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Une femme aimoit son mari1:

Telles femmes ne vivent guères.

Celle-ci, qui n'avoit enfant, ni sœurs ni frères,
Sur le point de mourir, fait venir un notaire.
Elle veut tout donner à son époux chéri,

Mais le moyen? La loi, la coutume est contraire.
On songe Il faut, dit-on, un ami généreux,
Dont on fasse un dépositaire

Sous le titre d'un légataire.

« Moi, dit le mari, j'en ai deux :

L'un' d'une sagesse exemplaire,

D'une exemplaire piété;

L'autre moins dévot, moins austère,

Mais fort homme de probité.

1. M. de Falentin, avocat au Conseil en 1688. (Note du Recueil de Trallage.)

2. M. Hennequin, procureur général du grand Conseil. (Note du Recueil de Brienne.)

3. M. le président de Bragelonne. (Note du Recueil de Brienne.)

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Le choix fait ma difficulté.

Faites mieux, dit quelqu'un; pour plus de sûreté (On n'en sauroit trop prendre en une telle affaire), Faites deux testaments en fidéicommis,

Tous deux chargés du nom de l'un de vos amis,
L'un fait dans la forme ordinaire,
L'autre fait pour le révoquer

En cas qu'on vint à vous manquer;
Car, que sait-on? tout se peut faire. »
Ainsi dit, ainsi fait. Le mal, rendu plus fort,
Réduit en peu de temps la malade à la mort.
On scelle; les parents, ardents à l'héritage,
Déjà par souche entre eux en régloient le partage;
Mais l'un des testaments, bien en forme produit,
De leur partage vain leur fait perdre le fruit.
On avoit déclaré pour légataire unique
Un homme de vertu, de sagesse authentique,
Un grave magistrat', qui, nouvel héritier,
Bientôt d'habits de deuil noircit tout le quartier.
Le mari, cependant, après quelques journées

A la cérémonie, à la douleur données,
Va trouver son ami, pour tâcher à peu près

De savoir quel usage il veut faire du legs.

Dès qu'il en touche un mot, le magistrat en garde :
<«< Dieu, dit-il, par sa grâce, en pitié me regarde;
J'étois chargé d'enfants, dans sa crainte élevés,
Et j'avois peu de bien, comme vous le savez.

Mais vous voyez pour moi jusqu'où ses soins atteignent,
Et comme il est prodigue envers ceux qui le craignent :

Il a par sa bonté prévenu mes besoins,

Et cela du côté que j'espérois le moins.

C'est qu'il veille sur nous avec des yeux de père
Et qu'il veut qu'en effet en lui seul on espère.

1. M. Hennequin. (Note du Recueil de Conrart.)

Attachons-nous à lui, c'est l'unique moyen

D'être riche avec Dieu l'on ne manque de rien. »
Le sermon achevé, le mari, sans mot dire,

Mal content du prêcheur, se lève et se retire;
Puis, chez lui de retour, il cherche à profiter

Des leçons qu'on lui donne, et qu'il vient d'écouter:
D'un second testament il voit alors l'usage

Et combien le conseil en fut prudent et sage.
Sous de fidèles clefs il l'avoit enfermé:

Il l'en tire, et le donne à l'héritier nommé1,
Qui, sans avoir besoin d'une plus ample glose,
Entend à demi-mot, et voit où va la chose,
Et, muni de la pièce, actif et diligent,
En charge à l'heure même un habile sergent.

Dans l'antique réduit d'un cabinet tranquille
Dont souvent aux plaideurs l'accès est difficile,
Le jeton à la main', le grave magistrat,
Des biens de la défunte examinoit l'état;

Il a dessus sa table un ample et long mémoire,
Qu'il lit avec plaisir et qu'il a peine à croire,
Tant les biens différents qu'il y voit contenus
L'étonnent par les fonds et par les revenus.
Il en fait plusieurs parts: en père de famille,
Il en destine l'une à marier sa fille;

Il achète de l'autre une charge à son fils,
Et déjà par avance il se débat du prix;
De cent autres projets il flatte sa pensée,
En calculant la somme à ses besoins laissée,
Lorsque, par un papier sur sa table apporté,
Les projets, le calcul, tout est déconcerté :

1. M. de Bragelonne de Bretagne. (Note du Recueil de Conrart.)

2. Les comptes se faisaient alors le jeton à la main, comme on le voit au théâtre, dans la première scène du Malade imaginaire.

Il y voit, au moyen d'un dernier codicille,

Tout autre testament devenir inutile.

Le mal est sans remède. Il cède à la douleur,

Et le deuil désormais n'est plus que dans son cœur.

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Ce n'est point d'aujourd'hui que l'ignorant censure
Les productions de l'esprit :

Les meilleures souvent éprouvent la morsure
De force sots, que le bon sens aigrit,
Le conte qui suit doit t'instruire,
Lecteur, de cette vérité;

Il peut faire plaisir à qui voudra le lire,

Et guérir un cerveau gâté

Du sot entêtement de dire

Son sentiment précipité.

En l'un des bourgs de la Sologne

Logeoit un certain paysan,

Nommé Gros-Jean,

Homme de bonne humeur, passablement ivrogne,

Qui savoit lire en françois, en latin,

Chantoit l'épître à la grand'messe,

Et jouissoit, comme par droit d'aînesse,

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