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ouvrage long et irrégulier. Je croirai avoir mérité quelques éloges, si j'ai pu quelquefois disposer méthodiquement, rassembler en chapitres et en articles, ou exposer en masses distinctes, ce qui, dans cet ouvrage d'ailleurs excellent, est répandu sur une trop grande surface.

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Une autre circonstance pour laquelle il est peut-être nécessaire de donner quelque explication, c'est l'union de la morale et de la politique dans un même ouvrage, ou l'addition d'un traité de politique à un système de morale. Si c'est là une objection, je puis y répondre par l'exemple de plusieurs auteurs recommandables, qui ont traité dans le même ouvrage de officiis hominis et civis, ou, suivant l'expression que d'autres préférent, ༥ des. » devoirs de l'homme comme individu et comme membre de la société. » Je pourrais alléguer aussi que le rôle qu'un membre de la république joue dans les affaires politiques, les suffrages qu'il doit donner, l'appui qu'il doit préter, ou la résistance qu'il doit opposer à quelques mesures générales, tiennent d'aussi près au devoir, et intéressent autant la conscience de l'individu qui délibère, que la détermination de quelque point douteux dans la conduite de la vie privée. En conséquence, la philosophie politique n'est, à proprement parler, qu'une continuation de la philosophie morale; ou plutôt, elle en est

une partie essentielle, si vous admettez que la philosophie morale a pour but de diriger la conscience de l'homme dans la recherche du devoir. Je pourrais me servir de ces excuses, si j'en avais besoin: mais la défense sur laquelle je me fonde est la suivante : Le lecteur observera sans doute qu'en établissant le principe de la morale, j'ai mis quelque soin à exposer la théorie et à démontrer la nécessité de règles générales. Je suis persuadé que cette attention est le seul moyen de rendre un système de morale satisfaisant et conséquent. Ce fondement étant une fois posé, ou plutôt cette habitude étant prise, la discussion des sujets politiques, où les règles générales s'appliquent mieux que partout ailleurs, devient claire et facile. Au contraire, si ces objets avaient été renvoyés à un autre ouvrage, il aurait fallu répéter les mêmes élémens, établir nne seconde fois les mêmes principes, que nous avions éclaircis et rendu familiers aux lecteurs dans la première partie de celui-ci. En un mot, si quelqu'un trouve qu'il y a trop de diversité ou trop de distance entre les sujets traités dans le cours de cet ouvrage, qu'il se souvienne que la doctrine des règles générales règne partout et devient le lien de l'ensemble.

Il n'est pas cependant hors de propos d'avertir le lecteur que sous le nom de politique il ne

doit pas chercher ces controverses momentar nées, que les circonstances actuelles ou la situation temporaire des affaires publiques peuvent exciter de temps en temps. La plupart d'entr'elles, si elles ne sont pas au-dessous de la dignité d'un traité philosophique, sont du moins hors de son but. Le lecteur s'apercevra que plusieurs recherches sont établies dans un rapport intime avec l'état de ce pays et de ce gouvernement: mais il m'a semblé qu'il n'appartenait pas au plan d'un ouvrage de la nature de celui-ci, de discuter chacun des points controversés avec le détail d'un pamphlet politique sur le sujet; mais plutot de donner les principes généraux et la manière de raisonner en politique, dont une juste application mettra chacun en état d'arriver par lui-même à des conclusions exactes. Je n'ignore pas l'objection que l'on a faite contre toutes les spécu lations abstraites sur l'origine, le principe ou les limites de l'autorité civile; savoir que ces spéculations n'exercent que peu ou point d'influence sur la conduite, soit de l'état, soit des sujets, soit des gouvernans, soit des gouvernés; qu'elles n'ont jamais des conséquences utiles ni pour les uns, ni pour les autres; que, dans les tems de tranquillité, l'on n'en a pas besoin; dans les tems de troubles, l'on ne les écoute pas. Cette opinion ne me paraît pas être juste. Les tems de troubles, il est vrai, ne sont pas

propres pour apprendre; mais le choix que les hommes font de leur parti dans les circonstances les plus critiques de la république peuvent dépendre néanmoins des leçons qu'ils ont reçues, des livres qu'ils ont lus, des opinions qu'ils ont formées dans les tems de repos et de loisir. Quelques personnes judicieuses, qui se trouvaient à Genève durant les troubles qui agitèrent dernièrement cette ville, crurent apercevoir, dans les discussions qui s'y élevèrent, l'effet de la théorie politique que les écrits de Rousseau et l'estime qu'avaient pour lui ses compatriotes avaient répandue parmi le peuple. Dans les discussions politiques qui se sont élévées durant ces dernières années dans la Grande-Bretagne et dans ses dépendances extérieures, il est impossible de ne pas observer, dans le langage des partis, dans les résolutions des assemblées publiques, dans les débats, dans les conversations, et dans la tendance de ces adresses fugitives qui paraissaient tous les jours dans ces occasions, l'effet des idées sur l'autorité civile, qui sont dévelopées dans les écrits de M. LOCKE. La confiance qu'inspirait ce grand homme, ses principes courageux et libéraux, l'ordre et la clarté qui paraissent dans tous ses argumens, nou moins que le poids des argumens eux mêmes, ont donné tant de réputation à ses opinions et les ont tellement répandues, que l'on en ressentirait

l'influence si l'état des affaires venait à chanceler. Comme ce n'est point ici le lieu d'examiner la vérité ou la tendance de cette doctrine, on ne doit pas croire, par ce que je viens de dire, que je veuille exprimer aucun jugement sur elle je veux seulement faire voir que ces doctrines ne sont pas sans effet, et qu'il y a une importance pratique à bien expliquer et à bien comprendre les principes d'ou dérivent les obligations de l'union sociale et l'étendue de l'obéissance civile. En effet, j'ai observé que, dans les sujets politiques plus que dans tous les autres, lorsque les hommes n'ont pas quelques principes fondamentaux et scientifiques sur lesquels ils puissent s'appuyer, ils sont exposés à voir leur esprit abusé par des phrases bannales et des termes insignifians, dont chaque parti, dans chaque pays, possède toujours un bon vocabulaire. Nous sommes étonnés quand nous voyons la multitude toujours conduite par les mots; mais nous devrions nous souvenir que, si les mots font des miracles, c'est toujours sur les ignorans. L'influence des mots est toujours dans une proportion exacte avec le défaut de connaissances.

Telles sont les observations que j'ai cru utiles pour préparer l'attention de mes lecteurs. Quant aux motifs personnels qui m'ont fait entreprendre ce travail, je n'ai pas besoin de m'y

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