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ou n'est-il pas un motif suffisant pour nous justifier d'ôter la vie à un autre homme ?

Le meurtre est défendu; et toutes les fois

que l'on détruit la vie d'un homme, autrement que par l'autorité publique, l'on commet un meurtre. Le prix de la vie humaine et la sûreté nécessaire à sa conservation rendent cette règle indispensable. Je ne vois pas que l'on puisse trouver pour le meurtre une autre définition, qui n'autorise pas la violence particulière, au point de rendre la société un théâtre de dangers et de carnage.

Si des lois d'honneur sans autorisation sont regardées comme suffisantes pour faire naître des exceptions aux défenses émanées de la Divinité, c'en est fait de toute morale fondée sur la volonté de Dieu; l'obligation de chaque devoir peut, une fois ou l'autre, être anéantie par les fluctuations et les caprices de la mode. Mais le sentiment de la honte est une » véritable torture: et il n'est point d'autre » remède pour l'éloigner que d'attaquer la vie » de notre adversaire. » Qu'en conclure? Les maux que les hommes souffrent faute d'argent sont quelquefois extrêmes; et il ne se présente d'autre ressource que celle de détruire une vie, qui se trouve entre la personne malheureuse et l'héritage qu'elle attend. Le motif, dans ce cas, est aussi pressant, et les moyens à-peu-près les mêmes, que dans le cas

précédent. Cependant, cette cause ne trouve point de défenseurs.

Mettez de côté cette circonstance que le duelliste expose sa propre vie, et le duel devient assassinat. Admettez cette circonstance: quelle différence produit-elle ? Aucune; si ce n'est qu'un plus petit nombre, peut-être, imitera cet exemple, et que la vie humaine en aura un peu plus de sûreté, puisqu'elle ne pourra être attaquée sans que l'agresseur expose la sienne propre. L'expérience prouve cependant qu'il ya, dans un grand nombre d'hommes, assez de courage pour se soumettre à ce danger. Et quand il en serait autrement, le moyen de défense que l'on voudrait en tirer, ressemblerait précisément à celui que pourrait employer un voleur, dont l'entreprise aurait été si courageuse et si désespérée, qu'il serait sans apparence qu'un bien grand nombre d'hommes voulussent tenter de l'imiter.

En condamnant ainsi la conduite du duelliste, j'ai toujours supposé que son adversaire est tué. Cette supposition est légitime. Car, si un homme n'a pas droit de tuer son adversaire, il n'en a pas plus de l'entreprendre.

D'un autre côté, je m'abstiens d'appliquer au cas du duel le principe évangélique du pardon des injures; parce qu'il est possible de supposer que l'injure est pardonnée, et que le duelliste n'agit que par égard pour sa propre

réputation. S'il en est autrement, le crime du duel est manifeste, et d'autant plus considérable.

Sous ce point de vue, il paraît inutile de distinguer entre celui qui donne, et celui qui accepte un défi: ils courent l'un et l'autre la même chance de détruire une vie; et ils agissent par la même persuasion que ce qu'ils font est indispensable pour recouvrer ou conserver leur honneur dans la société.

L'opinion publique est difficilement comprimée ou modifiée par les institutions civiles. C'est pourquoi je mets en question s'il est possible de trouver des règlemens, dont la force soit suffisante pour changer la loi d'honneur qui frappe tous les scrupules sur le duel du reproche de lâcheté.

L'insuffisance de la réparation, que la loi pays accorde pour les injures qui affectent

de ce

un homme dans son honneur et sa sensibilité, excite un grand nombre de personnes à se venger elles-mêmes. La poursuite judiciaire de ces offenses, n'aboutissant qu'à obtenir un misérable dédommagement, rend seulement l'offensé plus ridicule. C'est un mal auquel on devrait porter remède.

Quant à l'état militaire, où l'on s'attache au point d'honneur avec une attention et une délicatesse exquises, je voudrais y établir une cour d'honneur, avec pouvoir d'ordonner ces

A

soumissions et ces excuses, que l'on veut obtenir ordinairement par un défi. L'usage pourrait enfin s'établir, parmi la noblesse de toutes les professions, de rapporter toutes les querelles au même tribunal.

Le duel, par les lois actuelles, peut difficilement être atteint d'une punition légale. Le défi, le rendez-vous, et toutes les circonstances préliminaires, qui indiquent l'intention dans laquelle les combattans se sont rencontrés, sont soigneusement supprimés; et la cour de justice n'y voit plus qu'une simple rencontre. Et, si une personne est tuée en combattant contre son adversaire, la loi ne regarde sa mort que comme un homicide non prémédité.

CHAPITRE X.

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Des procès.

» S'IL est possible, vivez en paix avec tous » les hommes. Ce précepte contient un aveu indirect que cela n'est pas toujours possible.

Les exemples (1), qui sont contenus dans

(1)« Si quelqu'un vous donne un soufflet sur la joue droite, » présentez-lui aussi l'autre; si quelqu'un veut vous faire » un procès pour avoir votre tunique, abandonnez-lui aussi » votre manteau; si quelqu'un veut vous contraindre de faire » mille pas avec lui, faites-en deux mille. » Matth. V, 34

41.

le cinquième chapitre de St.-Matthieu, doivent être regardés plutôt comme une manière proverbiale de décrire certains devoirs de douceur et de bienveillance, ou le caractère vers lequel nous devons tendre, que comme des directions que nous soyons tenus d'observer à la lettre, ou dont l'observation soit en elle-même fort importante. Le premier de ces exemples est: « si votre ennemi vous donne un soufflet sur la joue droite, présentez-lui aussi la gauche;» cependant, lorsqu'un des soldats frappa Jésus sur la joue, nous trouvons que Jésus releva cet outrage avec une juste indignation : « si » j'ai mal parlé, faites voir ce que j'ai dit de » mal: mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous (1)? » On peut observer encore que ces différens exemples sont pris dans des injures légères et tolérables. Une règle, qui défendrait toute opposition aux injures, toute défense contre les attaques, ne pourrait avoir d'autre effet que celui de mettre les bons sous la puissance des méchans, et de livrer une moitié du genre humain aux déprédations de l'autre moitié; ce qui ne manquerait pas d'arriver, si quelques-uns se regardaient comme liés par cette règle, tandis qu'elle serait méprisée par les autres. St. Paul, qui, plus que personne,

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(2) Jean XVIII, 22, 23,

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