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On releva grillades et festin :
On but encore à la santé de l'hôte,
Et de l'hôtesse, et de celle des trois
Qui la première auroit quelque aventure.
Le vin manqua pour la seconde fois.
L'hôtesse, adroite et fine créature,
Soutient toujours qu'il revient des esprits
Chez les voisins. Ainsi madame Alis
Servit d'escorte. Entendez que la dame
Pour l'autre emploi inclinoit en son âme;
Mais on l'emmène, et, par ce moyen-là,
De faction Simonette changea.

Celle-ci fait d'abord plus la sévère,

Veut suivre l'autre, ou feint le vouloir faire;
Mais, se sentant par le peintre tirer,
Elle demeure, étant trop ménagère

Pour se laisser son habit déchirer.

L'époux, voyant quel train prenoit l'affaire,
Voulut sortir. L'autre lui dit : « Tout doux !
Nous ne voulons sur vous nul avantage.

C'est bien raison que messer Cocuage
Sur son état vous couche ainsi que nous :
Sommes-nous pas compagnons de fortune?
Puisque le peintre en a caressé l'une,

L'autre doit suivre. Il faut, bon gré, mal gré,
Qu'elle entre en danse; et, s'il est nécessaire,
Je m'offrirai de lui tenir le pied:

Vouliez ou non, elle aura son affaire. »
Elle l'eut donc, notre peintre y pourvut
Tout de son mieux aussi le valoit-elle.
Cette dernière eut ce qu'il lui fallut;
On en donna le loisir à la belle..
Quand le vin fut de retour, on conclut
Qu'il ne falloit s'attabler davantage.
Il étoit tard; et le peintre avoit fait

Pour ce jour-là suffisamment d'ouvrage.
On dit bonsoir. Le drôle, satisfait,

Se met au lit nos gens sortent de cage.
L'hôtesse alla tirer du cabinet

Les regardants, honteux, mal contents d'elle,
Cocus de plus. Le pis de leur méchef
Fut qu'aucun d'eux ne put venir à chef'
De son dessein, ni rendre à la donzelle
Ce qu'elle avoit à leurs femmes prêté :
Par conséquent c'est fait, j'ai tout conté.

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Les maux les plus cruels ne sont que des chansons
Près de ceux qu'aux maris cause la jalousie.
Figurez-vous un fou chez qui tous les soupçons
Sont bien venus, quoi qu'on lui die.

Il n'a pas un moment de repos en sa vie :
Si l'oreille lui tinte, ô dieux! tout est perdu.
Ses songes sont toujours que l'on le fait cocu:
Pourvu qu'il songe, c'est l'affaire :
Je ne vous voudrois pas un tel point garantir,
Car pour songer il faut dormir,

Et les jaloux ne dorment guère.

1. Nous avons donné page 205 le fragment de 1669. Voici le conte complet, te! que l'offre le recueil de 1671. On se reportera au premier texte pour y voir queiques notes et pour constater les variantes.

Le moindre bruit éveille un mari soupçonneux;

Qu'à l'entour de sa femme une mouche bourdonne, C'est cocuage qu'en personne,

Il a vu de ses propres yeux,

Si bien vu que l'erreur n'en peut être effacée.
Il veut à toute force être au nombre des sots.
Il se maintient cocu, du moins de la pensée,
S'il ne l'est en chair et en os.

Pauvres gens! dites-moi, qu'est-ce que cocuage?
Quel tort vous fait-il, quel dommage?
Qu'est-ce enfin que ce mal dont tant de gens de bien
Se moquent avec juste cause?

Quand on l'ignore, ce n'est rien ;

Quand on le sait, c'est peu de chose.
Vous croyez cependant que c'est un fort grand cas:
Tâchez donc d'en douter, et ne ressemblez

A celui-là qui but dans la coupe enchantée.
Profitez du malheur d'autrui.

Si cette histoire peut soulager votre ennui,
Je vous l'aurai bientôt contée.

Mais je vous veux premièrement
Prouver par bon raisonnement

pas

Que ce mal dont la peur vous mine et vous consume
N'est mal qu'en votre idée, et non point dans l'effet.
En mettez-vous votre bonnet

Moins aisément que de coutume?
Cela s'en va-t-il pas tout net?

Voyez-vous qu'il en reste une seule apparence,
Une tache qui nuise à vos plaisirs secrets?
Ne retrouvez-vous pas toujours les mêmes traits?
Vous apercevez-vous d'aucune différence?

Je tire donc ma conséquence,

Et dis, malgré le peuple ignorant et brutal,
Cocuage n'est point un mal.

Oui, mais l'honneur est une étrange affaire!

Qui vous soutient que non? ai-je dit le contraire?
Eh bien ! l'honneur! l'honneur! je n'entends que ce mot.
Apprenez qu'à Paris ce n'est pas comme à Rome :
Le cocu qui s'afflige y passe pour un sot;

Et le cocu qui rit, pour un fort honnête homme.
Quand on prend comme il faut cet accident fatal,
Cocuage n'est point un mal.

:

Prouvons que c'est un bien la chose est fort facile.
Tout vous rit; votre femme est souple comme un gant;

Et vous pourriez avoir vingt mignonnes en ville,
Qu'on n'en sonneroit pas deux mots en tout un an.
Quand vous parlez, c'est dit notable;

On vous met le premier à table;
C'est pour vous la place d'honneur,

Pour vous le morceau du seigneur;

Heureux qui vous le sert! la blondine chiorme
Afin de vous gagner n'épargne aucun moyen;
Vous êtes le patron dont je conclus en forme,
Cocuage est un bien.

Quand vous perdez au jeu, l'on vous donne revanche;
Même votre homme écarte et ses as et ses rois.
Avez-vous sur les bras quelque monsieur Dimanche,
Mille bourses vous sont ouvertes à la fois.

Ajoutez que l'on tient votre femme en haleine :
Elle n'en vaut que mieux, n'en a que plus d'appas.
Ménélas rencontra des charmes dans Hélène
Qu'avant qu'être à Paris la belle n'avoit pas.

Ainsi de votre épouse: on veut qu'elle vous plaise.
Qui dit prude au contraire, il dit laide ou mauvaise,
Incapable en amour d'apprendre jamais rien.
Pour toutes ces raisons je persiste en ma thèse :
Cocuage est un bien.

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