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plus grande encore quand on entreprend de changer le caractère, qui résulte de l'ensemble des déterminations qu'une infinité de fibres ont contractées.

XII. Il arrive souvent qu'à l'occasion d'une idée, l'âme en cherche une autre, et la rappelle enfin. On croit communément que ce rappel est dû à la volonté: mais il est le pur effet de la liaison des fibres sensibles. La volonté n'est cependant point dépourvue de toute espèce d'influence sur la marche de nos idées, et sur notre état personnel en général.

La liberté n'est autre chose que la faculté exécutrice de la volonté ; ce n'est donc pas, selon Bonnet, la liberté qui choisit. La volonté choisit, et la liberté exécute le choix. Tout choix suppose un motif. La volonté a toujours un objet. On ne veut point sans raison de vouloir; et la perfection de la volonté, quelque système qu'on embrasse, consiste toujours dans la rationabilité des motifs. Il n'y a point de vertus sans motifs, et la religion n'est faite que pour nous fournir les plus puissans motifs à la vertu.

S'il existait une liberté de pure indifférence, elle ne serait pas au moins l'objet du moraliste, puisqu'elle n'influerait point sur la vertu. Mais si l'âme pouvait toujours se déterminer par la vue distincte des motifs les plus pressans, si ce qui lui paraît le plus conforme à la saine raison ou à son intérêt actuel, n'influait point sur ses déterminations, il n'y aurait plus de sûreté dans la société, parce qu'il n'y aurait rien qui nous répondît des actions d'autrui. Les théologiens estimables qui admettent une liberté d'indifférence, ne la supposent pas dans ces discours pathétiques où ils tâchent d'inculquer aux hommes les grands principes de la vertu et de la sociabilité.

Toutes nos facultés sont subordonnées les unes aux autres, et toutes le sont en dernier ressort à l'action des objets ou aux diverses circonstances qui

en déterminent l'exercice et le développement. Qui pourrait, en particulier, méconnaître le pouvoir de Péducation? Newton, né en Californie, de parens barbares, aurait-il découvert le système du monde? Que ne peuvent point encore la génération et le tempérament qui est un de ses résultats les plus immédiats?

Si les motifs déterminent l'âme à agir, ce n'est pas comme un corps en détermine un autre à se mouvoir le corps n'a pas d'action par lui-même; l'âme a en soi un principe d'activité qu'elle ne tient que de l'auteur de son existence. A parler exactement, les motifs ne la déterminent pas; mais elle se détermine sur la vue des motifs: et cette distinction métaphysique est importante. Si on confondait ces deux choses, on confondrait tout, et on tomberait dans un fatalisme purement physique. Mais il n'est point vrai fataliste, celui qui prétend uniquement que l'âme se détermine toujours pour ce qui lui paraît le meilleur réel ou apparent? Si l'on était fataliste pour professer cette opinion, alors il y aurait autant de fatalistes qu'il y aurait de philosophes admettant que l'amour du bonheur est le principe universel des actions des hommes. Aimer son bonheur, c'est s'aimer soi-même : et s'aimer soi-même, c'est se déterminer en vue de son bonheur. S'il est impossible qu'un être intelligent ou simplement sentant ne s'aime pas lui-même, il l'est qu'il ne se determine pas pour ce qui lui paraît le plus convenable à sa situation actuelle ou à ses besoins. L'amour-propre bien entendu, l'amour du bonheur et l'amour de la perfection ne sont qu'une seule et même chose, suivant Bonnet. Un être intelligent doit aimer la perfection dans laquelle il place son bonheur.

XIII. Bonnet soutient que le matérialisme ne serait point un système dangereux pour lui-même, dans le cas où l'on réussirait à le prouver. Une vérité

dangereuse n'en serait pas moins une vérité. Ce qui est, est; et nos conceptions, qui ne peuvent changer l'état des choses, doivent lui être conformes. L'entendement ne crée rien. Il contemple ce qui est créé. Si on démontrait jamais que l'âme est matérielle, loin de s'en alarmer, il faudrait admirer la puissance qui aurait donné la faculté de penser à la matière. Bonnet ne peut se rendre raison de la simplicité du moi, dans l'hypothèse de la matérialité de l'âme; aussi rejette-t-il cette supposition. Il croit voir directement qu'un moi toujours un, toujours simple, toujours indivisible ne peut être une pure modification de la substance étendue, ni un résultat immédiat de quelque mouvement que ce soit.

Nos connaissances ne s'étendent et ne se perfectionnent que par les comparaisons que nous établissons entre nos idées sensibles. Nous comparons entre eux plusieurs faits du même genre. Nous voyons ce qui résulte de cette comparaison; car si tous convergent vers le même point, nous en inférons qu'il est probable que ce point est une vérité. C'est ainsi que nous parvenons à tirer des résultats plus ou moins généraux de nos propres observations ou de celles d'autrui. C'est ainsi que nous arrivons quelquefois à la découverte des causes par un examen réfléchi et une décomposition graduelle des effets. Ces remarques de Bonnet sur la méthode logique d'étudier la nature, sont d'une parfaite exactitude. Il ne s'agit que d'en faire une application juste, et d'éviter les subreptions ou les inconséquences. C'est pour n'avoir point échappé à ce dernier défaut, que Bonnet n'est pas parvenu à fonder des hypothèses durables, malgré la bonté de la méthode qu'il suivit en les créant.

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Pour peu qu'on étudie la nature, on s'aperçoit bientôt que toutes ses parties sont étroitement liées

par

et

divers La recherche de ces liaisons et rapports. de ces rapports occupe le physicien. Par rapports, on entend ici les déterminations en vertu desquelles différens êtres conspirent au même but général. Comme le physicien sent que la cause qu'il ignore et qu'il cherche, tient par quelque rapport secret à ce qu'il connaît, il remonte, le plus qu'il lui est possible, le long de la chaîne des faits, il en suit tous les détours; et si, par cette marche laborieuse il n'arrive pas au but, si même il n'en approche pas de bien près, au moins ne court-il pas le risque de s'égarer dans la nuit des conjectures. Plus le nombre des rapports connus s'accroît, plus nos connaissances physiques acquièrent de certitude, de précision et d'étendue. Si nous connaissions les rapports de tout genre qui lient la plante à la terre, à l'eau, à l'air, au feu, et à tous les corps qui agissent sur elle, ou qui sont soumis à son action; si nous connaissions, en outre, les rapports qui lient entr'eux ces divers êtres, notre théorie de la végétation serait complète, et nous verrions aussi distinctement comment la plante végète, que nous voyons comment l'aiguille d'une montre se meut. Nous ne jugerions pas par raisonnement. Nous jugerions par une sorte d'intuition, et l'art de conjecturer ne trouverait plus son application dans cet objet. Mais il s'en faut de beaucoup que nous en soyons là en physique. La science des rapports naturels est encore si imparfaite, qu'il n'est pas une seule production de la nature, parmi les plus chétives en apparence, qui ne nous présente des côtés obscurs, et n'épuise bientôt la sagacité du plus habile physicien. Une molécule de terre, un grain de sel, une mousse un vermisseau, deviennent pour lui de vrais dédales, où il se perdrait, s'il abandonnait un instant le fil précieux de l'expérience.

Bonnet procède, d'après ces principes, à des recherches sur la génération et le développement des corps organisés vivans.

Supposons qu'un naturaliste exact se soit assuré, par des objections bien faites et répétées plusieurs fois, que le germe préexiste, dans la femelle, à la fécondation. Supposons qu'il ait démontré rigoureusement que des parties, qu'on ne croyait point exister parce qu'on ne les apercevait point, existaient réellement, et s'acquittaient déjà de leurs fonctions essentielles. Quelles conséquences pourrat-il déduire légitimement de ces vérités ? Quelle marche devra-t-il suivre pour éclaircir le mystère de la génération? Sa première conséquence sera, sans contredit, que si le germe préexiste à la fécondation, il n'est pas produit par la fécondation; ou, ce qui revient au même, qu'il n'est point engendré. Mais, il est très-sûr que le germe d'un oiseau ne se développe jamais dans l'oeuf, sans l'intervention du mâle. Donc, il y a, dans le germe, quelque chose qui l'empêche de se développer par lui-même; et il ya, dans la liqueur fécondante, quelque chose qui le met en état de se développer.

Mais qu'est-ce que se développer? C'est croître en tous sens, acquérir à la fois plus de masse et de volume. Le germe reçoit donc des matières étrangères qui s'incorporent à sa substance. Il est nourri; car comment acquerrait-il à la fois plus de masse et de volume, s'il ne lui survenait rien d'étranger? Lá nutrition, dans un oiseau, suppose la circulation, et celle-ci, l'action du cœur. Le cœur de l'embryon bat donc après la fécondation. II pousse dans toutes les parties le fluide destiné à les nourrir et à les faire développer. On découvre à l'oeil ses battemens dès la fin du premier jour de l'incubation; et il y a des preuves qu'ils ont commencé plutôt. Le coeur dé Tome VI.

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