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fait place à quelques cabanes chétives; le pêcheur indigent habite les caves voûtées où jadis s'entassaient les trésors du monde; une colonne debout, au milieu des ruines, marque la place où était le chœur de la cathédrale consacrée par Eusèbe 1. » Le voyageur anglais Maundrel dit qu'on ne voit plus dans Tyr que des débris de murailles, de voûtes et de colonnes brisées, et qu'il ne s'y trouve pas une seule maison entière. Il semble, dit cet auteur, que cette ville ait été conservée en ce lieu là comme une preuve visible de l'accomplissement de la parole divine : Elle sera comme le sommet d'un rocher, et elle servira à sécher les filets des pêcheurs 2. »

La seule curiosité, dit J. Bruce, m'engagea à passer par Tyr, et je devins le triste témoin de la vérité des prophéties... Deux misérables pêcheurs, après avoir attrapé un peu de poisvenaient d'étendre leurs filets sur ces rochers de Tyr-3. H. de C.

sons,

1 MALTE-BRUN. Précis de la Géograp.

• Voyage d'Alep à Jérusalem.

3 Voyage aux sources du Nil, en Nubie et en Assyrie.

Nouvelles et Mèlangės.

NOUVELLES.

EUROPE.

Lettre de M. DE CHATEAUBRIAND sur la démolition de l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois. ·

A Madame ***

(Récamier).

Genève, 11 juillet 1831.

Je vous ai écrit hier, et voici encore une lettre. De quoi s'agit-il? De Saint-Germain-l'Auxerrois. A qui conterais-je mes peines et mes idées, si ce n'est à vous ?

On va donc commencer, disent les journaux, la démolition de ce monument, le 14 juillet. Noble manière d'inaugurer la monarchie élective, par la destruction d'une église, d'exécuter de sang-froid,

› Plusieurs journaux ont annoncé la démolition de Saint-Germainl'Auxerrois comme on annoncerait la démolition d'une échoppe, ou celle d'un coin de rue faisant saillie hors de l'alignement. Tandis qu'au nom de l'art et de toutes les convenances sociales, nous nous disposions à demander compte de cette incroyable décision, la même pensée préoccupait à Genève M. de Châteaubriand. Pleine d'une sainte colère d'artiste, la lettre qu'il écrit à ce sujet, et qu'on nous communique, flétrira bien plus sûrement que nous n'aurions pu le faire la honteuse concession que l'on prépare, et dont on croit sauver la misère en appelant à son aide une grande et haute délibération de la petite-voirie. Si le vandalisme l'emporte, cette lettre demeurera dans ce recueil comme une éloquente protestation l'on saura du moins que l'espèce de galanterie que l'on veut faire aux plus basses passions révolutionnaires, n'eut pas la France artiste pour complice, et qu'elle n'en demeura point spectatrice désintéressée.

(Note de la Revue de Paris.)

et à tête reposée, ce que le vandalisme révolutionnaire faisait jadis dans la fièvre et les convulsions! Le chapitre des comparaisons et des considérations serait ici trop long à parcourir; un not sculement à ce sujet. La révolution de juillet ignore-t-elle que ce qui lui a le plus nui en Europe a été la dévastation de Saint-Germain-l'Auxerrois? Que les peuples, qui tous. sans exception alors, sympathisaient avec nous, ont reculé, et que leurs dispositions favorables ont changé? La nónintervention, si bien gardée, a achevé l'affaire. Une stupide manie de quelques Français, depuis quarante ans, est de compter pour rien les idées religieuses, et de les croire éteintes partout, comme elles le sont dans leur étroit cerveau. Ils oublient que tous les peuples libres ou tous ceux qui veulent l'être, et qui sont en rapport avec nous, sont religieux. Aux Etats-Unis, la loi vous force d'être chrétien. Dans les républiques espagnoles, la religion catholique est la seule; excepté je crois, au Mexique, où l'on vient d'essayer quelque chose pour la tolérauce. Les Cortès d'Espagne avaient décrété le seul exercice de la religion catholique. Si l'Italie s'émancipait, elle resterait chrétienne. La Belgique a fait sa révolution pour chasser un roi protestant; il est vrai que, par un merveilleux choix, on veut lui donner pour maître un préfet anglais, protestant. L'Allemagne, si philosophique, est chrétienne; et les Polonais, que sont-ils ? Ils vont au combat ou à la mort en invoquant la sainte Vierge. Skzrynecki porte un scapulaire et fait des pèlerinages. — Nos démolitions religieuses sont donc à-la-fois une ignorance historique et un contre-sens politique.

:

- Sous le rapport des arts, la chose n'est pas moins déplorable. Quoi ! renouveler le vandalisme de 93! Que ne fait-on ce que j'ai proposé? Que ne masque-t-on l'église par des arbres, en la laissant subsister en face du Louvre, comme échelle et témoin de la marche de l'art? Saint-Germain-l'Auxerrois est un des plus vieux monumens de Paris il est d'une époque dont il ne reste presque rien 1. Que sont donc devenus nos romantiques? On porte le marteau dans une église, et ils se taisent! O mes fils, combien vous êtes dégénérés ! Faut-il que votre grand-père élève seul sa voix cassée en faveur de vos temples? Vous ferez une ode, mais durera-t-elle autant qu'une ogive de Saint-Germain-l'Auxerrois? Et les artistes ne présentent point de pétitions contre cette barbarie! Comme le plus humble de leurs camarades, je suis prêt

1 Son origine remonte au sixième siècle; elle fut bâtie par Chilpéric, un des rois de la première race. Après Saint-Garmain-des-Prés, qui fut fondée par Childebert, elle est la plus ancienne église de Paris.

N.du Red, des A.

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à mettre ma signature à la suite de leurs noms. Détruire est facile, on l'a dit mille fois et je ne connais pas au monde d'ouvriers qui aillent plus vite en cette besogne que les Français; mais reconstruire! qu'ont-ils bâti depuis quarante ans ?

On veut percer une rue! très-bien : commencez les abattis par le côté opposé au Louvre, par la place de Grève; car cela nous donnera du tems; vous serez deux on trois ans, peut-être davantage, à tracer votre voie; alors, quand vous arriverez à Saint-Germain, vous aurez mûri vos réflexions, vous jugerez mieux de l'effet même du monument, à l'extrémité de l'ouverture. S'il gêne trop, s'il ne peut être conservé, vous l'abattrez en connaissance de cause, et sans remords: voilà ce que la raison conseille. Pourquoi se hâter de raser un édifice qu'un jour on pourra regretter? Si vous n'achevez pas votre ouvrage, s'il survient des changemens, des révolutions, même de simples variations de place, vous en serez pour la perte d'une architecture séculaire, sans compensation aucune. Vous laisserez des décombres contre lesquels s'amasseront des immondices ou des échoppes. On a abattu la bastille, et on a bien fait; la bastille était une prison. Je ne sache pas qu'on ait enfermé personne à SaintGermain-l'Auxerrois. Mais même sur l'emplacement de la bastille, qu'a-t-on élevé? D'abord un arbre de la liberté, que le sabre de Bonaparte a coupé pour faire place à un éléphant d'argile et puis après l'éléphant que va-t-il survenir? Et tout cela, vous le savez, était à toujours, pour les siècles, pour l'éternité, comme nos sermens. Quand Napoléon ordonna les travaux du Carrousel et de la rue de Rivoli, il croyait bien voir la fin de son entreprise: la rue de Rivoli a vu passer l'empire et la restauration, sans être achevée. Qui vous répond que la nouvelle monarchie ira jusqu'au bout de la rue qu'elle va ouvrir par une ruine? Nous autres, Français, nous sommes trop conséquens dans le mal, et pas assez logiques dans le bien parce qu'une imprudence taquine a produit à Saint-Germain une vengeance sacrilége, est-il de toute nécessité de continuer la der nière? Les Parisiens ne peuvent-ils s'amuser, sans jeter les meubles par les fenêtres, ou sans abattre les monumens publics? On honorerait mieux les héros de juillet en leur donnant à enlever les places fortes bâties contre nous avec notre argent, qu'en livrant à leur courage une église ravagée, où ils ne trouveront pas même le curé pour la défendre. N'enfoncerons-nous plus notre chapeau sur notre tête que pour marcher contre un vicaire ou pour monter à l'assaut d'un clocher, et aurons-nous encore long-tems le chapeau bas devant l'insolence étrangère? Il serait triste qu'on apprît l'entrée des Russes à Varsovie le

jour où notre gouvernement entrerait à Saint-Germain-l'Auxerrois! Les deux belles victoires pour la monarchie populaire!...

Vous rirez de ma grande colère, vous me direz: « Qu'est-ce que cela vous fait, vous, exilé, qui ne reverrez peut-être jamais plus la France? Ne le prenez pas là; je suis Français jusque dans la moëlle des os. Que la France entre dans un système politique généreux, et si la guerre survient vous me verrez accourir pour partager le sort de ma patrie. J'aurais cent ans que mon cœur battrait encore pour la gloire, l'honneur et l'indépendance de mon pays. Déchiffrez, si vous pouvez, ce griffonage, écrit ab irato une heure avant le départ du

courrier.

CHATEAUBRIAND.

- M. l'abbé Blachère,

* Rétractation d'un des disciples de l'abbé Chatel. que de perfides suggestions avaient entraîné dans la prétendue Eglise française de l'abbé Chatel, vient de se séparer du soi-disant patriarche, qui l'avait fait son vicaire primatial; voici la lettre qu'il a ́ adressée à Mgr. l'archevêque de Paris.

Monseigneur,

De perfides conseils et des malheurs particuliers m'avaient entraîné dans le schisme de la prétendue église catholique-française. Après avoir brisé les liens de l'unité, je n'eus pas horreur de recevoir les saints ordres, et malgré les remords d'une conscience déchirée, j'ai consommé une lâche apostasie par d'horribles sacriléges.

Dans cet abîme profond, les sages remontrances de l'amitié, et la grâce puissante de Dieu, sont venues déchirer le bandeau d'une illusion dangereuse. Celui qui renversa Paul sur la route de Damas m'a dessillé les yeux, et je me sépare aujourd'hui pour toujours de ceux dont j'ai partagé les déplorables égaremens. Loin du monde, et dans la solitude la plus profonde, je vais gémir avec amertume sur ma trop coupable conduite, et mériter, par une salutaire expiation, de rentrer dans la communion de l'Eglise. Mais, avant de quitter votre diocèse, théâtre humiliant de mon schisme, ma conscience et mon cœur me fout un devoir de déposer à vos pieds l'expression de ma douleur et de mes regrets. Puissent-ils être assez vifs et assez sincères, pour mériter d'être reçus de vous avec une paternelle indulgence! Puissent-ils consoler ce ministère de tribulations et d'épreuves, que vous soutenez avec tant de courage, en vous annonçant le retour d'un enfant prodigue, dont les égaremens avaient déchiré votre âme.

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