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recommandait l'indulgence et le pardon des injures avec un profond sentiment de l'importance et de l'obligation de ces vertus, nė croyait pas cependant qu'elles rendissent nécessaire de se soumettre entièrement, et sans résistance, à tous les outrages, ou de négliger les moyens de salut et de défense personnelle. Il chercha un asile dans les lois de son pays, et dans les priviléges des citoyens romains, contre la conspiration des Juifs (Act. XXV, 11.), et contre la violence clandestine du premier capitaine ( Act. XXII, 25). Et cependant, c'est le même apôtre qui reprocha aux Corinthiens leur esprit litigieux avec tant de sévérité. « C'est un défaut parmi vous d'avoir » des procès les uns contre les autres; pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu'on vous » fasse tort? pourquoi n'endurez-vous pas » plutôt quelque perte (1)? »

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D'un côté donc, le christianisme exclut tout motif de vengeance, toute poursuite pour un objet frivole en sorte que, lorsque l'injure est petite; lorsque l'on ne peut produire aucun bon effet par un exemple public; lorsqu'il n'est pas probable que le pardon amène une répétition de l'injure, ou lorsque la dépense d'un procès devient une punition trop sévère

(1) 1 Cor. VI, 7.

pour l'offense; alors il est défendu au chrétien, par sa religion, d'avoir recours à la loi.

D'un autre côté, une poursuite juridique n'est en opposition avec aucune règle de l'évangile, lorsqu'elle est entreprise :

1. Pour établir un droit important;

2. Pour obtenir une compensation de quelque dommage considérable ;

que

3. Pour prévenir quelque injure prochaine. Mais, puisque l'on suppose le procès entrepris dans le simple but d'obtenir justice et sûreté, le demandeur est tenu de choisir la voie la moins dispendieuse pour l'atteindre; ainsi de consentir à tout moyen paisible d'y arriver. Ainsi, il doit consentir à un arbitrage, dans lequel les arbitres peuvent faire ce que la loi ne fait point, partager le dommage, lorsque le tort est réciproque; ou à terminer l'affaire en acceptant une compensation sur le tout, sans entrer dans un détail d'articles, qu'il est quelquefois très-difficile d'ajuster séparément.

Quant au reste, le devoir des parties plaidantes est exprimé dans les directions suivantes : Ne point prolonger un procès par des appels contre votre propre conviction,

Ne point entreprendre ou soutenir un procès contre un adversaire pauvre, ou le rendre plus long ou plus dispendieux qu'il ne faut, dans l'espérance de l'intimider ou de le fatiguer par les dépenses.

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N'exercer aucune influence sur les témoignages par votre autorité ou par vos promesses. Ne point en supprimer que vous ayez en votre pouvoir, quoiqu'ils puissent faire contre

vous.

Jusqu'ici nous avons parlé des actions civiles. Dans les poursuites criminelles, l'accusateur doit oublier son injure personnelle et procéder dans le même esprit et d'après les mêmes motifs que le magistrat, l'un étant un ministre de la, justice aussi nécessaire que l'autre, et tous les deux, étant tenus de ne se laisser conduire que par un amour impartial du bien public.

Autant la punition d'un coupable est utile ou son impunité dangereuse pour la communauté, autant celui qui fut l'objet du crime est tenu de le poursuivre; parce que cette poursuite doit, par sa nature, partir de la personne lésée.

En conséquence, les grands crimes, comme les vols, les faux et autres semblables, ne devraient point être épargnés par la crainte du trouble ou de la dépense où pourrait nous jeter leur poursuite, ni par une fausse honte ou une compassion déplacée.

Il y a certains vices, comme la perturbation du repos public, le monopolé, la contrebande, la violation du dimanche, la profanation l'ivrognerie, la prostitution, l'établissement Tom. I.

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d'une maison de débauche, la composition, la publication oula vente des livres ou des tableaux lascifs, et plusieurs autres du même genre, dont la poursuite appartient également à tous ceux qui habitent dans le voisinage, et ne peut, par conséquent, être imposée comme une obligation sur aucun.

Néanmoins, la personne qui entreprend cette poursuite sur de justes motifs ne laisse pas d'avoir beaucoup de mérite : ce qui produit à-peu-près le même effet.

C'est sans raison que le caractère d'un délateur est odieux dans ce pays. Mais, dans tous les cas où une dénonciation ou le soin de faire exécuter la loi peut produire un avantage bien décidé pour le public, un honnête homme doit mépriser un préjugé qui n'est point soutenu par de justes raisons, et pourra se justifier de toute imputation d'intérêt personnel, en abandonnant sa portion de l'amende ou de l'indemnité.

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D'un autre côté, les poursuites qui n'ont d'autre objet que la récompense qui s'y trouve attachée, ou la satisfaction d'une haine particulière (lorsque la faute ne produit aucune perte pour le public, ou n'est que l'effet de l'ignorance et de l'imprudence), sont réprouvées par cette défense générale de ne jamais appliquer un article de la loi dans un but vers lequel il n'était pas dirigé. On

peut ranger dans la même classe l'action de ceux qui font revivre officieusement des lois surannées, contre des prêtres catholiques, ou des docteurs non-conformistes.

CHAPITRE XI.

De la reconnaissance.

LES exemples d'ingratitude arrêtent ou découragent la bienfaisance volontaire; et c'est en cela que consiste le mal produit par l'ingratitude. Ce mal n'est pas peu de chose. Car, après avoir fait tout ce qu'on peut faire pour avancer le bien public, en prescrivant des règles de justice, et les fesant exécuter par des punitions oupar la force, il faut laisser beaucoup encore à ces bons offices, dont les hommes sont libres de se dispenser ou de s'acquitter. Or, non-seulement le choix des objets, mais encore la quantité et l'existence même de ces bons offices dans le monde, dépendent, en grande partie, de la reconnaissance qu'ils font naître; et c'est là une considération d'une importance générale.

Une autre motif pour cultiver en pous le sentiment de la reconnaissance est le suivant :

Le même principe, qui est touché de la bonté d'un bienfaiteur humain, est aussi susceptible d'être affecté par la bonté divine, et de devenir,

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