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de leurs propres soins; surtout s'il faut, pour y parvenir, de l'industrie, de l'invention, de la persévérance; ou s'ils sont fondés, comme ceux de la musique, de la peinture, etc., sur quelques qualités acquises. Mais les plaisirs d'un enfant bien portant sont si manifestement ménagés par un autre, et la bienveillance qui s'y montre est tellement hors de doute, que chaque enfant, que je vois occupé de ses jeux, porte à mon ame une sorte d'évidence sensible du doigt de Dieu, et de l'intention qui le dirige.

Mais l'exemple, par lequel un homme est le plus vivement frappé, est le véritable exemple pour lui à peine deux esprits peuvent-ils s'arrêter sur le même : ce qui montre l'abon dance de ces exemples qui nous entourent.

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Nous concluons donc que Dieu veut et désire le bonheur de ses créatures. Et cette conclusion étant une fois établie, nous pouvons procéder d'après la règle que nous avons fondé sur elle; savoir, que la méthode pour arriver à la volonté de Dieu sur une action, par la lumière naturelle, consiste à rechercher la tendance de cette action à augmenter ou à diminuer le bonheur général.

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CHAPITRE VI.

De l'utilité.

AINSI donc les actions doivent s'estimer par leur tendance (1). Tout ce qui est expédient est juste. Ce n'est que l'utilité d'une règle morale qui en constitue l'obligation.

Mais il se présente contre cette conclusion une objection frappante; savoir, qu'il y a plusieurs actions qui sont utiles, et qu'un homme de bon sens ne conviendra jamais être justes. Il est des occasions où la main d'un assassin serait très-utile. Le possesseur actuel d'une grande fortune emploie son influence et ses richesses à tourmenter, à corrompre, à opprimer tous ceux qui l'entourent. Sa fortune arriverait par sa mort à un successeur d'un caractère opposé. Il est donc utile de faire disparaître un tel homme au plus vite, puisque

(1) Abstraitement les actions sont justes ou injustes suivant leur tendance; l'agent est vertueux ou vicieux, suivant son dessein. Ainsi, si l'on met en question: est-il juste ou injuste d'assister les mendians ordinaires? nous recherchons la tendance d'une telle conduite pour le bien public. Mais, si la question est un homme, connu par cette espèce de bonté, doit-il être estimé par cela même? nous cherchons à connaître son dessein, et si cette libéralité procède de charité ou d'ostentation. Il est évident que nous n'avons à nous occuper que des actions considérées d'une manière abstraite.

par là tout le voisinage échangerait un dangereux tyran contre un bienfaiteur sage et généreux. Il peut être utile de voler un avare et de donner l'argent aux pauvres, puisque l'argent produirait sûrement plus de bonheur, étant employé pour la nourriture et le vêtement d'une douzaine de familles malheureuses, qu'enfermé à double tour dans le coffre fort de l'avare. Il peut être utile de devenir le possesseur d'une place, d'un bénéfice, d'un siége au parlement, par la corruption ou le faux serment; puisque, dans cette position, on pourrait servir le public avec plus de fruit que dans une condition privée. Que dironsnous done? Dirons nous que ces actions sont justes, justifiant ainsi l'assassinat, le pillage et le parjure? Ou faut-il abandonner notre principe, que le caractère du juste c'est l'utilité ? Il ne faut faire ni l'un ni l'autre.

La véritable réponse est celle-ci : ces actions, après tout, ne sont point utiles, et par cette raison, et cette raison seule, elles ne sont point justes.

Pour voir clairement ce sujet, il faut observer que les mauvaises conséquences des actions sont de deux sortes, particulières et générales.

La mauvaise conséquence particulière d'une action est le mal que cette seule action occasionne directement ou indirectement.

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La mauvaise conséquence générale est la violation de quelque règle générale indispensable.

Ainsi, la mauvaise conséquence particulière de l'assassinat, dont nous avons parlé ci-dessus, est l'effroi et la douleur qu'a éprouvé la personne attaquée; la perte de sa vie, qui est aussi précieuse pour le méchant que pour l'honnête homme, et davantage peutêtre; le préjudice et l'affliction dont sa mort peut être la source pour sa famille, ses amis, ses cliens.

La mauvaise conséquence générale est la violation de cette règle générale indispensable, qu'ancun homme ne doit être mis à mort pour ses crimes, si ce ce n'est par l'autorité publique.

Ainsi donc, bien que cette action n'ait point de mauvaises conséquences particulières, ou même en ait de bonnes, elle n'est pas cependant utile, à cause de la conséquence générale, qui est beaucoup plus importante, et qui est mauvaise. On peut en dire autant des deux autres exemples et de mille autres qui pourraient s'offrir.

Mais comme cette solution suppose que le gouvernement du monde doit procéder par des règles générales, il nous reste à en prouver la nécessité.

CHAPITRE VII.

Nécessité des règles générales.

Vous ne pouvez permettre une action, et en défendre une autre, sans montrer quelque différence entr'elles. En conséquence, la même espèce d'actions doit être généralement permise, ou généralement défendue. Lors donc que la permission générale en serait pernicieuse, il devient nécessaire de poser et de maintenir la règle qui la défend généralement.

Ainsi, pour revenir au cas de l'assassinat, l'assassin frappa mortellement le riche avare parce qu'il le crut meilleur mort que vif. Si vous autorisez cette excuse dans le cas présent, il faut l'autoriser aussi pour tous ceux qui agissent de la même manière et par le même motif; c'est-à-dire, il faut autoriser chacun à tuer le premier venu, s'il le croit nuisible ou inutile : ce qui, dans le fait, serait confier la sûreté et la vie de chacun à la mauvaise humeur, la furie, le fanatisme de son voisin;

disposition qui remplirait bientôt le monde de confusion et de misère, et mettrait fin à la société, sinon à l'espèce humaine.

La nécessité des régles générales dans le gouvernement humain est manifeste; mais l'on peut douter que la même nécessité se

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