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» à boire (1); » tous exemples de droits imparfaits. Si un homme, dont nous avons reçu quelque offense, nous demande un suffrage auquel ses qualités lui donnent des titres, nous ne devons pas le lui refuser, par un motif de ressentiment, ou par le souvenir des torts que nous avons reçus de lui. Son droit, et notre obligation, qui est la suite de ce droit, ne sont point altérés par son inimitié contre nous, ou par la nôtre contre lui.

D'un autre côté, je ne conçois pas que ces défenses aient pour but d'empêcher la poursuite et la punition des crimes publics. Dans le dix-huitième chapitre de St. Matthieu, notre Sauveur dit à ses disciples: « si votre frère

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qui vous a offensés, refuse d'écouter l'église, >> regardez-le comme un païen et un publi» cain.» Immédiatement après, lorsque St. Pierre lui demande : « combien de fois faudra>> t-il que je pardonne à mon frère qui m'aura >> offensé? Sera-ce jusqu'à sept fois ? » Christ répond: « je ne vous dis pas jusqu'à sept fois, » mais jusqu'à septante fois sept fois; » c'està-dire, aussi souvent que l'offense sera répétée.

(1) Voyez aussi Erode XXIII, 4: Quand le bœuf ou » l'âne de votre ennemi se sera égaré, et que vous le ren» contrerez, vous ne manquerez pas de le ramener. Quand vous verrez l'âne de votre ennemi abattu sous sa charge » si vous ne l'avez pas secouru, vous aiderez son maître » à le relever. »

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De ces ces deux passages voisins, comparés ensemble, nous sommes autorisés à conclure que le pardon d'un ennemi n'est point incompatible avec une poursuite dirigée contre lui, comme coupable d'un crime public; et que la discipline établie dans les sociétés civiles ou religieuses, pour contenir ou pour punir les coupables, doit être maintenue.

Si ces défenses ne doivent point retenir le magistrat dans l'exercice de son emploi, elles ne doivent point retenir l'accusateur; car la fonction de l'accusateur est aussi nécessaire que celle du magistrat.

Par la même raison, il n'est point défendu aux particuliers de corriger le vice, lorsqu'il est en leur pouvoir de le faire; pourvu qu'ils soient assurés d'être provoqués par la faute, et non par l'injure; et que leurs motifs soient entièrement dégagés de tout mélange de cet orgueil, qui jouit et triomphe par l'humiliation d'un antagoniste.

Ainsi, l'on ne viole point la charité chrétienne en refusant de se trouver avec certaines personnes, et de leur rendre des politesses, lorsque par là l'on improuve et l'on décourage quelque pratique vicieuse. C'est cette branche de discipline extrajudiciaire qui supplée aux défauts et à la faiblesse des lois. Elle est expressément autorisée par St. Paul (1 Cor. V, 11.): « Mais je vous écris maintenant que vous ne

» devez point avoir de communication avec aucun qui prend le nom de frère parmi » vous, s'il est impudique, ou avare, ou idolâtre; s'il outrage les autres; s'il est ivrogne, » ou ravisseur du bien d'autrui; et que vous » ne devez pas même manger avec un tel

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homme. » L'utilité d'une telle association contre le vice est depuis long-temps éprouvée dans un cas remarquable, et pourrait s'étendre avec avantage à plusieurs autres. La coalition des femmes honnêtes, pour exclure de leur société les femmes entretenues et les prostituées, contribue peut-être plus à décourager ce genre de vie, et empêche un plus grand nombre de femmes de l'embrasser, que toutes les considérations réunies de la prudence et de la religion.

Il nous est aussi permis de prendre les précautions nécessaires pour n'être plus exposés aux mêmes injures, ou pour ne pas exciter à les répéter. Si un domestique ou un négociant nous ont trompés, nous ne sommes plus tenus de nous fier à eux; car ce serait les encourager dans leurs pratiques criminelles, et par conséquent leur faire un grand tort.

Lorsqu'un bienfait ne peut être accordé qu'à une seule personne, ou à un très-petit nombre; et lorsque le choix de la personne à qui nous l'accordons est une marque de faveur pour elle, nous sommes libres de préférer ceux qui ne

nous ont pas offensés à ceux qui l'ont fait Le contraire n'est exigé nulle part.

Jésus-Christ, qui, comme on l'a démontré (1), estimait les vertus par leur utilité réelle, et non par la mode et l'opinion populaire, préfère le pardon des injures à toute autre vertu, Il le commande plus souvent, d'une manière plus pressante, sous une plus grande diversité de formes, en y ajoutant cette circonstance particulière et frappante: c'est que le pardon des injures que nous avons reçues des autres, est la condition sans laquelle nous ne pouvons attendre de Dieu, ni même lui demander le pardon de nos propres fautes. Cette préférence est justifiée par l'importance suprême de cette vertu en elle-même. Les haines et les animosités dans les familles et parmi les voisins, qui troublent si souvent la vie humaine et sont la source de la moitié de ses misères, ne viennent que d'un défaut d'indulgence, et ne peuvent cesser que par l'exercice de cette vertu, dans une des parties, ou dans l'une et l'autre à la fois.

(1) Voyez l'ouvrage intitulé: a View of the internal evidence of the Christian Religion. Aut.

Il existe deux traductions en français de cet excellent ouvrage, rempli de vues neuves et frappantes. Je ne connais que la première, intitulée: évidence intrinsèque du Christianisme, 1 vol. in-12, avec quelques notes médiocres. Trad.

CHAPITRE IX.

Du duel.

Le duel, comme punition, est absurde. Car il est aussi probable que la punition tombera sur l'offensé que sur l'offenseur. Il n'est guère moins absurde comme réparation; il est, en effet, difficile d'expliquer en quoi la satisfaction consiste; comment elle peut réparer l'injure, ou fournir un dédommagement pour le tort déjà reçu.

La vérité est qu'on ne le considère sous aucun de ces deux rapports. La loi de l'honneur ayant attaché le reproche de lâcheté au silence dans les affronts, l'on donne et l'on accepte un cartel, sans autre dessein que de prévenir ou de détruire ce soupçon; sans malice contre son adversaire, généralement sans aucun désir de le tuer; et sans autre but que de conserver dans le monde la réputation et l'honneur de la personne offensée.

L'absurdité de cette règle de conduite est une considération : le devoir et la conduite même des individus, tant que cette règle subsiste, en est une autre.

A cet égard, l'unique et véritable question est celle-ci le soin de notre réputation est-il.

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