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plusieurs espèces d'animaux étant faites pour vivre de la chair des autres, nous pouvons tirer de là quelque analogie pour prouver que l'espèce humaine peut aussi se nourrir de chair; que, s'ils étaient laissés à eux-mêmes, les animaux auraient bientôt couvert la terre, à l'exclusion de l'espèce humaine; enfin, que ce que nous leur faisons souffrir est bien compensé par nos soins et notre protection.

Sur toutes ces raisons, j'observe que l'analogie sur laquelle on se fonde est extrêmement imparfaite, puisque les brutes n'ont pas d'autres moyens de soutenir leur existence, et que nous en avons d'autres en effet, l'espèce toute entière pourrait vivre uniquement de fruits, d'herbes et de racines, comme le font encore plusieurs peuplades de l'Hindostan. Les deux autres raisons peuvent être bonnes dans leur étendue. En effet, si l'homme n'avait vécu que de végétaux, un grand nombre de ces animaux qui périssent pour couvrir nos tables, n'auraient jamais reçu la vie. Mais ces raisons ne justifient en aucune manière notre droit sur la vie des animaux, dans toute l'étendue que nous lui donnons. Quel danger y a-t-il, par exemple, que les poissons nous gênent jamais en peuplant leur élément ? ou en quoi contribuons-nous à leur nourriture ou à leur conservation?

Il me semble qu'il est difficile de scutenir

ce droit par des argumens tirés de la lumière naturelle, ou de l'ordre de la nature. Nous le devons plutôt à la permission rapportée dans l'écriture, Gen. IX, 1, 2, 3. «< Après » cela, Dieu bénit Noé et ses fils, et leur >> dit ayez des enfans, multipliez-vous et remplissez la terre; que tous les animaux >> terrestres tous les oiseaux du ciel, tout

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ce qui se meut sur la terre, et tous les pois» sons de la mer vous Vous craignent et vous >> redoutent; toutes ces créatures sont mises >> entre vos mains; vous pourrez prendre » pour votre nourriture tout ce qui a mou» vement et vie; je vous le donne, de même » que toute sorte d'herbe. » A Adam, et à sa postérité, Dieu avait accordé, lors de la création, « toute herbe verte pour sa nour» riture » et rien de plus. Dans la dernière clause du passage que nous venons de produire, l'ancienne permission est rapportée, et étendue à la chair des animaux : « je vous » le donne, de même que toute sorte d'herbe. » Mais ceci n'était qu'après le déluge: les habitans du monde antédéluvien n'avaient donc point cette permission, du moins à notre connaissance. Qu'ils se soient réellement abstenus de la chair des animaux, c'est une autre question. Nous lisons qu'Abel gardait des troupeaux; et dans quel dessein les gardait-il, si ce n'est pour les manger, c'est

qu'il est difficile d'imaginer (à moins que ce ne fût pour des sacrifices). Néanmoins, parmi

les hommes antédéluviens, quelques sectes ne pouvaient-elles pas avoir eu des scrupules à cet égard? Noé et sa famille n'étaient-ils pas dans cette opinion? Car il n'est pas vraisemblable que Dieu ait publié une permission pour autoriser une pratique, qui n'aurait jamais été disputée.

Des cruautés inutiles, et, ce qui est pis encore, recherchées, contre les animaux, sont certainement coupables, puisqu'elles ne sont excusées par aucun de ces motifs,

par

Il paraît donc la raison, ou par la révélation, ou par l'une et l'autre à la fois, que l'intention de la divinité est que les productions de la terre soient appliquées aux besoins de la vie humaine. C'est pourquoi, toute profusion, toute destruction inutile de ces productions, est contraire aux intentions et à la volonté de Dieu; et, par conséquent, coupable, par la même raison que tous les autres crimes. De ce genre est ce que l'on rapporte de Guillaume le conquérant, d'avoir converti vingt villages en une forêt pour la chasse; ou, ce qui n'est guère mieux, de les conserver dans cet état; de laisser de grandes portions de terre incultes, Tom. I.

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ou

parce que le propriétaire ne peut pas les cultiver, et ne veut pas les remettre à ceux qui en auraient les moyens; de détruire ou de laisser périr une grande quantité de provisions d'un certain genre, pour augmenter le prix du reste; ce qu'on dit avoir eu lieu jusqu'à ces derniers temps, par rapport au poisson pris sur les côtes d'Angleterre ; de diminuer le produit des animaux, par une consommation inutile ou imprudente des petits, comme des œufs de la morue, du frai du saumon, par l'usage de filets proscrits par la loi, ou employés hors de saison. On peut encore classer dans le même genre, puisque c'est le même mal dans une plus petite échelle, l'emploi d'une nourriture propre aux hommes, pour entretenir des chiens ou des chevaux inutiles; et enfin la réduction de la quantité, pour altérer la qualité, et pour l'altérer le plus souvent en mal; comme la distillation des grains pour en tirer des esprits, la destruction d'une nourriture solide pour en faire des sauces, des essences, etc.

Il semble que ce soit là la leçon que notre Sauveur donne à sa manière, lorsqu'il commande à ses disciples « de ramasser les mor>> ceaux, afin que rien ne se perde. » Les hommes, dans leurs plans de fortune et d'agrandissement, cherchent à disposer leur propriété pour leur plus grand avantage; et

leur avantage concourt le plus souvent avec celui de la société. Mais il n'est pas monté jusqu'ici dans l'esprit des hommes de se dire que c'est un devoir d'ajouter tout ce qui est en leur pouvoir à la masse commune des provisions, en tirant de leurs propriétés tout ce qu'elles peuvent fournir; et que c'est un péché de le négliger.

De la même intention de la divinité, nous tirons encore une autre conclusion; savoir, que rien ne doit être rendu propriété exclusive, quand on peut commodément en jouir en

commun.

C'est l'intention générale de la divinité, que le produit de la terre soit appliqué à l'usage de l'homme. Cela est manifeste dans la constitution de la nature, ou, si vous voulez, dans la déclaration expresse de Dieu même. Voilà jusqu'ici ce qu'on peut conclure, et rien de plus. Dans cette donation générale, un homme a le même droit qu'un autre. Vous cueillez une pomme sur un arbre, ou prenez un agneau dans un troupeau, pour votre usage immédiat et votre nourriture : j'en fais de même; et nous justifions l'un et l'autre notre action. par l'intention générale du suprême propriétaire. Jusque-là tout va bien mais vous ne pouvez pas prétendre à tout l'arbre, ou à tout le troupeau, et me refuser d'y participer, en fondant votre action sur l'intention générale

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