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Un châtelain ou juge de village,
Homme ribaud et vigoureux,
Entretenoit un commerce amoureux,

Sous prétexte de compérage',
Avec la femme d'un bon paysan.
Femme blanche, ferme, râblée,
Grasse, dodue et potelée,

Trop belle enfin pour un manant,
Puisque dessous la grosse bure
Elle cachoit certains appas

Que souvent on ne trouve pas
En des femmes qui font figure
Et qui portent le taffetas.

Le rusé châtelain avoit la prévoyance
De ménager le temps et la saison :
Car du manant il épioit l'absence,

Pour faire avec toute assurance
La besogne de la maison.

1. Il y a dans le texte : « Sous prétexte de son compérage. »

Ainsi prenant ses affaires à l'aise, Dessus le lit un enfant de cinq ans Qui regardoit le passe-temps, Il apaisoit son amoureuse braise. Avint un jour (il ne m'en souvient pas Si c'étoit ou dimanche ou fète), Que notre châtelain à son logis s'arrête, Sans doute pour quelque embarras, Ou par un effet de paresse',

Si bien qu'il vient tard à la messe; Et, tout le peuple étant à deux genoux, Il fallut, pour prendre sa place, Qu'il passât au milieu de cette populace, Et qu'il fût vu, par ce moyen, de tous. La femme du manant, dedans la même église, Tenoit par la main son enfant, Et sans témoigner de surprise, S'aperçut bien de son galant, Et de rien ne fit pas semblant. Mais

pour l'enfant regardant le compère, Crut bonnement que son parrain

Feroit ce qu'au logis il lui avoit vu faire.

A cet effet, il s'écria soudain :

« Mettez-vous sur le lit, ma mère,
Voilà monsieur le châtelain! >>

1. Il y a dans le texte : « Ou par un effet amoureux de paresse.» 2. Walkenaer a corrigé ainsi :

Feroit ce qu'au logis il le vit souvent faire.

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Colin, faisant préparer sa maison
Pour recevoir son épousée,

Trouva sa servante Alison

Au plaisir de l'amour fortement disposée.
Sans perdre le temps à songer,

Il se servit de l'heure du berger,

Et commençoit l'amoureux badinage,

Quand sa mère, arrivant, le surprit sur le fait,
Et lui dit : « Insolent! ce soir, à ton souhait,
N'auras-tu pas un joli pucelage?»

Colin, sans s'étonner, dit : « Ma mère, tout beau!
Ne vous mettez pas en colère :

Je ne gâte point le mystère,

J'aiguise seulement pour ce soir mon couteau. »

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Un Espagnol avoit dans sa maison
Une peste, une fausse lame,

Un diable familier, c'est-à-dire une femme

Qui n'entendoit ni rime ni raison. En vain, pour la rendre docile, Ce mari, passable escrimeur, Employoit dans le lit sa force et sa vigueur; Il trouvoit cependant son remède inutile. Il consultoit ses amis, ses parents, Qui, juges de leurs différends, Terminoient parfois leurs querelles,

Mais qui, lassés de voir et naître et pulluler Des riottes continuelles,

1

Ne voulurent plus s'en mêler.

Il fut contraint de prendre patience,
Et d'imiter ces oiseaux passagers

1. Querelles, débats bruyants.

Qui, bâtissant leurs nids même dans les clochers,
Ont une si forte assurance

Que, sans s'étonner du grand bruit,
Ils entendent le son des cloches,
Et ne craignent pas les approches
Des gens qui sonnent jour et nuit.
Notre Espagnol, en savant politique,
Méditant donc un remède à ses maux,
Dissimuloit sa peine et ses travaux,
Et caressoit son diable domestique,
Quand il lui vint un affaire pressant1
Qui le contraignit d'entreprendre,
Sans différer et sans attendre,
Un voyage vers le Levant.

Il dresse, à cet effet, son petit équipage,
Et prépare, pour son voyage,
Tout ce qu'il croit qui lui fera besoin.
Mais sa femme, par un caprice,

Dit qu'elle veut l'accompagner si loin,
Et ne le point quitter, pour lui rendre service.
L'Espagnol, étonné du dessein surprenant,

S'oppose en vain, dit qu'elle est une bête;
Mais les femmes ont une tête :
Il fallut consentir, malgré son sentiment.
Les voilà donc qui quittent le rivage,
Embarqués dans un bon vaisseau
Qui par sa vitesse fend l'eau,

Et semble terminer promptement le voyage; Lorsque les vents, en augmentant les flots, Forment une telle tourmente

Que les plus hardis matelots

Chancellent en voyant une perte évidente.

Le commandant, pour sauver le vaisseau,

1. Le mot affaire était autrefois du genre masculin.

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