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jour, le malade perdit connaissance, et le soir il mourut entre nos bras,

» La nouvelle de la mort de Quercy (c'est ainsi qu'il se nommait, selon l'usage qui veut que l'on donne le nom de leur pays aux ouvriers qui voyagent) se répandit bientôt | Farmi les ouvriers travaillant à Bordeaux, desquels il était tant aimé. Quercy était un excellent onvrier, doux, affable, remplissant consciencieusement ses devoirs, d'une conduite exemplaire. Il avait su acquérir notre estime par l'exemple el les bons conseils qu'il nous donnait aussi les ouvriers l'avaient-ils surnommé Quercy le Prophète, « parce que, disaient-ils, tout ce qu'il prédit nous arrive. » Ses belles qualités étaient rehaussées par un dévouement à toute épreuve, Sa mère, devenue veuve, et d'une santé faible, n'avait pour subvenir à ses besoins que ce qu'elle gagnait aussi notre ami lui envoyait-il, tous les mois, le fruit de ses économies.

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» Plusieurs corporations furent invitées à conduire au champ du repos celui qui était l'objet de tous les regrets. Quoique ce jour fût consacré au travail, plus de quatre cents ouvriers se trouvèrent réunis an lien qui leur avait été indiqué. Chacun des corps d'état se plaça par rang d'ancienneté, et ils furent conduits dans cet ordre à la maison mortuaire par le rouleur, qui se charge de procurer du travail aux ouvriers, et qui les conduit chez les patrons lorsqu'ils en ont besoin.

» Après avoir traversé la ville, nous ne tardâmes pas à apercevoir, à la porte d'une modeste demeure, un cercueil sur lequel flottaient des rubans de diverses couleurs. Une croix en cuivre, une assiette contenant de l'eau bénite et un petit rameau de buis, formaient le simple entourage de la bière que nous allions conduire au cimetière, Le chant des prètres se fit bientôt entendre, et l'on se mit en marche.

» Le corps du défunt était porté par quatre ouvriers; quatre cents autres le suivalent sur deux rangs, la tête nue et le crêpe au bras; à leur tête marchait respectueusement le rouleur, portant une canne ornée de crêpe et de rubans noirs...

» La cérémonie religieuse terminée, nous commençâmes la nôtre. Deux ouvriers qui avaient été désignés par nous descendirent dans la fosse, ouvrirent le cercueil, et le corps inanimé du défunt se présenta à notre vue. Après que nous eûmes constaté son identité (cet usage, très-ancien chez les ouvriers compagnons, a pour but de s'assurer si le corps du défunt n'a point été changé et remplacé par un autre, comme cela se fait souvent dans les hôpitaux), le cercueil fut solgneusement refermé, et l'on étendit par-dessus une couche de chaux vive. A un signal donné, tous les ouvriers se rang`rent du côté gauche; un ouvrier désigné sous le nom de premier en ville, honneur qui n'est accordé qu'au mérite et à l'ancienneté, se plaça sur le bord de la tombe, prit une pelle qu'il chargea de terre, et la présenta à l'un de ses camarades; puis tous deux se croisèrent la jambe droite, se penchèrent en avant pour se murmurer à l'oreille quelques paroles mystérieuses, jetèrent par trois fois de la terre dans la tombe, et, après quelques signes et formalités d'usage, s'embrassèrent. Tous les autres compagnons en firent successivement autant.

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>> On la transporta dans une pièce voisine. Le médecin qui fut appelé nous recommanda de ne pas la laisser seule. Une. garde-malade et deux ouvriers la veillèrent toute la nuit. Le lendemain nous pûmes lui parler. C'était la mère de Quercy. A la réception de la lettre, elle était partie de chez elle comme folle, et elle avait fait près de quarante lieues à pied, sans argent.

» Il n'en fallut pas davantage pour que cette femme fût accueillie par nous avec la plus grande vénération. Elle resta à Bordeaux dix-sept jours. Tous les soirs, après la journée finie, un grand nombre d'entre nous se réunissaient dans sa chambre. Nous parlions de son fils, de notre regret de ne plus le voir; elle pleurait, et nous la consolions. Ces scènes touchantes, qui se renouvelaient souvent, éveillaient en nous le souvenir de notre pays et de notre famille.

» Enfin la bonne mère dut partir. Nous lui avions procuré des vêtements et fait réparer sa chaussure. Sa place à la diligence avait été payée. Une somme de 90 francs lui fut remise la veille avec beaucoup de ménagements : c'était le produit d'une collecte faite parmi nous.

» Dès le matin, un grand nombre d'ouvriers arrivèrent pour faire leurs adieux à la bonne mère, car c'est ainsi qu'elle avait été surnommée. Elle fut conduite par tous les compagnons jusqu'au bureau de la diligence. Figurez-vous une femme âgée d'environ quarante-huit ans, pauvrement vêtue, qui, malgré la pâleur de son visage, conservait encore quelques restes de beauté, marchant au milieu d'environ trois cents ouvriers en habit de travail, et qui lui témoignaient le plus grand respect.

» L'heure du départ étant arrivée, cette excellente créature semblait confuse, ne sachant comment nous témoigner sa reconnaissance. Elle nous disait en pleurant, avec l'accent de la plus profonde douleur :

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» Nous retournâmes ensuite, en rang, au lieu habituel de évêque. nos réunions.

» Il y avait à peine une heure que nous étions arrivés ; il faisait nuit, et tout le monde se disposait à partir, lorsque des cris de femme se firent entendre vers la porte d'entrée. Tous les regards se portèrent de ce côté, et l'on ne tarda pas à voir paraître une femme maigre, pâle, qui en pleurant s'écriait:

»- Où est mon fils? il est mort! vous venez de l'enterrer! » Et elle tomba sans connaissance au milieu de nous. Ses vêtements étaient en désordre, ses pieds enflés et meurtris; elle paraissait avoir éprouvé une rude fatigue.

Quand on entre dans l'église de Saint-Remi, on est vivement impressionné par l'ordonnance majestueuse de l'édifice. L'effet de ses belles lignes architecturales est saisissant.

Il existe dans cette église plusieurs dispositions originales qui la rendent plus intéressante encore pour l'art et pour la science.

Les origines de Saint-Remi touchent à la naissance de la religion chrétienne dans le pays rémois. Une chapelle fut d'abord construite en cet endroit, et, ici comme à Tours, comme au Maus et dans la plupart des villes gallo-romaines, les chrétiens nouvellement convertis étaient caterrés près de

cette chapelle, qui se trouvait à une petite distance des murailles de la cité. Saint Remi fut inhumé, vers 350, au milieu des fidèles qui étaient morts dans l'espoir de la vie éternelle, L'enceinte de cette chapelle, dédiée à saint Christophe, devint bientôt trop étroite pour contenir la multitude qui se pressait autour du tombeau de saint Remi. On l'agrandit à deux reprises différentes. Dès le commencement du onzième siècle, on songeait à rebâtir l'église de Saint-Remi; l'abbé Pierre de Celles, ayant pris en main le gouvernement de l'abbaye, entreprit avec ardeur l'achèvement de l'église. On lui doit les premières travées de la nef. les transsepts et l'abside; il avait fait aussi bâtir les voûtes de la nef, qui malheureusement sont tombées plus tard.

On trouve dans l'église de Saint-Remi quelques fragments

d'architecture antique. Dans la galerie du transsept septentrional, M. de Caumont a signalé trois colonnettes en marbre gris surmontées de leurs chapiteaux en marbre blanc. Ces chapiteaux à feuillages montrent des oves et des perles allongées, comme on en trouve sur ceux de Jouarre. A la façade, on voit encore des colonnes en granit d'un travail remarquable. D'où proviennent ces précieux débris? On ne le sait, mais on suppose qu'ils avaient fait partie de la basilique primitive; peut-être ont-ils été empruntés à quelque monument gallo - romain.

Les belles galeries qui s'étendent sur toute la longueur des collatéraux rappellent une disposition semblable qui existe à Saint-Étienne de Caen, à Notre-Dame de Laon, et dans quelques autres édifices de premier ordre. Ces galeries s'ouvrent sur la

cation importante: tous les arcs sont en ogive, et la galerie principale est surmontée d'une seconde galerie composée de six ouvertures étroites à ogive aiguë; au-dessus s'élèvent trois fenêtres en forme de lancette, garnies de vitraux peints.

La porte méridionale du transsept offre les caractères de la troisième époque du style ogival; la rosace flamboyante qui l'éclaire est belle de forme et remarquable d'exécution. Les meneaux à nervures prismatiques, leurs épanouissements en figures contournées, sont élégamment conduits en réseau. Le portail extérieur de cette portion du transsept mérite de fixer l'attention par ses ornements pleins de grâce et d'harmonie.

Vue intérieure de Saint-Remi, à Reims.- Clôture du chœur.

nef par deux arcades cintrées divisées par une élégante colonne. Le sommet de la travée est éclairé par une fenêtre à plein cintre surmontée d'un oculus.

En faisant l'analyse d'une travée de la région absidale, nous compléterons l'idée qu'on peut se former de l'église de Saint-Remi.

Les chapelles absidales sont au nombre de cinq; le plan en est original et d'un effet piquant. L'arc qui met les chapelles en communication avec les collatéraux est partagé en trois autres arcades portées sur deux colonnes légères, monocylindriques.

Le chœur de SaintRemi est entouré d'une clôture dans le style avoué de la renaissance, dont la vue

ci jointe reproduit quelques portions.

Quoique cette riche balustrade ait souffer', elle est néanmoins fort intéressante encore, et sa conservation doit être assurée, quoiqu'elle soit en désaccord avec le style architectonique de l'édifice.

On remarque dans le portail occidental de Saint-Remi l'empreinte du douzième siècle. Ce portail paraît avoir été appliqué sur une construction plus ancienne. Mais ce qui attire l'attention des architectes, ce sont des colonnes engagées et des pilastres dont le fût est creusé de cannelures; chose assez rare dans cette partie de la France, et que l'on voit souvent, au contraire, en Bourgogne.

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Nous terminerons ces notes trop courtes sur l'église de SaintRemi en la recommandant aux touristes, qui se dispensent trop souvent de la visiter quand ils ont vu la cathédrale de Reims. C'est un grand tort; et ils seront amplement dédommagés de leur peine s'ils se dirigent vers l'extrémité du faubourg dont la vaste église que nous venons de décrire est au

On a introduit dans cette portion de l'édifice une modifi-jourd'hui l'église paroissiale, après avoir été église d'abbaye.

BUREAUX D'ABONNEMENT ET DE VENTE, rue Jacob, 30, près de la rue des Petits-Augustins.

Imprimerie de L. MARTINET, rue et hôtel Mignon.

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Le canton de Berne est le plus grand, le plus peuplé et l'un des plus beaux de la Suisse. Il est situé dans la partie occidentale; mais il confine aux cantons orientaux, et il est si bien entouré, au nord, au sud et à l'ouest, par d'autres cantons, qu'on peut le regarder comme central, et qu'il semblait prédestiné, ainsi que la belle ville de Berne, à devenir le chef-lieu de la Confédération.

Sans sortir de l'État de Berne, on trouve les deux langues qui se parlent en Suisse, les deux cultes, puisqu'il y a une minorité catholique; les populations pastorales, agricoles et industrielles; les plus vastes glaciers, les vergers les plus magnifiques, des champs et des vignes; enfin la nature des Alpes et celle du Jura, et, dans l'intervalle, des coteaux et des plaines de la plus grande richesse.

Ce canton est remarquable par une nationalité prononcée. La population est généralement forte; elle est d'une beauté remarquable en quelques contrées. Le caractère bernois, mêlé d'orgueil et de bonté, avec un esprit d'ordre admirable, se retrouve partout; cependant ce pays est une terre de contrastes, qui peut longtemps occuper l'observateur sans épuiser sa curiosité.

C'est aussi une terre féconde en souvenirs glorieux; et, puisque nous avons déjà donné dans ce recueil des détails descriptifs suffisants sur le canton de Berne, nous pensons que nos lecteurs fixeront un moment leur attention avec intérêt sur quelques pages de ses annales.

Elles sont connues du paysan bernois, comme du bourgeois et du patricien. Cette population est fière de son passé ; elle a conservé, elle entretient par des monuments et des fètes le souvenir de ses héros et de ses jours de gloire; elle doit peu s'étonner de voir aujourd'hui toute la Confédération se grouper autour d'elle, et rendre ainsi à la ville et à l'État de Berne une partie de l'importance et de l'éclat qu'ils avaient à la fin du siècle dernier.

Berne fut fondée, en 1191, par Berthold V, duc de Zaeringen, qui régissait alors, sous l'autorité lointaine de l'empereur, une grande partie de la Suisse occidentale. Les seigneurs de la contrée étaient turbulents et factieux: Berthold commanda au chevalier Cuno de Boubenberg d'enfermer par un boulevard quelques maisons bâties dans une presqu'île que forme dans ce lieu la rivière de l'Aar. Boubenberg dépassa les ordres donnés, et il étendit les constructions jusqu'à la tour de l'Horloge. Pierre de Savoie agrandit la ville, en 1232, jusqu'à la tour des Prisons. Au milieu du quatorzième siècle, elle fut portée jusqu'à la tour de Goliath: l'enceinte actuelle est de 1623.

Dès son origine, Berne fut l'asile non-seulement de bourgeois et d'ouvriers qui cherchaient sécurité et protection pour leur industrie, mais encore de plusieurs familles nobles qui voulurent associer leur fortune à celle d'une ville qu'elles aimaient. C'est par le concours de ces forces que peuvent s'expliquer les succès de cette puissante commune : elle eut de bonne heure des chefs habiles qui mirent leur gloire à l'agrandir, et une population énergique pour exécuter les résolutions des conseils.

Elle ne put se passer toujours de protections étrangères; mais elle y échappait aussitôt qu'elle trouvait les circonstances favorables. La république naissante fut menacée par les puissants comtes de Kibourg. Elle avait besoin d'un pont sur l'Aar. Le comte, qui dominait sur la rive droite, défendit de poursuivre l'ouvrage à demi fait. Les Bernois recoururent à leur vaillant ami et patron, Pierre de Savoie, qui était maître du pays de Vaud, et qu'on surnommait le petit Charlemagne. Grâce à son intervention pacifique, le pont fut achevé. Bientôt Pierre eut une guerre à soutenir : cinq cents jeunes Bernois marchèrent à son secours. A leur vue, Pierre jura, dans sa joie, qu'il accorderait aux Bernois tout ce qu'ils lui demanderaient, s'il était vainqueur. Il le fut, et le porte-bannière dit au comte : « Nous ne voulons ni or ni argent, mais nous vous prions de nous rendre la lettre de patronage que vous

avez reçue de nous; ne soyez plus notre maître, soyez notre ami!» Le comte, quoique péniblement surpris, tint sa parole; il rendit la lettre, et conclut, avec les Bernois, un traité d'alliance qu'il observa jusqu'à sa mort.

Par cette conduite sage et courageuse, la république prospéra dans le treizième siècle; elle croissait en population et en territoire, objet continuel d'envie pour les seigneurs du voisinage; et malheureusement sa sœur, la ville de Fribourg, qui devait, comme elle, la naissance aux Zaeringen, entra plus d'une fois dans les ligues formées contre elle. En 1298, les Fribourgeois, Louis baron de Vaud, les comtes Pierre de Gruyère et Rodolphe de Neufchâtel, mirent leurs troupes en campagne. Le territoire de Berne fut envahi. Cette ville avait alors pour alliés Soleure et le comte de Kibourg; mais ses forces étaient loin d'égaler celles de ses ennemis. En revanche, elle avait à sa tête un guerrier intrépide, un héros, Ulrich, chevalier d'Erlach. L'ennemi avait pris position près du Donnerbuhel (colline du Tonnerre), à peu de distance de la ville. Les Bernois coururent au combat avec allégresse. Les sons terribles du cor retentirent dans les bois. Une attaque impétueuse de la troupe, et une manœuvre habile de son général, mirent l'ennemi en déroute près de Oberwangen. Il y eut beaucoup de morts et de prisonniers. Erlach rentra en triomphe avec les captifs désarmés et sa troupe victorieuse, qui porta dix-huit bannières ennemies dans l'église de SaintVincent. Une chanson militaire célébra ce triomphe. L'ours, symbole de Berne, y parlait gaillardement en ces termes : « J'ai gagné le prix et l'honneur de la chasse; j'ai risqué ma peau hardiment au combat de Wangen, où j'ai fait beaucoup de prisonniers. »

Un demi-siècle ne s'était pas écoulé que les mêmes causes amenèrent un plus grand orage (1339). Les seigneurs se plaignaient que Berne voulait ôter aux nobles la prépondérance pour la donner au peuple. Ils résolurent donc, dans une assemblée tenue à Nidau, au bord du lac de Bienne, de se réunir tous ensemble pour renverser de fond en comble l'ambitieuse cité. Le bruit de cette grande entreprise se répandit au delà des Alpes et du Jura. Il vint aux conjurés des secours de la Savoie et de la haute Bourgogne. Sept cents seigneurs à heaumes couronnés, quinze cents chevaliers en armure complète, trois mille cavaliers, et plus de quinze mille fantassins, se réunirent contre Berne, sous le commandement du comte Gérard de Valangin, bailli impérial de la Bourgogne transjurane. Ainsi l'Empire et une puissante noblesse menaçaient une seule ville, qui paraissait incapable de résister.

La petite ville de Laupen, située sur la Singine, à trois lieues de Berne, était assiégée par les forces des seigneurs. Le bailli fit demander de prompts renforts. On décida en conseil général que de deux frères l'un marcherait, et six cents hommes s'avancèrent bientôt sous Jean de Boubenberg. Ils pénétrèrent dans la petite ville, résolus de la détendre jusqu'à la mort.

Les Bernois, qui avaient essayé d'apaiser l'ennemi en se déclarant prêts à satisfaire aux demandes justes, virent bien, à son insolence, qu'il n'y avait plus de salut pour eux que dans les armes. Mais qui serait leur chef? Ils hésitaient à le nommer, sachant bien que la victoire dépendrait du choix qu'ils allaient faire.

Comme le conseil délibérait, on vit entrer à cheval, dans la ville, Rodolphe d'Erlach, fils aîné d'Ulrich, le vainqueur du Donnerbuhel. Le chevalier d'Erlach était à la fois vassal de Nidau et bourgeois de Berne. Il appartenait aux deux camps, et il aurait voulu ménager une bonne paix. Le comte s'y refusa, et dédaigneusement il permit à d'Erlach d'aller combattre dans les rangs de ses concitoyens. « Il m'est, disait-il, indifférent de perdre un homme sur deux cents casques et cent quarante chevaliers dévoués à mon service. » D'Erlach lui dit en s'éloignant : « Oui, c'est un homme que vous perdez, seigneur comte, et je vous le prouverai, »

La vue de ce brave guerrier réjouit tout le peuple; elle rappela le souvenir de son père et du Donnerbuhel. Le commandement fut déféré à Rodolphe par acclamation. Alors il se leva, et dit aux bourgeois assemblés : « J'ai fait six campagnes, où j'ai toujours vu la plus nombreuse troupe battue par la plus faible; le bon ordre est le sûr moyen de vaincre. Artisans, quelquefois indociles, si vous aimez la liberté, sachez obéir et vous la conserverez. Je ne crains pas l'ennemi; je combattrai avec Dieu et avec vous, comme au temps de mon père; mais je ne veux pas être votre général, si je n'ai pas un pouvoir absolu. » La còmmune promit öbéissance, et d'Erlach prit le commandement.

Pendant que les Bernois de la ville et de la campagne accouraient sous le drapeau, un des leurs se rendit à la hâte chez les Suisses des petits cantons. Ils ne leur devaient aucun secours; cependant ils répondirent à leur envoyé : « La véritable amitié se connaît dans le péril; dites à vos frères qu'ils peuvent compter sur le peuple des Waldstettes. >>

Plusieurs des fondateurs de la Suisse, Tell, Werner Stauffacher, vivaient encore. Ils armèrent neuf cents hommes, qui passèrent le Brunig, descendirent par les vallées, et campaient le 20 juin devant Berne, où ils trouvaient quatrevingts cavaliers de Soleure, bien armés et bien équipés. Les femmes et les enfants étaient au pied des autels; on faisait des aumônes et des processions solennelles.

A minuit, d'Erlach donna l'ordre du départ. Au clair de lune, les neuf cents hommes des Waldstettes, trois cents du Ilasli, trois cents du Sibenthal, quatre mille bourgeois de la ville et de la campagne, un corps de cavaliers, avec les quatre-vingts Soleurois, se mirent en marche, ayant à leur tête le prêtre Diebold Baselvind, qui portait le corps du Seigneur. Du haut des murs, les femmes, les vieillards, les enfants suivirent l'armée des yeux, jusqu'au moment où elle disparut dans les bois.

Quand les armées furent en présence sur le Bramberg, près de Laupen, elles échangèrent des défis et des bravades. Les seigneurs montraient une grande impatience un des leurs, le comte Rodolphe de Nidau, leur disait : « Cet ennemi se trouvera toujours. » Et l'un des hommes de Schwitz criait aux chevaliers : « Avance qui voudra, nous sommes prêts. >>

D'Erlach comprit fort bien l'usage qu'il devait faire de ses soldats robustes, vaillants, mais peu expérimentés. Il ne les embarrassa point dans les détours d'une tactique savante; il s'attacha surtout à grouper leurs forces, et à profiter de leur élan, pour porter un coup décisif.

Les Waldstettes avaient réclamé l'honneur de combattre la chevalerie: il fallut le leur céder. D'Erlach, se plaçant vis-à-vis l'infanterie de l'ennemi avec ses Bernois, leur fit cette allocution guerrière : « Où êtes-vous, joyeux garçons, que nous voyons sans cesse à Berne, parés de fleurs et de panaches, les premiers à toutes les danses? Aujourd'hui l'honneur de la ville dépend de vous! Ici la bannière ! ici Erlach ! »> Alors une élite de jeunes hommes vigoureux s'élança hors des rangs, et s'écria: « Nous voici, messire; nous serons près de vous ! » Et ils entourèrent l'étendard avec une héroïque ardeur.

La bataille commença. Quelques hommes de l'arrièregarde, voyant les frondeurs bernois reculer, suivant l'usage, après une décharge, y virent le signal de la fuite, et se débandèrent; Erlach s'écria : « La victoire est à nous; les lâches nous quittent. » L'infanterie des ennemis fut enfoncée par le choc des Bernois, après une vigoureuse résistance. A l'heure de vêpres, les vainqueurs volèrent au secours des Suisses et des Soleurois, qui avaient déjà ébranlé la chevalerie. Elle succomba à son tour un grand nombre de seigneurs périrent. Toute la plaine était jonchée d'armes et de cadavres. On y compta quatre-vingts casques couronnés, et vingt-sept bannières des villes et des seigneurs.

Après la poursuite, les troupes se réunirent sur le champ de

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bataille. Tous se mirent à genoux, pour remercier Dieu d'avoir protégé l'armée et le général. D'Erlach dit à ses soldats : n'oublierai jamais que je dois cette victoire à la confiance de mes concitoyens et à votre vaillance, braves, loyaux, chers amis et défenseurs des Waldstettes et de Soleure. Quand nos descendants entendront le récit de cette bataille, ils estimeront par-dessus tout cette amitié mutuelle; dans leurs dangers et dans leurs guerres, ils se souviendront de quels aïeux ils sont les enfants. »

L'armée victorieuse passa la nuit sur le champ de bataille, suivant la coutume. Le lendemain elle rentra en triomphe dans la ville de Berne, portant les bannières conquises et les armes des seigneurs qui avaient péri. Il fut décrété que l'anniversaire de la victoire de Laupen serait un jour de fête solennelle, afin de renouveler le souvenir des ancêtres, et d'enflammer les cœurs d'une généreuse émulation.

Les années s'écoulèrent, et Berne, toujours heureuse, augmentait sa puissance et son territoire. Au commencement du quinzième siècle, une invasion hardie lui assura la conquête de l'Argovie, domaine de Frédéric d'Autriche, qui était alors au ban de l'Empire. En 1536, une course militaire jusqu'aux portes de Genève, donnait aux Bernois tout le pays de Vaud, qu'ils enlevaient à la Savoie.

Ils embrassèrent la réformation et la répandirent dans leurs vastes domaines : toutefois les peuplades catholiques n'y furent point persécutées.

Berne prit une part glorieuse aux guerres de Bourgogne ; elle en prit une trop grande aux guerres religieuses qui éclatèrent dans les siècles suivants. On vit un grand nombre de ses enfants suivre la fortune des régiments suisses au service étranger. Plusieurs Bernois acquirent au dehors un grand renom de capacité militaire.

Cette république, fondée sur la base de l'aristocratie, put être l'amie des rois; elle le fut surtout des rois de France; elle ne pouvait l'être de la révolution française. Ses sujets de race romane devaient penser autrement; ils se levèrent, dans le beau pays de Vaud, au souffle de la liberté de 1789. Les Français entrèrent en Suisse (1798), et, cinq siècles après le combat de Donnerbuhel, dans les lieux mêmes témoins des triomphes de leurs ancêtres, les Bernois succombèrent devant des forces supérieures. Du moins, ils ne tombèrent pas sans gloire. Le combat de la Singine, entre autres, où commandait le brave de Graffenried, prouve que les Français avaient rencontré des adversaires dignes d'eux.

LE PARC MOUSSEAUX.

On donne à ce parc différents noms Mousseaux, Mouceaux et Monceaux; mais les documents les plus anciens s'accordent à nommer Mousseaux le village sur le territoire duquel il a été créé et dont il doit avoir tiré son nom. Aujourd'hui pourtant on le nomme plus communément Monceaux, du nom officiellement donné au quartier qui l'avoisine et à la ville des Batignolles-Monceaux qui lui fait face.

Ce parc, planté en 1778 par Philippe d'Orléans (père de Louis-Philippe), à ce moment duc de Chartres, ne fut compris dans l'enceinte de la capitale qu'en 1786, lorsque Louis XVI, sur les propositions des fermiers généraux, y fit entrer les faubourgs, et éleva, bien malgré eux, le mur de clôture actuel, à propos duquel circula ce vers si connu :

Le mur, murant Paris, rend Paris murmurant. Mais, afin que ce mur ne nuisît pas trop au parc du duc de Chartres, et ne le privât pas de la vue des campagnes environnantes, on le bâtit au fond d'un vaste fossé, ainsi qu'on le voit encore à cette heure.

Le dessin du parc Mousseaux et de toutes ses constructions est l'œuvre de Carmontelle (1), à l'imagination duquel le duc (1) Voy. 1835, p. 75.

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