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LITTÉRAIRE.

PHILOSOPHIQUE ET CRITIQUE,

ADRESSÉE

A UN SOUVERAIN D'ALLEMAGNE,

DEPUIS 1753 JUSQU'EN 1769,

PAR LE BARON DE GRIMM

ET PAR DIDEROT.

Première Partie.

TOME SIXIÈME.

PARIS,

LONGCHAMPS, LIBRAIRE, RUE DU CIMETIÈRE-S.-ANDRÉ, no. 3,
F. BUISSON, LIBRAIRE, RUE GILLES-CŒUR, No. 10.

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CORRESPONDANCE

LITTÉRAIRE,

PHILOSOPHIQUE,

CRITIQUE, etc.

1768.

Paris, 15 avril 1768.

Il vient d'arriver une révolution au château de Ferney, qui a prodigieusement occupé le public, et qui a été l'objet de tous les entretiens pendant plus de quinze jours; c'est, je crois, le non plus ultrà de l'attention parisienne.

M. de La Harpe que M. de Voltaire avait recueilli, il y a environ deux ans, avec femme, armes et bagage, était venu faire un tour à Paris à l'entrée de l'hiver; et après avoir passé ici quelques mois, il s'en était retourné au mois de février dernier à Ferney où sa femme était restée pendant son absence. A peine de retour auprès de son bienfaiteur, le bruit se répand qu'il est brouillé avec lui, et peu de jours après on voit M. de La Harpe avec femme, armes et bagage, revenir à Paris. Je ne connais ce jeune homme, pas même de figure; il a du talent. On dit généralement

qu'il a encore plus de fatuité, et il faut qu'il en soit quelque chose, car il a une foule d'ennemis, et son talent n'est ni assez décidé ni assez éminent pour lui en avoir attiré un si grand nombre. Ils ont profité de cette occasion pour faire insérer dans la Gazette d'Utrecht, un précis historique qui n'était point du tout à l'avantage de M. de La Harpe. Il y a répondu dans la feuille de l'Avant-Coureur avec un ton de légèreté qui ne sied pas trop bien, quand il s'agit de réfuter des calomnies qui attaquent la réputation. M. de Voltaire est venu incontinent à son secours par la déclaration suivante, insérée dans les papiers publics

« J'ai appris dans ma retraite qu'on avait in» séré dis dans la Gazette d'Utrecht, du 11 mars 1768, » des calomnies contre M. de La Harpe, jeune » homme plein de mérite, déjà célèbre par la tragé» die de Warwick, et par plusieurs prix remportés » à l'académie française avec l'approbation du » public. C'est sans doute ce mérite là même qui » lui attire les imputations envoyées de Paris

contre lui, à l'auteur de la Gazette d'Utrecht. » On articule dans cette gazette des procédés » avec moi dans le séjour qu'il a fait à Ferney. La » vérité m'oblige de déclarer que ces bruits sont >>> sans aucun fondement, et que tout cet article est calomnieux d'un bout à l'autre; il est triste » qu'on cherche à transformer les nouvelles » bliques et d'autres écrits plus sérieux, en libelles diffamatoires. Chaque citoyen est intéressé à

pu

» prévenir les suites d'un abus si funeste à la » société.

» Fait au château de Ferney, pays de Gex > en Bourgogne, ce 31 mars 1768.

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Signé VOLTAIRE.

Cette déclaration est d'autant plus honnête et généreuse, que M. de Voltaire n'a pas à se louer des procédés de M. de La Harpe : voici ce qui a donné lieu à leur brouillerie. M. de La Harpe tout en arrivant à Paris l'automne dernier, répandit une épigramme contre M. Dorat, qu'il attribuait à M. de Voltaire. Cette épigramme eut un grand succès, et était assez bonne pour pouvoir être attribuée à cet homme illustre. M. de Voltaire a toujours assuré et continue d'assurer qu'elle n'est point de lui, et l'on ne voit pas pourquoi il s'en défendrait tant, s'il en était l'auteur : dans le fait, ce ne serait qu'un juste châtiment que M. Dorat se serait attiré par son imprudence. L'autre grief est plus sérieux : M. de Voltaire prétend que M. de La Harpe lui a dérobé plusieurs papiers et entr'autres le second chant de la Guerre de Genève, et qu'il a répandu ce dernier morceau à Paris, non-seulement à l'insu de son auteur, mais contre son gré, M. de Voltaire ayant des raisons particulières de ne communiquer ce chant à personne. Il est certain, et je peux l'attester, que ce chant ne nous est venu que par M. de La Harpe; il a même dit à un de mes amis dont je l'ai tenu ensuite, que M. de Voltaire

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