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liberté; point d'offense contre la réputation, point de préjudice contre les intérêts de personne. S'il n'y avait rien de plus à considérer, il serait difficile de montrer pour quelle raison un homme, dans de telles circonstances, ne devrait pas donner cours à son esprit. Mais lorsqu'il considère que ses scrupules sur le mensonge l'ont jusque-là préservé de ce vice; qu'il se présentera souvent de nouvelles occasions dans lesquelles la tentation sera aussi forte et le mensonge moins innocent; que ses scrupules s'évanouiront par quelques transgressions répétées, et le laisseront livré à l'une des plus basses et des plus dangereuses de toutes les mauvaises habitudes, l'habitude de mentir, toutes les fois qu'il y trouvera son interêt; lors, dis-je, qu'il pèsera toutes ces considérations, il méprisera, s'il est sage, la jouissance présente, fût-elle plus grande encore, plutôt que de poser les fondemens d'un caractère vicieux et dégradé.

Par ce que nous venons de dire, nous pouvons expliquer encore la nature de la vertu habituelle. D'après la définition de la vertu, placée à la téte de ce chapitre, il paraît que le bien de l'humanité est le sujet, la volonté de Dieu la règle, et le bonheur éternel le motif et la fin de la vertu. Mais, dans le fait, un homme accomplira plusieurs actes de vertu, sans penser ni au biẹn de

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l'humanité, ni à la volonté de Dieu, ni au bonheur éternel. Comment faut-il entendre cela? De la même manière qu'un homme peut être un très-bon domestique, sans penser à chaque pas à la volonté de son maître; sans avoir une attention expresse à ses intérêts. Votre excellent vieux domestique même est de ce genre. Mais alors il faut qu'il ait servi long-temps, sous l'influence directe et réelle de ces motifs, pour arriver à ce point; et c'est dans ce service que consistent son mérite

et sa vertu.

Il y a des habitudes, non-seulement de manger, de jurer, de mentir, et quelques autres, que l'on sait être et que l'on appelle des habitudes; mais encore de toutes les modifications d'action, de parole et de pensée. L'homme est un assemblage d'habitudes. Il y a des habitudes d'industrie, d'attention, de vigilance, de réflexion; des habitudes de céder promptement au jugement qui se présente, ou à la première impulsion des passions; d'étendre nos vues sur l'avenir, ou de nous arrêter sur le présent; de comprendre, de disposer, de raisonner, de renvoyer et de négliger; des habitudes de vanité, d'amourpropre, de mélancolie, de partialité, d'humeur, de soupçon, de ruse, de censure, de fierté. d'ambition, de convoitise; de duper, d'intriguer, de faire des projets. En un mot, il n'y a pas

une qualité, pas une fonction, soit de l'ame, soit du corps, qui n'éprouve l'influence de cette grande loi de la nature animée.

II. La religion chrétienne n'a point déterminé précisément le degré de vertu nécessaire pour le salut.

On a fait de cela une objection contre le christianisme; mais sans raison. Car, comme toute révélation, de quelque manière qu'elle ait été donnée d'abord, doit être transmise par le véhicule ordinaire du langage, ceux qui font cette objection doivent montrer qu'il était possible d'exprimer cette quantité par quelque forme de langage, ou d'établir quelque modèle de perfection morale, accommodé à la diversité presque infinie qui se trouve dans les circonstances extérieures des différens hommes.

Il semble beaucoup plus conforme à notre manière de concevoir la justice, et assez en accord avec le langage de l'écriture ( 1 ), de supposer qu'il a été préparé pour nous des punitions et des récompenses, dans tous les degrés possibles, depuis le bonheur le plus

(1) « Celui qui sème peu, moissonnera peu, et colui qui » sème abondamment, moissonnera aussi abondamment. » 2 Cor. IX, 6. « Le serviteur qui aura su la volonté de son maître, et qui ne se sera point tenu prêt, qui ne l'aura » point exécutée, recevra un plus grand nombre de coups; mais >> celui qui ne l'a pas sue, et qui a fait des choses dignes de châtiment, en recevra moins. >> Luc. XII, 47, 48.

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relevé jusqu'à la plus extrême misère de manière que « notre travail n'est jamais perdu.» Quelques progrès que nous fassions dans la vertu, nous acquérons une augmentation proportionnée de bonheur dans le ciel ; comme aussi toute accumulation de vice «nous amasse un pareil trésor de colère. » L'on a dit providence ne serait pas juste dans son économie, si elle admettait une portion du genre humain dans le ciel, et condamnait l'autre à l'enfer, puisqu'il y a très-peu de différence entre l'homme le moins vertueux de ceux qui sont reçus dans le ciel, et le moins vicieux de ceux qui en sont exclus. Mais qui nous dira, peut-on répondre s'il y a plus de différence dans leur sort?

Sans entrer sur la morale de l'écriture dans un détail, par lequel nous anticiperions sur notre sujet, nous pouvons, je pense, avancer avec sûreté les propositions suivantes :

1.° Un état de félicité n'est point fait pour ceux qui n'ont pas la conscience d'avoir agi

« Quiconque vous donnera seulement un verre d'eau à cause » de mon nom, parce que vous appartenez au Christ, je vous » dis en vérité qu'il ne perdra point sa récompense ; » montrant par là qu'il est des récompenses proportionnées aux plus petits actes de vertu. Marc. IX, 40. Voyez aussi la parabole des talens, Luc. XIX, 16, etc., où celui dont le talent avait produit dix talens, fut placé à la tête de dix villes; et celui, dont le talent avait gagné cinq talens, à la tête de cinq villes.

d'après une règle morale ou religieuse. Je veux parler de ceux qui ne peuvent pas dire avec vérité qu'ils ont été entraînés à une action, ou détournés d'une jouissance, par un respect soit immédiat, soit habituel, pour la religion

et la vertu.

La seule preuve dont il soit besoin pour l'établir, est de considérer qu'une brute serait un objet aussi digne de récompense qu'un tel homme; et que s'il en était ainsi, les sanctions de la religion seraient illusoires. Car qui punirez-vous, si vous rendez heureux un tel homme? Ou plutôt la religion elle-même, soit naturelle, soit révélée, cesserait d'avoir son usage et son autorité,

2. Un état de félicité n'est point fait pour ceux qui se réservent la pratique de quelque péché d'habitude, ou la négligence de quelque devoir connu;

Parce que l'obéissance ne se fonde pas sur des motifs véritables et justes, si elle n'est pas universelle; c'est-à-dire, si elle ne porte pas également sur tous les commande, mens de Dieu, puisque tous sont fondés sur la même autorité;

Parce qu'une telle permission ne serait que la tolérance de tous les vices;

Et parce que le langage de l'écriture ren. verse une telle espérance. Lorsque nos devoirs y sont énumérés, ils sont pris collectivement, Tom. I.

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