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CALIFORNIA

ÉLOGE HISTORIQUE

DE L'AUTEUR

PAR L'ABBÉ D'OLIVET.

PIERRE-DANIEL HUET, ancien évêque d'Avranches, mort à Paris le 26 janvier 1721, était né à Caen, le 8 février 1630. L'amour de l'étude prévint en lui, ne disons pas tout à fait la raison, puisque nous ignorons quand elle commence, mais au moins l'usage de la parole. A peine, dit-il, avais-je1 quitté la mamelle, que je portais envie à ceux que je voyais lire. Il perdit son père à dix-huit mois, sa mère quatre ans après. Il fut livré à des tuteurs négligents qui le mirent dans une pension bourgeoise, où, avec peu de secours, et n'ayant que de mauvais exemples, il ne d'achever la carrière des humanités, avant que d'avoir treize ans faits.

laissa pas

Pour la philosophie, il tomba sous un excellent 2 professeur qui, à la manière de Platon, voulut qu'il commençât par apprendre un peu de géométrie. Mais le disciple alla plus loin qu'on ne souhaitait. Il prit

1. Hucliana, p. 3, édition de Paris, 1722; Commentar., p. 16.

2. Le P. Membrun, connu par ses vers latins, et par un Traité du poëme épique.

un tel goût à la géométrie, qu'il en fit son capital, et méprisa presque les écrits que dictait son maître qui heureusement était assez sage et assez habile pour ne lui en savoir pas mauvais gré. Il parcourut tout de suite les autres parties des mathématiques; et quoique cette science ne fût pas accréditée dans les colléges, ni même dans le monde, au point qu'elle l'a été depuis, on lui en fit soutenir des thèses publiques, les premières qui aient été soutenues à Caen.

Il devait, au sortir de ses classes, étudier en droit, et y prendre ses degrés. Deux ouvrages qui parurent1 en ce temps-là interrompirent cette étude utile, et le jetèrent dans une autre plus amusante. Ces deux ouvrages étaient les Principes de Descartes et la Géographie sacrée de Bochart. Une preuve qu'on ne doit jamais avoir de préjugés, ou du moins s'y opiniâtrer, puisqu'un même homme, et un homme très-judicieux, peut quelquefois, dans ses âges différents, penser si différemment, c'est que M. Huet, qui a vivement censuré Descartes longtemps après, le goûta d'abord, l'admira, et le suivit durant plusieurs années. Quant à la Géographie de Bochart, elle fit une double impression sur lui, et par l'érudition immense de l'ouvrage, et par la présence de l'auteur, ministre des protestants à Caen. Tout ce livre était plein d'hébreu et de grec, aussitôt il voulut savoir ces deux langues, alla saluer l'auteur, lui demanda ses conseils, son

1. Les Principes de Descartes, imprimés en 1643, et le Phaleg de Bochart, en 1646.

amitié, et se fit son disciple, mais disciple prêt à devenir émule. Souvent un jeune homme, avec de l'esprit et du courage, n'a besoin que d'un modèle vivant pour déterminer le genre de ses études. Tel qui n'a fait toute sa vie que des madrigaux, aurait été un savant de premier ordre, s'il avait eu de bonne heure un Bochart devant les yeux.

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Qu'on ne croie pas cependant que M. Huet fût ennemi des amusements et des exercices qui conviennent à la jeunesse. Il voyait le monde, il avait soin de se bien mettre, il cherchait à plaire. Véritablement, il n'avait pas de grâce à danser; mais il primait à la course, il était meilleur homme de cheval, il faisait mieux des armes, il sautait mieux, il nageait mieux, dit-il, que pas un de ses égaux.

A vingt ans et un jour, la coutume de Normandie le délivra enfin de ses tuteurs qui lui épargnaient sordidement tout ce qu'ils pouvaient. Sa plus forte passion, et la première qu'il satisfit, dès qu'il se vit son maître, fut de voir Paris, non pas tant par curiosité, que pour se fournir de livres et pour connaître les princes2 de la Littérature; c'est une de ses expressions. Il rendit d'abord ses devoirs au P. Sirmond, plus que nonagénaire. Cet aimable et respectable vieillard joignait à son grand savoir une grande candeur, qui lui venait de son propre fonds, et une grande politesse, que la cour de Rome et celle de

1. Commentar., lib. I, p. 55, 56, 57.
2. Huetiana, p. 4; Commentar., p. 58.

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France lui avaient donnée. Le P. Petau, bien moins âgé, mais naturellement plus rigide que son confrère, se dérida le front en faveur d'un jeune provincial qui non-seulement était déjà digne de l'écouter, mais qui osait même quelquefois n'être pas de son avis, et lutter, presque enfant, contre un si grand homme.

Je nommerais tous les savants d'abord, si je nommais tous ceux que M. Huet connut, et dont il s'acquit l'estime, à son premier voyage à Paris. Deux ans après, il eut occasion de connaître ceux de Hollande; car la reine de Suède ayant invité Bochart à l'aller voir, il se joignit à lui, et partit au mois d'avril 1652. Bochart arriva dans des circonstances où il ne fut pas si gracieusement reçu qu'il avait lieu de s'y attendre. La santé de cette princesse chancelait. Trop d'application à l'étude, car elle y passait des nuits entières, lui avait échauffé le sang. Bourdelot, son médecin, habile courtisan, et qui avait étudié autant son esprit que sa complexion, l'obligea de rompre tout commerce avec les gens de lettres, dans l'espérance de la gouverner lui seul. Bochart en souffrit. Pour M. Huet, sa jeunesse l'empêcha de paraître si redoutable à ce médecin. Il vit souvent la reine, elle voulut même se l'attacher; mais l'humeur changeante de Christine lui fit peur, et il aima mieux au bout de trois mois retourner en France, où le principal fruit de son voyage fut un manuscrit d'Origène, qu'il avait copié à Stockholm.

1. Voy. les Dissertations sur diverses matières, par l'abbé Tilladet, t. II, p. 432, 433.

Parmi les savants qu'il connut en Hollande, Saumaise tient le premier rang. Dirait-on, à l'emportement qui règne dans les écrits de Saumaise, que c'était au fond un homme facile, communicatif, et la douceur même, jusque-là qu'il se laissait dominer par une femme hautaine et chagrine, qui se vantait d'avoir pour mari, mais non pas pour maître, le plus savant de tous les nobles, et le plus noble de tous les savants ?

Quand M. Huet fut de retour dans sa patrie, il reprit ses études avec plus de vivacité que jamais, pour se mettre en état de nous donner son manuscrit d'Origène. Deux sortes d'Académies, l'une qui s'était formée en son absence pour les belles-lettres, l'autre qu'il fonda lui-même pour la physique, servaient à le délasser, où plutôt le faisaient de temps en temps changer de travail.

En traduisant Origène, il médita sur les règles de la traduction et sur les diverses manières des plus célèbres traducteurs. C'est ce qui donna lieu au premier livre qu'il publia, et par lequel il fit, si j'ose ainsi dire, son entrée dans le pays des lettres. On y admire ce qu'on a depuis admiré dans ses autres ouvrages, une lecture sans bornes, une judicieuse critique, et surtout une latinité qui ferait honneur au siècle d'Auguste. Enfin, seize ans après son retour de Suède, il mit son Origène au jour. Ces seize ans, il les passa dans sa patrie, sans emploi, tout à lui et à ses livres, ne se dérangeant que pour venir tous les ans se montrer un ou deux mois à Paris.

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