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De l'intendance du lutrin.

Avec ces beaux talents, bouffi de vaine gloire,
Il se croyoit un esprit sans pareil,
Le plus savant qu'eût eu le rivage de Loire
Depuis qu'y luisoit le soleil.

Le curé de son bourg, homme de vrai mérite,
Docteur de l'Université,

Plein de vertu, de probité,

Paraissoit à Gros-Jean de science petite.

Ce curé fit un sermon

Le jour de la Dédicace.

Tout ce qu'il dit fut fort bon:
Il prêcha même avec grâce,

Et son discours si bien ravit

Que, pendant qu'il dura, personne ne dormit.
Chose pourtant fort difficile à croire :
Car Bourdaloue a vu plus d'une fois,
Malgré sa rhétorique et sa charmante voix,
Dormir gens de son auditoire.
Enfin, bref, le sermon fini,

Le bon curé va changer de chemise,

Puis revient dans la chambre, où la table étoit mise
Et le buffet pour la soif bien garni.
D'abord on applaudit à sa haute science,
Et, sur sa déclamation,

Chacun tâcha de mettre en évidence
Ce qu'il savoit en cette occasion.
Gros-Jean, qui ne manqua jamais aucune fète,
Étoit aussi monté pour être du repas,
Et quelqu'un remarquant qu'il secouoit la tête,
Haussoit l'épaule et n'applaudissoit pas :
« De cette pièce d'éloquence,

Lui dit-il, là, que penses-tu?

- Moi? dit Gros-Jean, j'ai piquié, quand j'y pense;

Elle ne vaut pas un fétu.

Ardez' tenez, le beau prêchage!

J'entendions tout ce qu'il disoit.

Palsangué! faut-il pas être un fin personnage,
Pour sarmonner comme il faisoit?

Pour moi, j'aime bien mieux monsieur notre vicaire :
Je ne savons ce qu'il nous dit;

Il n'a

pas

dit trois mots, bredouillant son affaire,

Que tout le monde s'assoupit.

Vous voyez ce que c'est de parler ou d'écrire,
Reprit alors le bon pasteur.

Je vous parois assez bon orateur,

Et je suis pour Gros-Jean un sujet de satire! »

Dès qu'au public on s'est livré,

On s'expose à la censure.

Tel mérite d'être admiré

Qui d'abord reçoit l'injure

D'un ignorant avéré.

Ce n'est pas nouvelle aventure

De trouver que Gros-Jean remontre à son curé.

1. Ardes! pour regardez, voyez! « Ardez! ce qu'on en diroit seroit-il tant à ton désavantage?» (La Coupe enchantée, comédie.

2. Locution proverbiale : « On appelle cela justement apprendre à son père à faire des enfants, et Gros-Jean qui remontre à son curé. » (BARON, le Rendez-vous des Tuileries ou le Coquet trompé, prologue.)

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Certain quidam, ces jours passés.
Prit pour femme une belle fille.
Il avoit de l'esprit, il étoit riche assez,
Et venoit de bonne famille;

Mais il lui manquoit certain cas:
Le pauvre garçon n'avoit pas
Ce qu'il faut dans le mariage
Pour augmenter l'humain lignage.
Cependant il aimoit sa femme tendrement.
Il la couvoit des yeux, et jamais un amant
N'avoit encor pour sa maîtresse
Témoigné tant d'ardeur, d'amour et de tendresse.
Quant au surplus, il ne lui manquoit rien
Pour ses menus plaisirs et pour son entretien;
Même il avoit voulu lui laisser tout son bien;
Mais, par malheur, ce bien étoit de patrimoine :
Ses parents sembloient gens à le lui disputer,

Entre lesquels étoient le plus à redouter

Un fameux procureur, un avocat, un moine,
Tous les trois vrais chicanoux.

Le moyen plus sûr et plus doux,
En cette affaire,

Eût été de lui pouvoir faire

Un héritier.

N'ayant pas les outils propres à ce métier,
Il choisit un ami pour faire cet ouvrage;
Cet ami le servit en homme de courage,
Il n'eut pas regret à son choix,

Et se vit, au bout de neuf mois,

Père comme le sont une infinité d'autres,
Sans avoir fait comme eux dire des patenôtres,
Car, dans ce siècle malheureux,

On abuse de tout les maris font des vœux,
Courent les saints, les Notre-Dames,

Pour avoir des enfants, cependant que les femmes
Font avec leurs galants les miracles chez eux.
Notre époux donc, content d'un si rare service
Et de se voir chez lui ce beau petit enfant,
Le met entre les bras d'une bonne nourrice,
Et dit à celui-ci : « Nous faut tenir content. »
Mais la femme, tout au contraire,

Voulut bientôt recommencer.

Tel est du dieu d'amour le culte et le mystère : Commence-t-on de l'encenser,

Ce plaisir est si doux qu'on veut toujours le faire. Elle ne s'en tint donc pas là.

De dire qui lui fit cela,

Je n'en sais rien, mais je le conjecture.

C'est qu'elle crut, par aventure,

Qu'il lui seroit aussi permis

De choisir un de ses amis.

Il n'est point besoin de vous dire

Un

Qu'elle ne choisit pas le pire.

peu de temps après, la belle se trouva Pour la seconde fois grosse à pleine ceinture. Le mari peste, gronde, jure;

Et, tout plein de courroux, s'en va Quereller son ami, lui disant : « Notre sire, Je vous avois prié de me faire un enfant;

Mais non pas deux! Vraiment, notre galant, Il vous en faut donner! - Que me voulez-vous dire? — Je dis, poursuivit-il, que je suis mal content

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De votre procédé, voyant ma femme grosse

Pour la seconde fois. Ce n'est point de mon fait. »
Le mari répondit : « Si fait !

Avec qui voulez-vous qu'elle ait un tel négoce?
Elle ne voit que vous; pour cela, j'en suis sûr.
C'est ce qui me semble bien dur,
Qu'un homme auquel je me confie
Pousse si loin la perfidie. »>

Il fit tel bruit et tel fracas

Que ce fracas ne manqua pas
D'éveiller tout le parentage,

Qui, du bien espérant avoir chacun sa part,
Veut dissoudre le mariage,

Déclarer cet enfant bâtard,

La femme hors de bienséance, Et le mari dans l'impuissance. La cour doit décider de cette question.

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Il nous falloit prouver quel étoit notre père :
Car, si tous les enfants n'héritoient par des leurs,
Bien des gueux seroient grands seigneurs ;
Tel porte les couleurs sur le train d'un carrosse,
Dont le père portoit et la mitre et la crosse ;

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