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ce que M. Hume lui-même a pu faire en morale sans cette union. Et, dans ce dessein, qu'ils lisent la seconde partie de la neuvième section de l'essai dont nous venons de parler, qui contient une application pratique de tout le traité; traité, que M. Hume déclare «< être incomparablement le meilleur qu'il ait jamais écrit. » Lorsqu'ils l'auront lue, qu'ils considèrent si les motifs, qui sont proposés, pourront suffire pour empêcher les hommes de satisfaire leur volupté, leur vengeance, leur envie, leur ambition, leur avarice; ou pour prévenir l'existence de ces passions. A moins qu'ils ne sortent de la lecture de cet écrit célèbre avec des impressions plus fortes que celles qu'il a faites sur mon esprit, ils reconnaîtront la nécessité de quelques sanctions nouvelles. Mais il ne s'agit pas de la nécessité de ces sanctions. Si elles sont établies par le fait, s'il est vrai que les punitions ou les récompenses annoncées dans l'évangile doivent réellement avoir lieu, il faut avoir égard à ces sanctions. Ceux qui rejettent la religion chrétienne doivent faire de leur mieux, afin de pouvoir, sans elle bâtir un systême et poser les fondemens de la morale. Mais je regarde comme une grande inconséquence que ceux qui adoptent le christianisme, et fondent sur lui des espérances, fassent leurs efforts pour éloigner de Tom. I.

5.

leur pensée ces espérances, en raisonnant sur leurs devoirs.

La méthode pour arriver à la volonté de Dieu par la lumière naturelle, est de rechercher « la tendance de l'action, à augmenter ou à » diminuer le bonheur général. » Cette règle se fonde sur la présomption que Dieu veut et désire le bonheur de ses créatures, et en conséquence, que les actions qui favorisent cette volonté et ce désir doivent lui être agréables, et vice versâ.

Comme cette présomption est le fondement de tout notre systême, il devient nécessaire d'en exposer les raisons.

CHAPITRE V.

De la bienveillance divine.

LORSQUE Dieu créa l'espèce humaine, ou il désirait qu'elle fût heureuse, ou il désirait qu'elle fût malheureuse, ou il était indifférent à l'un ou à l'autre.

S'il avait désiré notre malheur, il aurait sûrement rempli son but, en formant nos sens de manière à ce qu'ils fussent pour nous des sources de tourmens, autant qu'ils sont

maintenant des instrumens de satisfaction et de jouissance ou en nous plaçant au milieu d'objets si mal adaptés à nos organes, qu'ils nous eussent continuellement blessés, au lieu de nous procurer du plaisir ou du repos. Il aurait pu rendre, par exemple, tout ce que nous aurions goûté, amer; tout ce que nous aurions vu, horrible; tout ce que nous aurions touché, cuisant; toute odeur, infection; tout son, discordance.

S'il avait été indifférent à notre bonheur, ou à notre malheur, il faudrait attribuer à notre bonne fortune (puisque nous exclurions par là tout dessein), soit la faculté qu'ont nos sens de recevoir du plaisir, soit la présence continuelle d'objets extérieurs appropriés à cette faculté.

Mais l'une ou l'autre de ces suppositions, et encore plus l'une et l'autre, étant beaucoup au-delà de ce que l'on peut attribuer au hasard, il ne reste plus que la première supposition; savoir, que Dieu, lorsqu'il créa le geme humain, désirait son bonheur, et disposa, dans ce dessein, toutes choses dans l'ordre où nous les voyons.

Le même argument peut être proposé en des termes différens, de la manière suivante, Une invention suppose un dessein, et la tendance prédominante de l'invention indique la disposition de l'inventeur. Le monde abonde

en inventions; et toutes les inventions, dont nous avons connaissance, sont dirigées vers un but bienfaisant. Le mal existe sans doute mais il n'est jamais, autant que nous pouvons le reconnaître, l'objet même de l'invention. Les dents sont inventées pour manger et non pour causer de la douleur. La douleur qu'elles causent de temps en temps, est' accidentelle à l'invention; peut-être en est-elle inséparable, ou même si vous voulez, c'est un défaut dans l'invention. Mais, au moins, ce n'en est pas l'objet. Cette distinction mérite que l'on s'y arrête. En décrivant des instrumens d'agriculture, vous ne pourrez guère dire d'une faucille qu'elle est faite pour couper le doigt du moissonneur, quoique, d'après la construction de cet instrument et la manière dont on s'en sert, cet accident arrive quelquefois. Mais, si vous êtes appelé à décrire des instrumens de torture et de supplice, cet outil, direz-vous, est fait pour étendre les nerfs; celui-ci pour disloquer les jointures; celui-ci pour rompre les os; celui-ci pour écorcher la plante des pieds. Ici la souffrance et les tourmens sont l'objet même de l'invention. Or, rien de ce genre ne se trouve dans la nature. Nous ne découvrons jamais une suite d'inventions faites pour exécuter un mauvais dessein. Aucun anatomiste n'a découvert un systême d'organes calculé dans le

dessein de produire la douleur ou la maladie; aucun n'a dit, en expliquant les différentes parties du corps humain, cela est pour irriter, ceci pour enflammer; ce conduit est fait pour porter la gravelle dans les reins; cette glande est là pour faire la secrétion de l'humeur qui forme la goutte. Si, par hasard, il rencontre une partie dont il ne connaisse pas l'usage, le plus qu'il puisse dire est qu'elle est inutile; personne ne soupçonne qu'elle soit placée là pour incommoder, pour gêner, pour tourmenter. Puis donc que Dieu a exercé sa sagesse parfaite pour inventer de manière à favoriser notre bonheur, et puisque le monde semble avoir été disposé dès le commencement d'après ce dessein, aussi long-temps que le même arrangement est maintenu, nous devons supposer que le même dessein subsiste.

La contemplation de la nature dans son universalité confond l'ame, plutôt qu'elle ne l'affecte. Il y a toujours dans la perspective un point brillant, sur lequel l'œil s'arrête, un seul exemple, peut-être, par lequel chaque homme se sent mieux convaincu que par tous les autres ensemble. Pour moi, il me semble que je vois la bienveillance divine plus clairement dans les plaisirs des très-jeunes enfans, que dans toute autre chose au monde. Les plaisirs des hommes faits peuvent, jusqu'à un certain point, être regardés comme l'effet

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