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l'article 24 de l'édit de Gaillon fixe à 3 deniers tournois par feuille le prix des livres de classe latins de grosses lettres, sans commentaires ni grec. Le catalogue du libraire Lefèvre, en 1693, d'accord en cela avec ceux de D'Hourry et de Sercy, connu par les vers de Boileau, attribue aux livres de divers formats un prix qui est à-peu-près la moitié de celui qu'ils ont aujourd'hui ; les in-folios de 7 à 12 livres, les in-4o de 4 à 6 livres, les in-12 de 15 sous à 1 livre 10 sous.

Une autre considération dont il faut tenir compte, c'est l'étendue bien moindre des besoins auxquels devaient alors répondre les bibliothèques. La théologie était presque la seule science, et les littératures modernes ne réclamaient encore que bien peu de place. Du reste on recherchait déjà avec grand soin les manuscrits, qui devenaient rares, et même les vieux livres et Naudé, dès 1627, trace tous les préceptes de l'art de bouquiner.

La bibliothèque de la Rochelle eut le temps d'user de la munificence de Math. Cartier, dans les limites qu'il y avait mises lui-même; mais ses compatriotes n'en jouirent pas longtemps. En 1628, la bibliothèque fut confisquée, comme toutes les autres propriétés de la ville vaincue et fut donnée par le Roi au cardinal de Richelieu. Dans cette simple et courte histoire de notre bibliothèque nous retrouverons un autre exemple de spoliation; toutefois, il faut le remarquer, les assemblées républicaines dépouillèrent les associations particulières au profit de la grande association nationale; le ministre les dépouilla au sien propre.

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Le bâtiment même de la bibliothèque eut le sort des livres qu'il contenait; mais s'il enleva aux protestants leur temple de Saint-Yon, Louis XIII le rendit du moins

peu de temps après aux moines Augustins, qui l'avaient possédé auparavant, et qui sans doute l'avaient perdu comme ils le recouvrèrent. Leur maison a depuis changé encore de destination, et leur nom seul resté à la rue rappelle leur ancienne possession.

A la mort de Richelieu, sa bibliothèque enrichit celle de la Sorbonne, qui paraît avoir été peu accessible et fort mal connue avant la révolution de 1789; de Guigne fait observer qu'en l'ouvrant on ne ferait que rendre à sa destination première au moins cette partie qui avait été la bibliothèque de la Rochelle. Le bibliothécaire prétendait, il est vrai, que l'entrée en était facile aux savants; mais il est plus que permis d'en douter, puisqu'un homme aussi bien placé que de Guigne ne pouvait même parvenir à savoir ce qu'elle contenait. Bien qu'elle ait été depuis rendue à la publicité, il serait probablement impossible d'y distinguer ce qui provient de notre ancienne bibliothèque. Peut-être seulement pourrait-on savoir s'il s'y trouve un manuscrit de Priscien que le copiste déclarait avoir écrit à Constantinople, sous le consulat de Mavortius, c'est-à-dire dans la première année du règne de Justinien (529), et qu'un éditeur de Priscien, en 1565, déclarait avoir vu à la Rochelle. C'est probablement un des plus anciens manuscrits du monde. Peut-être aussi y retrouverait-on la traduction en basque du nouveau testament imprimée à la Rochelle, chez Hautin, en 1571; livre curieux, qu'on a souvent demandé à la bibliothèque actuelle de la ville et qui n'y a jamais été.

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Plus d'un siècle s'écoula, avant que la Rochelle vit se renouveler la tentative de lui donner une bibliothèque publique. On pourrait peut-être assigner avec assez de vraisemblance les causes de cette abstention; mais elles naîtraient plutôt de considérations générales sur l'état des esprits au siècle de Louis XIV que de faits particuliers à la Rochelle, et, quant à ce qui regarde spécialement celle-ci, il est facile de concevoir que le grand désastre de 1628, les efforts nécessaires pour refaire à la ville une population, les difficultés qu'opposèrent au développement d'une prospérité nouvelle la révocation de l'édit de Nantes, les vexations qui la préparèrent, les persécutions qui la suivirent; le temps et les travaux qu'il fallut pour que cette population renouvelée retrouvât enfin de l'union et du calme; que toutes ces circonstances, dis-je, étaient peu propres à diriger les esprits vers les jouissances littéraires. Cependant dans les premières années du règne de Louis XV, l'académie de la Rochelle se fonda. Elle ne songea pas d'abord à se former un dépôt de livres; trop de difficultés financières gênaient son premier développement; mais elle y fut amenée presque par la force des choses. La culture des lettres n'a, dans aucune autre époque, autant qu'au XVIIIe siècle, été un titre à la considération sociale; le titre d'académicien était partout tenu pour un titre d'honneur. Celui d'associé à l'académie de la Rochelle fut recherché, et plusieurs associés, en

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adressant leurs remerciements, envoyèrent à la société qui les adoptait quelques-uns des livres qu'ils avaient publiés. L'abbé Séguy paraît être le premier qui eut ce procédé, et l'exagération même des termes dans lesquels M. l'abbé d'Arger le remercie de l'envoi de ses Panégyriques montre que la jeune académie était encore peu habituée à ces dons.

Cet exemple fut suivi, soit par imitation, soit spontanément, par plusieurs autres associés; les académiciens résidents, dont bien peu avaient fait imprimer leurs œuvres, y suppléèrent par des dons de livres dont ils n'étaient pas les auteurs. Ces présents passèrent en usage, et l'académie, en remaniant ses réglements, en fit une loi; l'article xiv du réglement du 5 février 1749 imposa au récipiendaire l'obligation d'offrir à la société où il entrait un don de quatre volumes ou, en compensation, une somme de 30 livres.

Mais dès l'année suivante, un des membres de l'académie dépassa de beaucoup cette générosité réglementaire et fonda réellement la bibliothèque de la ville. Au mois d'avril 1750, M. Richard Desherbiers offrit au corps de ville une grande partie de sa bibliothèque pour la rendre publique. Dupont, dans son histoire de la Rochelle, dit que cette précieuse bibliothèque contenait 9000 volumes. Je ne sais sur quoi s'appuie ce chiffre, qu'aucun document connu de moi ne confirme et qu'infirment au contraire plusieurs inductions. Il parait d'abord certain que M. Richard ne donna qu'une partie de sa bibliothèque. C'est ce que prouverait assez l'expression d'Arcère, désigné par M. Richard lui-même comme premier conservateur du dépôt qu'il fondait et écrivant presque en même temps. Mais en outre on a le catalogue des livres que possédait encore M. Richard à sa

mort, arrivée seulement trois ans après, en 1753. Ce catalogue contient, outre dix manuscrits, et trente-trois recueils d'estampes, 705 ouvrages, c'est-à-dire environ 1,400 volumes. On a le catalogue de plusieurs des bibliothèques qui ont servi à former la bibliothèque actuelle de la ville; celui de M. Richard ne s'y trouve pas, mais nous verrons que ce don fut uni, en 1783, à la bibliothèque de l'académie. Or le catalogue spécial de celle-ci passe du numéro 1,000 au numéro 2,945, parce que la bibliothèque Richard contenait 1,944 ouvrages, qui ne supposent guère plus de 3,800 ou 4,000 volumes.

En faisant ce présent au Corps de ville, M. Richard Desherbiers avait prescrit quelques mesures qui ne furent peut-être pas toutes suivies. Au don de ses livres, il avait ajouté celui des tablettes qui les portaient, et celui de quelques tableaux, parmi lesquels étaient les portraits de son père et de son frère, et le sien; audessous était écrite cette inscription: Non omnes patriæ mortui. Deux autres inscriptions devaient être placées sur la porte, celles-ci: Lex tua Veritas, et Ab hominibus iniquis eripe me. Rien n'indique ce qui avait dicté le choix de ces devises, dont la seconde du moins était assez étrangement placée à l'entré d'une bibliothèque.

La bibliothèque devait être ouverte deux jours de la semaine, trois heures le matin et trois heures le soir. Elle était confiée à deux bibliothécaires. M. Richard désignait lui-même les deux premiers, après avoir consulté l'académie; c'étaient le P. Arcère et M. Girard de Villars. Ils devaient être, quand il y aurait lieu, remplacés sur la désignation de l'académie, mais tenir du maire leur nomination. Leur premier soin devait être de dresser un catalogue.

Comme il était naturel, ce furent surtout les amis des

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