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La balance pèse donc après tout du côté de la propriété, avec un excès considérable

et manifeste.

L'inégalité des propriétés, dans le dégré où nous la voyons dans presque tous les pays de l'Europe, est un mal, si on la considère abstraitement. Mais c'est un mal qui découle de ces règles sur l'acquisition et la disposition de la propriété, par lesquelles les hommes sont excités à l'industrie, et leur industrie rendue solide et fructueuse. S'il existe quelque grande inégalité, qui ne tienne point à cette origine, elle doit être corrigée,

CHAPITRE III.

Histoire de la propriété,

Les premiers objets de propriété furent les fruits qu'un homme cueillit, et les animaux sauvages qu'il put prendre; ensuite, les tentes ou les maisons qu'il construisit, les instrumens dont il se servit pour prendre ou préparer sa nourriture; et enfin, les armes offensives pour la guerre. Plusieurs tribus sauvages du nord de l'Amérique ne sont pas allées plus loin; car on dit qu'elles recueillent leurs moissons, et portent le produit de leurs ventes parmi les étrangers, dans le magasin commun ou le trésor de la tribu.

*

Les troupeaux d'animaux domestiques devinrent bientôt propriété. Abel, le second après Adam, était gardeur de brebis; les brebis et les bœufs, les chameaux et les ânes étaient la richesse des patriarches juifs, comme celle des Arabes modernes. Comme le monde commença de se peupler dans l'orient, où l'eau est extrêmement rare, les sources probablement devinrent bientôt propriété. Nous le savons, parce qu'il en est souvent fait mention d'une manière sérieuse dans l'ancien Testament ? à cause des disputes et des traités dont elles furent l'occasion (1); et parce que, parmi les actions les plus mémorables d'un homme distingué, il est souvent parlé du creusement d'un puits, ou de la découverte d'une source. La terre, qui est maintenant une partie si importante de la propriété, qui est seule regardée par nos lois comme propriété réelle, et qui fixe d'une façon si particulière l'attention des législateurs ; la terre, dis-ję, ne devint propriété dans aucun pays, selon toutes les rences, que long-temps après l'institution de plusieurs autres sortes de propriété ; c'est-àdire, lorsque le pays devint trop populeux, et qu'il fallut penser à la culture. Le premier

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(1) Gen. XXI, 25; XXVI, 18.

partage de terres, dont nous ayons connaissance, est celui que firent entr'eux Abraham et Lot, de la manière la plus simple que l'on puisse imaginer : « si vous prenez la gauche, je prendrai la droite; si vous prenez la droite, je prendrai la gauche. »

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Dans les détails que César donne sur la Bretagne, l'on ne voit point d'indices de la propriété; il y en a bien peu dans l'histoire des patriarches juifs; il n'y en a point du tout parmi les nations de l'Amérique septentrionale. Il est dit expressément que les Scythes avaient en propriété leurs troupeaux et leurs maisons, mais la terre était en commun. La proque priété des biens immeubles ne dura pas d'abord plus long-temps que l'occupation. Aussi long-temps qu'un homme avec sa famille fut en possession d'une grotte, ou que ses troupeaux allèrent paître sur la montagne voisine, personne n'essaya, ou ne crut légitime, de le troubler ou de le chasser; mais lorsque cet homme quitta sa grotte ou changea de pâturage, le premier qui trouva l'un et l'autre vides, s'en empara sur le même titre que son prédécesseur, et fit place à son tour à celui qui lui succéda. Ce ne fut probablement qu'après l'établissement du gouvernement civil ́et des lois, que la propriété devint plus permanente: elle fut donc réglée par les lois, Qu suivant la volonté du chef alors en autorité.

CHAPITRE IV.

Sur quoi se fonde le droit de propriété.

Nous parlons de la propriété foncière, et il est difficile d'expliquer l'origine de cette propriété d'une manière conforme à la lumière naturelle. Car indubitablement la terre était d'abord en commun; et il s'agit de savoir comment une portion particulière a pu être enlevée à la communauté, et tellement appropriée au premier possesseur, que celui-ci ait eu sur elle plus de droit que les autres; ou, ce qui est bien plus encore, ait eu le droit d'en exclure tous les autres.

Les moralistes ont donné différentes explications sur ce sujet : cette diversité seule est peutêtre une preuve qu'aucune n'est satisfaisante.

L'un nous dit que les hommes, lorsqu'ils laissèrent un individu s'emparer d'une portion de terre, abandonnèrent leur droit sur cette portion, par un consentement tacite. Comme le champ appartenait aux hommes collectivement, et que les hommes abandonnèrent ainsi leur droit au premier occupant, ce champ devint dès-lors sa propriété, et personne ensuite n'eut le droit de le molester dans sa possession.

La difficulté de cette explication consiste Tom. I.

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en ce qu'on ne peut jamais conclure que se taire est consentir, lorsque celui qui doit consentir n'a nulle connaissance de l'objet. Or tous les hommes doivent avoir été dans ce cas, excepté les plus voisins du lieu où la propriété fut acquise. Et supposer que le champ appartenait d'abord aux hommes du voisinage, et qu'ils avaient un pouvoir légitime d'en conférer la possession à qui ils voulaient, c'est supposer la question résolue, et un partage de terres déjà fait.

Un autre dit que les membres et le travail 'd'un homme lui appartiennent exclusivement; qu'en cultivant une portion de terre, un homme confond inséparablement son travail avec elle; et que par cela même cette portion devient dès-lors exclsuivement à lui, puisque vous ne pouvez la lui ôter, sans le priver en même temps de quelque chose qui lui appartient évidemment.

Telle est la solution de M. LOCKE. Ce raisonnement semble juste en effet, lorsque la valeur du travail est dans une grande proportion avec la valeur de la chose, ou lorsque la chose dérive tout son usage et toute sa valeur du travail même. Ainsi le gibier et le poisson, bien qu'ils soient en commun, lorsqu'ils sont libres dans les bois ou dans les eaux, deviennent à l'instant la propriété de celui qui peut les prendre, parce que l'animal une fois

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