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particulier que j'avais à cette visite, il eut sans doute été aussi ridicule à un astronome de passer en Angleterre sans MÉMOIRE. voir les télescopes de M. Herschell, qu'à un voyageur en Égypte de ne point visiter les pyramides. Je me rendis done à Slough avec mes collègues. A quelques pas de l'habitation de M. Herschell, au milieu d'un vaste boulingrin, s'élevait en plein air, vers le ciel, ce grand télescope de vingt pieds, qui lui avait servi aux intéressantes découvertes dont il entretenait depuis plusieurs années le monde savant. Malheureusement la nouvelle planète qu'il avait découverte n'était pas sur l'horizon. Il fallut se contenter d'observer des étoiles doubles, triples, et ces nébuleuses planétaires et ces nébuleuses trouées inconnues avant M. Herschell. L'effet de ce télescope nous parut supérieur à tous ceux que nous connaissions: mais rien n'attira autant notre examen et notre admiration que l'élégance et la solidité du support de l'instrument, le mécanisme, la précision et la facilité de ses mouvemens, et sur-tout l'ingénieuse manière de diriger à volonté ce long tube vers telle ou telle autre partie du ciel l'on veut parcourir, sur tel astre que l'on veut observer et reconnaître. Placé fort commodément en haut vers l'ouverture du tuyau (1), M. Herschell, isolé et dans une obscurité propice, observe, fait ses remarques, et les dicte à miss Herschell, sa sœur et sa coopératrice, qui est renfermée dans un petit cabinet au centre de l'échafaudage formant le pied de l'instrument; devant elle un mécanisme ingénieux représente et trace sur une carte céleste les degrés d'élévation, d'abaissement, et les divers mouvemens en tout sens qu'a faits le télescope depuis le point de départ; ce qui la met à portée de juger et de faire connaître, même à l'observateur, vers

que

(1) Il n'avait pas encore alors supprimé le petit miroir

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quel point est dirigé son télescope, et à quelle étoile se rapMÉMOIRE. portent les circonstances qu'il observe et qu'il croit dignes de noter. C'est ainsi que, séparés du reste des hommes, l'esprit et les regards élevés vers les régions célestes, le frère et la sœur, unis de pensées et d'actions, s'occupent sans cesse dans le silence des nuits à parcourir les régions les plus reculées de la voûte étoilée, cherchant de nouveaux mondes dont la découverte ne coûtera jamais rien à l'humanité. Nous devons le dire, et nous ne craignons pas d'être démentis par celui qui y aurait le plus d'intérêt, c'est à sa digne et inimitable sœur que M. Herschell est redevable en grande partie de ces observations nombreuses et curieuses sur les étoiles fixes, dont il a enrichi l'astronomie. En effet, quelle autre que miss Herschell aurait la complaisance, la patience, le courage et le zèle de s'identifier ainsi à des recherches, à des veilles, à des travaux aussi longs, aussi ingrats, aussi fatigans? M. Herschell ne refusera donc pas de céder quelque portion d'une gloire qu'il peut partager avec une sœur, sans en rien perdre (1).

Non loin du télescope de vingt pieds, nous aperçûmes les principales pièces d'un autre instrument du même genre, mais bien plus considérable : il devait avoir quarante pieds de foyer. Le corps était déjà tout assemblé, l'un de nous entra presque debout dans le tuyau. Quant aux miroirs, le grand était fondu et ébauché; on juge bien que la grandeur de son diamètre nécessitait une épaisseur suffisante pour que sa forme et sa courbure ne fussent point altérés dans les diverses positions qu'il devait prendre, d'où résultait un poids très-considérable, en y joignant celui du cadre sur lequel il était monté. Il ne fallait rien moins que l'adresse et l'expé

(1) L'astronomie doit encore à miss Herschell la découverte de plusieurs

comètes.

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rience de M. Herschell pour vaincre les difficultés de l'assemblage et des mouvemens des pièces d'un télescope d'une aussi MÉMOIRE. grande dimension.

Nous partîmes de Slough avec le regret de n'avoir eu ni le tems ni le loisir d'examiner dans un plus grand détail des objets aussi intéressans. Nous aurions sur-tout été fort curieux de pénétrer dans l'atelier de M. Herschell, de voir la manière dont il montait et travaillait ses grands miroirs, d'en connaître la composition; mais la discrétion nous fut commandée par la reconnaissance. En effet, il n'est point d'accueil plus gracieux que celui que nous reçûmes de cet homme célèbre, dont les talens, l'honnêteté et la modestie méritent le respect et l'admiration de tous ceux qui ont occasion de le connaitre. En repassant à Londres, je convins avec M. Ramsden qu'aussitôt mon retour en France je lui ferais une demande officielle de tous les instrumens que je désirais avoir pour l'Observatoire. Arrivé à Paris au mois de décembre 1787, je ne tardai point à voir le ministre et à lui rendre compte de ma mission. Ayant réussi à lui communiquer l'enthousiasme que m'avaient inspiré les ouvrages de M. Ramsden, je parvins aisément à lui faire adopter mes idées, et je le décidai à commander en Angleterre deux instrumens capitaux. J'eus ordre d'écrire aussitôt à M, Ramsden, et dès les premiers jours de janvier 1788, je lui demandai de la part du Gouvernement, pour l'Observatoire royal, une lunette des passages et un quart de cercle mural de huit pieds de rayon, tournant comme celui du duc de Marlborough (1). La réponse de M. Ramsden fut telle que je pouvais la désirer. Il hésitait seulement sur la proposition que je lui faisais d'envoyer dans son atelier deux Français, dans la crainte que ses ouvriers ne

(1) Voyez Lettre à M. Ramsden, et sa réponse; Pièces justificatives, No VI.

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voulussent pas les souffrir; mais, comme il me laissait entreMÉMOIRE. voir la possibilité de lever par la suite cet obstacle, je pris un autre parti, celui de placer d'abord mes apprentis à Londres, dans l'atelier d'un assez bon artiste, nommé Adams, d'origine française, faisant des affaires avec Paris, et qui ne répugnait point à recevoir des ouvriers français. De là, après s'être familiarisés avec la langue et les mœurs anglaises, mes jeunes gens devaient passer chez les frères Strougton, les plus habiles de Londres après Ramsden, chez qui ils finiraient par se présenter, et seraient reçus d'autant plus facilement, qu'ils seraient alors déjà connus parmi les ouvriers anglais, qu'ils parleraient la langue du pays, et se trouveraient plus exercés au travail et à la manière anglaise. Je résolus préliminairement de disposer à ce voyage deux jeunes gens chez qui je reconnaitrais les dispositions requises; je devais, dans le cours d'une année, leur faire apprendre l'anglais, leur faire donner des leçons de dessin, de géométrie et d'astronomie pratique; leur procurer enfin toutes les instructions préliminaires capables de les tirer de la classe des ouvriers ordinaires, et de les élever à celle d'artistes dignes d'être les élèves d'un grand maître tel que M. Ramsden. Le sieur Hautpoix, jeune homme plein de zèle et de bonne volonté, 'ayant même des talens déjà éprouvés dans la construction des instrumens d'astronomie, vint s'offrir. C'était déjà se montrer digne de mon choix, que de sentir tout le prix du cours d'instruction que je voulais lui procurer, et d'apprécier l'avantage certain qu'il devait en tirer en tout état de choses. Je le présentai au ministre, qui m'autorisa à lui donner les maîtres nécessaires, et à chercher encore un sujet pareil et propre à remplir nos vues. Je désirais trouver quelque fils d'artiste auquel, après une année d'instruction préliminaire, j'aurais dit comme au sieur Hautpoix : Partez pour l'Angleterre, on vous paiera

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votre voyage, et l'on vous procurera toutes les recommandations et les facilités nécessaires pour être admis et pour tra- MÉMOIRE. vailler successivement chez les meilleurs artistes de Londres. Là, vous recevrez pendant trois ou quatre ans une pension suffisante pour votre existence. Ce tems expiré, vous revien drez en France, où vous exécuterez l'instrument que vous croirez être en état de faire le mieux. Le Gouvernement vous en paiera la valeur, et si l'Académie le juge digne d'éloges, vous recevrez, avec le brevet de privilégié (1), une récom± pense proportionnée à l'importance de l'ouvrage et au tems que vous aurez passé à Londres. Ce mode, qui fut adopté par le ministre, était le moyen le plus sûr et le plus efficace pour assurer au Gouvernement le fruit et l'utilité des avances qu'il voulait bien faire pour le progrès et l'encouragement

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des arts.

Sur ces entrefaites, j'eus encore le bonheur de réussir dans la plus difficile des négociations dont je m'étais chargé. A force de recherches et d'informations, j'étais venu à bout de décou vrir que dans une des premières verreries d'Angleterre, il y avait un très-bon ouvrier de famille française protestante et réfugiée, qui ne demandait pas mieux que de rentrer et de revenir en France, s'il pouvait être rétabli dans la possession de plusieurs parties des biens de sa famille qui existaient encore, et à condition qu'on lui.procurerait un établissement de verrerie où il pourrait faire tous les essais convenables pour obtenir, ainsi que nous le demandions, par un procédé sûr et constant, un flints-glass pur, sans filets, sans stries, propre, en un mot, aux besoins de l'optique. Ayant trouvé moyen de lier une correspondance avec cet étranger, par l'entremise d'une tierce personne, je lui fis connaître combien il me serait

(1) Voyez le troisième Mémoire.

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