans le pays, ne peuvent être applicables à des édifices construits par un architecte de ce nom.

Quant à l'époque où il vécut, il ne peut y avoir aucun doute que ce fut sous le règne d'Auguste et au commence

sent traiter commodément des affaires publiques et des particulières. » (Préface du liv. V.)

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Le livre VI est précédé d'une longue préface à la fin de laquelle Vitruve nous dit en une ligne qu'il va expliquer quelles doivent être les proportions des maisons particulières. » Il en est de même du livre VII; une seule ligne placée à la fin d'une préface étendue nous avertit qu'il « va traiter des diverses façons d'enduits par le moyen desquels les édifices sont embellis et affermis tout ensemble. » Les moyens de trouver de l'eau, les propriétés des eaux de di verse nature, la conduite des eaux et le nivellement, occu

(1) Voy. 1834, p. 59, la Biographie et le portrait de Pes- pent le livre VIII, qui constitue ainsi un véritable traité d'hytaluzzi,

draulique pratique. Le livre IX est un mélange assez con

Fano; il fut aussi appelé à construire des machines de guerre, de concert avec M. Aurelius, Publius Numidius et Lucius Cornelius. Il recevait de Jules César, sous lequel il avait servi en qualité d'ingénieur militaire, des gratifications qui lui furent continuées par Auguste, à la recommandation d'Octavie. Néanmoins il se plaint, en plus d'un passage de son livre, du peu de justice que ses contemporains rendaient à son mérite. Les plaintes de ce genre sont assurément bien fréquentes; mais on peut en croire Vitruve, qui fait ailleurs preuve de modestie, en reconnaissant qu'on ne doit le considérer ni comme philosophe, ni comme rhétoricien, ni comme grammairien, et se contenter de voir en lui un architecte versé, pour l'usage de son art, dans ces diverses sciences. (Chapitre Ier du liv. I.)

fus de procédés pratiques fondés sur des formules scien- | ture civile, proprement dite. Il avait édifié la basilique de tifiques. « Je me suis proposé, dit l'auteur, de rapporter quelques exemples des choses très-utiles pour la vie et pour la société des hommes, que les auteurs de l'antiquité out trouvées et laissées par écrit, et que l'on avouera être dignes de grands honneurs et mériter beaucoup de reconnaissance.» Le rapport de la diagonale au côté du carré, le carré de l'hypothénuse, la solution du problème de la couronne d'Hiéron par Archimède, la gnomonique, la construction des horloges à cau, occupent ce livre. Le dixième et dernier traite des machines, en distinguant d'abord celles qui servent dans la construction des édifices, puis les machines à élever les eaux, les machines hydrauliques qui font jouer des orgues, les odomètres, et enfin les machines de guerre, catapultes, scorpions, balistes, béliers, corbeaux, tortues; et il termine tout l'ouvrage en ces termes : « Voilà ce que j'avais à dire, dans ce livre, de toutes les machines qui peuvent être nécessaires tant en paix qu'en guerre, après avoir parlé dans les neuf autres livres précédents des choses qui appartiennent en particulier à mon sujet; de manière que j'ai compris en dix livres tous les membres qui composent le corps entier de l'architecture. »>

Ce plan ne manque ni de régularité ni de grandeur dans son ensemble; mais il y a dans l'exécution une certaine confusion, un certain désordre dans les détails. Toute compensation faite, la lecture de Vitruve présente un vif intérêt aux artistes et à toutes les personnes qui s'occupent de l'histoire des procédés des arts. Malheureusement les figures qu'il avait jointes à son texte sont perdues; elles ont été restituées avec un rare bonheur par certains commentateurs, et entre autres par Claude Perrault, dont l'œuvre fait autorité. Sans doute les historiettes dont le livre est persemé ne résistent pas toutes à un examen approfondi. Mais en ne considérant celle qui concerne l'invention du chapiteau corinthien et quelques autres du même genre que comme de gracieuses fictions, on trouve encore dans le livre assez d'indications précieuses sur une foule d'origines, pour ne pas trop regretter que l'auteur n'ait pas été un critique plus habile et un philosophe plus profond.

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La postérité a été plus bienveillante, et, nous le pensons, plus juste. Malgré les imperfections du plan, malgré la sécheresse d'un style didactique souvent fort obscur, elle a recueilli l'œuvre de Vitruve, en a multiplié les éditions, en a fait le fondement des études de tous ceux qui s'occupent de l'art; elle l'a commentée, développée, et se l'est assimilée, pour ainsi dire. Le premier exemplaire de Vitruve fut découvert dans la bibliothèque du Mont-Cassin. La première édition est de Florence, 1496, in-fol., sans commentaire et sans figures. La seconde est de Venise, 1497, n'ayant pas non plus de commentaire ni de figures. La troisième de Venise, avec figures et commentaires par Joconde, 1511, in-fol., et dédiée au pape Jules II; réimprimée à Florence, 1513, in-fol., et 1522, in-8. La première traduction française est due à Jean Martin, secrétaire du cardinal Lenoncourt, aidé de notre célèbre Jean Goujon (v. p. 82), et parut à Paris, en 1547. L'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, donnèrent aussi, dans le seizième siècle, de nombreuses traductions de Vitruve, commentées, et enrichies de figures pour la plupart. Nous n'avons pas à en parler en détail, et nous nous bornerons à citer celles qui sont généralement estimées aujourd'hui. La traduction française, donnée par le célèbre auteur de la colonnade du Louvre, en 1678 d'abord, et surtout, après une révision, en 1684, est, grâce aux commentaires savants et étendus qui l'enrichissent, grâce aux magnifiques figures dont elle est ornée, une œuvre pour ainsi dire originale. Le Vitruve-Perrault est encore maintenant un livre classique pour nos jeunes artistes. Un des plus beaux monuments typographiques de l'Espagne est une traduction de Vitruve, sortie en 1787 de l'imprimerie royale à Madrid. L'artiste anglais Guillaume Newton a donné, dans sa langue, un commentaire curieux sur Vitruve, suivi d'une description des machines de guerre employées par les anciens, et de plus le texte; Londres, 1771-1791, 2 vol. in-8. On estime beaucoup en Italie, la traduction du marquis Galiani, avec commentaire, Naples, 1758, in-fol. Mais le plus beau monument qui ait été élevé à la gloire de notre auteur est, sans contredit, l'édition en 8 volumes grand in-4, publiée à Udine, de 1825 à 1830, avec 320 planches. Le texte de cette édition a été collationné avec celui des éditions de Rode et de Schneider, publiées en Allemagne peu de temps auparavant. Les commentaires, les dissertations, les appendices dont elle est enrichie, sont le fruit des recherches de Simon Stratico, né à Zara, et de Poleni, qui, depuis le premier tiers du dix-huitième siècle, y ont travaillé trente-cinq ans chacun. Ces commentaires, écrits en un latin élégant, sont d'une lecture facile. L'exécution typographique, avec les plus beaux caractères de Bodoni, est irréprochable. C'est à cette belle publication que nous empruntons le portrait de Vitruve.

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BUREAUX D'ABONNEMENT ET DE VENTE, rue Jacob, 30, près de la rue des Petits-Augustins.

Imprimerie de L. MARTINET, rue et hotel Mignon.

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Tout renaît, tout rit, tout s'agite: voici la saison à laquelle nos aïeux avaient donné le joli nom de renouveau; les arbres se couvrent de feuilles, les promenades recommencent aux lisières des taillis ou le long des blés; les enfants courent à travers les hautes herbes; c'est le printemps !

Voyez ici la jeune fille qui vient de découvrir un nid; elle a pris sur son doigt l'oiseau naissant qui crie et enfle ses ailes; elle l'approche de son visage comme si elle voulait comprendre ses cris.

TUME XIX.- AVRIL 1851.

-Ce qu'il te demande, enfant, c'est ce que tu possèdes sans en sentir peut-être assez tout le prix : une mère qui veille à ses besoins, la liberté de voltiger sur les buissons comme toi dans la prairie! Crois-moi, reporte sans regret ce nid sous le feuillage; n'ôte pas au printemps une de ses grâces, n'enlève pas quelques voix au chœur de triomphe qui annonce le retour du soleil, laisse à tous la musique de la campagne et ne l'emprisonne point en cage pour toi seule. Mais quoi! c'est l'instinct de notre race! Voir et entendre

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sourd, de leur bourdonnement. La rose secoue le pan de sa robe, et jonche le jardin des feuilles vermeilles de ses fleurs. Ainsi, dans le jardin du monde, sont disséminées les roses de l'espérance, que les hommes cueillent à l'envi. Chacun est content et heureux; on ne parle que de plaisirs et de divertissements. La nappe des banquets est partout déployée.

ne nous suffit pas; nous voulons acquérir, faire de toute | Les abeilles qui voltigent font retentir le jardin du bruit chose une part de nous-mêmes. La création est une corbeille que nous mettons au pillage comme les enfants, et où nous prenons toute chose pour prendre, non pour nous en servir. Si la jeune fille retient ici l'oiseau captif, plus loin sa sœur poursuit le papillon, et, à quelques pas, d'autres enfants fourragent les fleurs nouvelles et les emportent en faisceaux! Jouissez donc à votre manière, o descendance d'Adam! Passez joyeusement à travers cette nature épanouie, et ne vous inquiétez pas si ce soir, en suivant les sentiers de la prairie, le rêveur solitaire s'attriste de ne trouver, pour marque de votre passage, qu'un nid brisé, des herbes foulées et des buissons défleuris!

DE LA SINCÉRITÉ DANS LE Commerce.

QUESTIONS.

Un honnête marchand est venu d'Alexandrie à Rhodes C'est le même artiste qui, après nous avoir montré naavec une grosse cargaison de blé. Il y a disette à Rhodes, et guère les plaisirs de l'hiver, nous montre aujourd'hui ceux le blé s'y vend très-cher; mais ce même marchand a vu, du printemps. Autrefois, dans cette même publication, dans le port d'Alexandrie, plusieurs vaisseaux prêts à mettre Granville nous peignait les saisons sous leurs aspects péni-à la voile pour Rhodes, et en a rencontré dans son trajet une bles, grotesques ou austères. Chaque esprit révèle ainsi son foule d'autres qui en venaient aussi. Doit-il dire aux Khodiens penchant et regarde vers le côté qui lui plaît. Le monde a ce qu'il a vu, ou bien se taire absolument pour mieux vendre autant de physionomies que nous avons en nous-mêmes de son blé? goûts et de sentiments. L'un n'y cherche que la gaieté ou la grâce, l'autre n'y rencontre que la mélancolic ou le devoir; pour celui-ci, le plus beau jour a des nuées; pour celui-là,, tous les horizons rayonuent! C'est par cette variété même que se complète le genre humain. Celui qui brode la robe de la muse n'a jamais trop de nuances, et doit y employer, tour à tour, l'aiguille d'acier et l'aiguille d'or!

POÉSIE INDIENNE SUR LE PRINTEMPS, Fragment du BARA-MAÇA de Jawan (voy, p. 2).

Je donne au cœur la nouvelle de la venue du printemps. Chacun en ressent de la joie; chacun répète cette nouvelle avec plaisir, Le printemps arrive en souriant dans le monde. La rose à cent feuilles s'épanouit partout; la beauté du bouton et de la rose fait l'admication du monde et lui donne le contentement. Assis au milieu des roses, tous se revêtent d'un vètement printanier; ils errent çà et là dans l'ivresse du plaisir et sans crainte. Comment pourrais-je décrire la magie des jardins? Des fleurs de mille espèces s'y épanouissent, au point que Rizwan (1) en les voyant oublie

rait le Paradis. Ces fleurs de couleurs différentes brillent au sein des feuilles vertes comme des pierres précieuses, au point que si un joaillier les voyait il resterait stupéfait, L'abeille noire voltige çà et là en bourdonnant; les tourterelles roucoulent de tous côtés.

Question délicate! Soumettons-la, s'il vous plaît, à ces deux philosophes qui passent, et laissons-les parler.

PREMIER PHILOSOPHE. Pour moi, je pense que rien absolument de ce que sait le vendeur ne doit être dissimulé à l'acheteur.

SECOND PHILOSOPHE. Et moi, avec votre permission, je pense tout le contraire. Le vendeur n'est tenu que de déclarer les défauts de la marchandise, quand le droit civil l'y oblige, et de s'abstenir d'ailleurs de tout artifice; mais, du reste, il doit, puisqu'il vend, vouloir vendre le mieux qu'il peut. J'ai apporté du blé ; je l'expose en vente; je ne le vends dance est sur la place. A qui fais-je tort? pas plus cher que les autres, peut-être moins, quand l'abon

PREMIER PHILOSOPHE, Eh quoi! est-ce là parler en philosophe, en sage? Le gain est-il votre seule loi ? Lorsque vous devez, par votre profession, vous rendre utile à vos concitoyens et à l'État, concourir par votre travail au bonheur de vos semblables, et servir la société humaine; lorsque vous de votre conscience, les principes de la nature, et d'être n'avez reçu le jour que sous la condition de suivre les règles fidèle à les observer, de manière que votre intérêt propre soit l'intérêt commun, et que, réciproquement, l'intérêt commun soit votre intérêt propre, vous dissimulerez à vos semblables l'abondance, le bien qui leur arrive; vous les maintiendrez dans l'inquiétude, la crainte; vous les induirez en erreur, afin de prélever sur eux un gain que vous savez ne pas mériter?

Arrive, échanson aux vêtements couleur de rose. Viens, musicien aux douces paroles! remplis sans délai ma coupe m'accorderez sans peine qu'il y a de la différence entre dissiSECOND PHILOSOPHE. Distinguons, je vous prie. Vous d'une liqueur couleur de pourpre. Nous dresserons en ce lieu le banquet du plaisir, et nous ferons de la musique jus-muler quelque chose que de ne point vous dire en ce momuler et garder le silence. Est-ce, par exemple, vous dissiqu'à ce que le bouton du cœur s'épanouisse comme la rose. ment quelle est la nature de votre âme; quelles sont les Le grenadier est tellement fleuri qu'on dirait que le feu qualités morales les plus précieuses; comment on peut arembrase l'arbre entier ; quelques manguiers sont en fleurs, river au bonheur? Ce sont des choses pourtant dont la et quelques autres en feuilles seulement. Il y a tant de jas-connaissance vous serait plus avantageuse que le bas prix du mins épanouis que l'oeil du monde les regarde avec surble! Certes, tout ce qu'il vous est utile de savoir, il n'y a

prise. Quand leurs fleurs jonchent gracieusement la terre,

elles font l'effet d'un champ de safran. L'eau s'écoule de chaque allée; les rivières grossies ont leurs flots soulevés par le souffle du vent; à mesure que les sources bouillonnent avec force dans leur sein, elles produisent un bruit agréable. Les cascades se précipitent avec violence; les bassins sont pleins jusqu'au bord. En quelque endroit que vous regardiez, vous voyez la lumière se réfléchir. Les roues pour tirer l'eau sont en mouvement sur les puits.

Dans le mois de baïçakh (avril) commence la chaleur : le soleil développe l'odeur de la rose au point que l'air en est tout à fait parfumé; le cerveau de l'àme en est embaumé. (1) L'ange portier du Paradis. (2) Rose et verte.

pas pour moi nécessité de vous l'apprendre.

PREMIER PHILOSOPHE. Il y a vraiment ici nécessité; car vous n'avez pas oublié les conditions de la société formée par la nature entre tous les hommes.

SECOND PHILOSOPHE. Non, je ne l'ai pas oublié; mais cette société exclut-elle donc la propriété ? S'il en est ainsi, il n'est pas même permis de vendre, il faut donner.

Les deux philosophes continuent sur ce ton, et je ne vois pas qu'ils prennent la voie de s'accorder. Peut-être ma question n'était-elle pas bien choisie ; j'en pose une autre :

Un honnête homme met en vente une maison, pour quelques défauts qui ne sont connus que de lui seul. Cette maison est malsaine et passe pour salubre; la charpente en est

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