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PRÉFACE

La bibliothèque communale de la Rochelle n'a été instituée que par une décision ministérielle de l'an VI (1797); mais cette décision elle-même fut motivée par l'existence antérieure d'une bibliothèque publique dans cette ville; c'est donc à celle-ci qu'il faut faire remonter l'histoire de cet établissement, à ses fondateurs qu'il faut reporter toute reconnaissance à cet égard.

Je ne m'arrêterai même pas là cependant et, poussant plus loin ces recherches rétrospectives, je tâcherai de rassembler tout ce qu'ont laissé de souvenirs les premiers efforts faits pour doter la Rochelle d'une bibliothèque.

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Il faudrait leur assigner une date reculée si l'on acceptait comme une tentative de ce genre le legs fait par

maitre Jehan Faure, qui, d'après les registres de l'Eglise de Saint-Sauveur, transcrits par Arcère, « laissa, en 1486, » à la Fabrique de ladite église, tous chacuns ses autres >> livres pour aider à commencer de faire une librairie. >> Mais rien n'indique que cette librairie dût devenir publique, et il est même peu probable qu'à cette époque cette idée se soit présentée.

Il en fut tout autrement de l'entreprise accomplie au commencement du xvIIe siècle. La librairie, c'était encore le terme employé, que l'on fonda alors, fut bien réunie, comme il était naturel, sous l'impulsion et sous la direction du clergé protestant; mais elle fut, dès le principe, destinée à être publique. C'est ce qui est prouvé non seulement par le concours des laïques, mais aussi par des termes formels. « Le lundi dernier de ce mois (mai 1604), dit Lestoile « je reçus des lettres de M. de Plomb » de la Rochelle, datées du 19 du présent mois, par » lesquelles, entre autres particularités, il me donnoit >> avis d'une publique et ample librairie, qu'on y alloit >> dresser. >>

Ce témoignage, en même temps qu'il fixe le caractère et la date de cette fondation, montre les soins qu'y apportait Esprinchard, sieur du Plomb; il exhortait en effet son correspondant à imiter plusieurs autres amis des lettres par des libéralités, que récompenseraient des louanges « engravées au frontispice des livres. » A quoi Lestoile ajoute qu'il n'a « nulle envie d'échanger ses » livres à des éloges de louanges qui ne sont que vent, » pour ce qu'ils lui ont couté autre chose. »>

Les demandes d'Esprinchard rencontrèrent sans doute plus d'une fois des réponses analogues, d'autant plus qu'il y mettait plus de zèle que de discrétion, comme Scaliger le fait sentir plaisamment, mais non pas sans

justice. Il l'avait sollicité de donner à la bibliothèque naissante ses manuscrits, voire ses livres arabiques. C'est, dit-il, comme si quelqu'un demandait à un autre qu'il lui donnât sa femme. Le même témoignage nous apprend que Duplessis-Mornay avait donné tous les livres qu'il avait fait imprimer. Il pouvait difficilement s'y refuser en effet, et cette utile indication laisse voir comment se recrutait cette collection.

Il fallut moins de deux ans pour qu'elle acquît une certaine importance. Nous voyons en effet dans le Diaire de Merlin que le 15 janvier 1606 les pasteurs avertirent publiquement en l'église, après les prêches du matin, de donner quelque chose pour l'entretenement de la bibliothèque, soit livres, soit argent. Il est facile de présumer l'efficacité de pareilles sollicitations. Le 19 du même mois les livres furent placés dans les armoires; il fut ordonné que la garde en serait confiée tour à tour pour un an à chaque pasteur, et que du reste tous les pasteurs et professeurs en auraient une clé. Le gardien annuel n'était donc institué que pour avoir des rapports avec le public. On sait d'ailleurs quelle élévation avait alors à la Rochelle l'enseignement, qui comprenait le grec, l'hébreu et la théologie.

Le père Arcère a placé à l'année 1609 cette ouverture de la bibliothèque, et dans une note il appuie cette date de l'autorité de Merlin. Un coup d'œil trop radide sur un passage isolé et la forme du chiffre final l'ont trompé sans doute; car en lisant avec soin les lignes de Merlin, en se reportant à ce qui précède et à ce qui suit, l'erreur est impossible.

Ces livres furent placés au-dessus de la salle SaintJean, l'un des temples qu'avait alors la religion réformée. Cette salle était grande sans doute, puisqu'on la

choisit pour la tenue des séances du synode national réuni à la Rochelle en 1607, et il semble qu'elle était ornée de tableaux; car Merlin nous apprend que pour cette solennité « ladite bibliothèque estoyt tendue de >> tapisseries tout à l'entour; les tableaux de peinture >> estoyent au fonds de la bibliothèque, au-dessus la >> tapisserie. >>

Le zèle des citoyens pour la formation de cette collection se maintint après le premier établissement; et le 6 mai 1610, le sieur Mathurin Cartier léguait pour son entretenement et accroissement une rente de 62 livres 10 sous, qu'il avait acquise sur la maison de M. Daniel. Cette rente devait être consacrée pendant quinze ans à cet usage, et servir ensuite à l'entretien. des étudiants en théologie.

Arcère a cru que l'histoire ne devait pas omettre le nom de ce généreux citoyen, et que les muses du moins devaient être à jamais reconnaissantes. Quant à l'importance du legs qu'il faisait à la bibliothèque, il faudrait pour l'apprécier connaître non seulement la valeur de l'argent à cette époque, mais aussi le prix des livres qui a probablement varié dans de tout autres proportions. Or les documents manquent à cet égard. Les libraires publiaient déjà, il est vrai, leurs catalogues mais sans donner les prix, et l'on ne peut, sans des recherches que je n'ai pas faites, que je n'ai pas les moyens de faire, hasarder même des conjectures vraisemblables. J'indiquerai seulement, en passant, quelques renseignements d'époques éloignées, mais qui limitent du moins les chances d'erreur. Un inventaire de la bibliothèque d'un conseiller du Roi, Me Pot, fait en 1523, porte un Sénèque à 20 sous tournois, un Salluste, impression d'Alde, à 2 sous. En mai 1571,

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