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les conversations qu'ils entendent, l'application commune des épithètes, la tournure générale du langage et mille autres causes dont l'effet ordinaire est qu'une société d'hommes faiblement atteints de la même passion se la communiquent bientôt les uns aux autres dans le plus haut degré (1). Tel est le cas de chacun de nous à présent; et voilà pourquoi les effets de la sympathie décrits dans l'avantdernier paragraphe, sont ou insensibles ou inutiles.

Parmi les causes que nous avons assignées à la perpétuité et à la généralité des mêmes sentimens moraux dans toute l'espèce humaine, nous avons parlé de l'imitation. On peut observer l'efficacité de ce principe, surtout chez les enfans. En effet, s'y a quelque chose en eux qui mérite le nom d'instinct, c'est leur penchant

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(1) « Les exemples des tumultes populaires, des séditions, des factions, des terreurs paniques et de toutes » les passions qu'une multitude partage à la fois, peuvent nous apprendre à connaître quelle est l'influence de la société pour exciter ou pour conserver une émotion quelconque. Par elle nous voyons les désordres les plus » violens naître des occasions les plus frivoles. Il faut » être plus ou moins qu'un homme, pour ne pas s'enflammer » dans l'embrasement commun. Faut-il donc s'étonner que les sentimens moraux exercent une telle influence sur » toute la vie, bien qu'ils aient leur source dans des principes, qui, au premier coup d'oeil peuvent paraître » insignifians et délicats?» HUME, recherches sur les principes de la morale; sect. IX.

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à l'imitation. Or, il n'est rien que les enfans imitent ou appliquent plus promptement que les expressions d'affection et d'aversion, d'approbation, de haine, de ressentiment, et autres semblables. Lorsque ces expressions et ces passions sont une fois liées (et elles le sont bientôt par la même association qui unit les mots et les idées), la passion suit l'expression et s'attache à l'objet auquel l'enfant a l'habitude de joindre l'épithète. En un mot, tandis que presque toutes nos connaissances nous viennent de l'imitation, devons-nous être étonnés que la même cause entre dans la formation de nos sentimens moraux ?

Une autre objection considérable contre le systême des instincts moraux est celle-ci : c'est qu'il n'y a point de maxime en morale que l'on puisse appeler innée, puisqu'il n'est peutêtre pas possible d'en assigner une seule qui soit absolument et universellement vraie; en d'autres termes, qui ne plie point aux circonstances. La véracité, qui semble un devoir naturel, s'il en fut jamais, n'est cependant pas regardée comme nécessaire dans bien des cas envers un ennemi, un voleur ou un fou. L'obligation, de remplir sa promesse, qui est un principe capital en morale, dépend des circonstances où la promesse fut faite. Elle peut avoir été illégitime, où l'être devenue depuis, ou incompatible avec de précédentes promesses,

ou erronée, ou extorquée. Dans toutes ces circonstances, on peut trouver des cas, où l'obligation de remplir sa promesse est fort douteuse. Il en est de même de presque toutes les règles générales, lorsqu'on en vient à l'appli

cation.

On a proposé un autre argument pour attaquer la doctrine d'un instinct moral. Avec cet instinct, dit-on, il aurait aussi fallu rendre innée une idée claire et précise de l'objet auquel il devait s'attacher. L'instinct et l'idée de l'objet sont inséparables même dans notre imagination, et s'accompagnent aussi nécessairement que puissent le faire des idées. corrélatives; c'est-à-dire, pour parler clairement, que, si nous sommes conduits par la nature à approuver des actions particulières

nous

devons aussi avoir reçu de la nature une notion distincte de l'action que nous devons approuver; notion que nous n'avons certainement pas reçue.

Mais comme cet argument porte également sur tous les instincts, et démentirait leur existence chez les animaux aussi bien que chez les hommes, il est difficile, je pense, qu'il produise la conviction, quoiqu'il soit aussi difficile d'y trouver une réponse.

D'après ces raisons, il me semble, ou qu'il n'existe point d'instincts, tels que ceux dont on compose le sens moral, ou qu'il est impossible Tom. I.

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maintenant de les distinguer des préjugés et des habitudes. En conséquence on ne peut pas se fonder sur eux en raisonnant sur la morale: je veux dire que ce n'est pas une manière sûre de procéder que de prendre certains principes comme autant de dictamens, d'impulsions, d'instincts de la nature, et ensuite de tirer des conclusions de ces principes sur la justice ou l'injustice des actions, indépendamment de la tendance de ces actions, ou de toute autre considération.

ARISTOTE établit, comme une maxime fondamentale et évidente par elle-même, que la nature fait les barbares pour étre esclaves; et il procède en tirant de ce principe une suite de conséquences calculées pour justifier la politique alors en usage. Et je demande si la même maxime n'est pas aussi évidente à la compagnie des marchands qui négocient sur les côtes d'Afrique.

Rien n'est plutôt fait qu'une maxime. Et il paraît, par l'exemple d'Aristote, que l'autorité, la convenance, l'éducation, les préjugés, l'usage général, n'aident pas peu à les faire. Les lois de la mode sont prises facilement pour les ordres de la nature.

D'après ces raisons, je soupçonne qu'un systême de morale, bâti sur les instincts, ne servira qu'à trouver des raisons et des excuses pour les opinions et les usages déjà établis,

sans corriger ou réformer que rarement les uns ou les autres.

Mais encore, supposé que nous admettions l'existence de ces instincts, quelle est, demandera-t-on, leur autorité? Personne, ditesvous, ne peut agir de dessein prémédité contre un instinct sans éprouver un secret remords de conscience. Mais on peut supporter ce remords, et si le pécheur préfère de s'y soumettre, en faveur du plaisir ou du profit qu'il attend de sa corruption; ou s'il trouve que le plaisir du péché excède le remords de la conscience chose dont il est lui-même le juge, et sur laquelle il ne peut se tromper, quand il éprouve à la fois les deux sentimens, le partisan des instincts moraux n'a rien de plus à lui dire.

Car, s'il allégue que ces instincts sont autant d'indications de la volonté de Dieu, et par conséquent des présages de ce que nous avons à attendre après cette vie, je réponds que c'est en appeler à une règle et un motif, ultérieurs aux instincts eux-mêmes; et auxquels nous arriverons peut-être par une voie plus sûre.— Je dis plus sûre, tant qu'il y a lieu de disputer s'il existe ou non quelques maximes instinctives; et qu'il est difficile de déterminer quelles maximes sont instinctives.

Cette célèbre question devient donc, dans notre systême, une question de pure curiosité; et comme telle, nous la laissons à la décision

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