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de la vue les fibres de l'ouïe et celles de la vue communiquent donc ensemble. Le même raisonnement s'applique, aux autres sens. Les fibres de tous les sens communiquent donc les unes avec les autres. Si donc le mot ostracisme ne nous rappelle pas les mots et les idées coquille, suffrages, Atheniens, c'est parce que les liaisons des fibres de ces idées avec ce mot étaient presqu'entièrement effacées. Telle est la cause du défaut de mémoire. La multitude infinie des liaisons des idées rend la structure et les opérations du cerveau dignes de toute notre admiration.

Comme le cerveau est l'organe des opérations de l'âme, il faut aussi que l'àme ait son siége dans une partie quelconque de ce viscère, partie qui réunisse les impressions de tous les sens, et par laquelle l'âme agit ou paraît agir sur les différentes parties de son corps. L'action des objets ne se termine pas aux sens extérieurs; il est des nerfs qui en propagent les différentes impressions jusqu'au cerveau. Ceux qui, après avoir perdu le poignet, sentent encore leurs doigts, nous montrent assez que le siége du sentiment n'était pas où il paraissait être. L'âme ne sent donc pas ses doigts dans les doigts mêmes : elle n'est pas dans les doigts, elle n'est point non plus dans les sens extérieurs. Nous sommes fort peu éclairés sur la structure intime du cerveau. On voit les nerfs de tous les sens y converger; mais lorsqu'on veut les suivre dans leur cours, ils échappent, et on est réduit à conjecturer. Bonnet rapporte plusieurs opinions d'anatomistes célèbres, sans se prononcer en faveur d'aucune. Cependant, il pense que, comme l'oeil entier n'est pas le siége de la vision, de même le cerveau ne peut pas être celui de l'âme. L'opinion la plus probable, selon lui, est celle de Lorry, qui veut que l'âme ait son siége dans la moelle alongée.

Au reste, quelque partie du cerveau qu'on adopte pour en faire l'organe immédiat de l'âme, on peut lui douner le nom de sens interne. Cette partie est, en quelque sorte, l'abrégé de tous les sens, puisqu'elle les réunit tous. Tous les nerfs y aboutissent aussi, de sorte qu'elle est une névrologie en minia

ture.

Les mots sont les signes de nos idées, et les idées tiennent à certaines déterminations des fibres cérébrales, qui sont à leur tour les signes des idées intellectuelles. On peut donc admettre, dans le siége de l'âme, un double système représentatif des signes de nos idées.

Bonnet rattache aussi sa théorie de l'association des idées, à la morale. La morale a pour but de fournir à la volonté des motifs assez puissans pour la diriger toujours vers le vrai bien. Ces motifs sont constamment des idées que la morale présente à l'entendement, et ces idées ont toujours leur siége dans certaines fibres du cerveau. La morale fait donc le meilleur choix de ces idées : elle les dispose dans le meilleur ordre; elle les associe, les enchaîne, les groupe dans le rapport le plus direct à son but. Plus les impressions qu'elle produit ainsi sur les fibres appropriées à ces idées, sont fortes, durables, harmoniques, et plus le jeu de ces fibres a d'influence sur l'âme. Une idée générale enveloppe une multitude d'idées particulières. L'idée générale est donc attachée dans le cerveau à un faisceau principal, qui correspond à une multitude de petits faisceaux et de fibres, qu'il ébranle à la fois ou presque à la fois. Ce sont autant de petites forces qui conspirent à produire un effet général. Le résultat moral de cet effet physique est une certaine détermina tion de la volonté.

L'objet d'une passion n'aurait pas une si grande

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force, s'il agissait seul; mais il est enchaîné à une foule d'autres objets, dont il réveille les idées : et c'est du rappel de ces idées associées, qu'il tire sa principale force. L'or est bien l'objet immédiat de la passion de l'avare; mais l'avare n'amasse pas l'or pour le simple plaisir d'en amasser. Ce métal lui représente les valeurs dont il est le signe. Il ne jouit pas actuellement de ces valeurs, mais il se propose toujours d'en jouir, et il en jouit en idée. Il fait de son or toutes sortes d'emplois imaginaires, et les mieux assortis à ses goûts et à sa vanité. Il n'oublie surtout point de se comparer tacitement à ceux qui ne possèdent pas ses richesses. De là naît dans son âme une certaine idée d'indépendance et de supériorité, qui le flatte d'autant plus, que son extérieur annonce moins. L'or tient donc, dans le cerveau de l'avare, à un faisceau principal; et ce faisceau est lié à une foule d'autres, qu'il ébranle sans cesse. A ces faisceaux subordonnés ou associés, sont attachées des idées de maisons, d'équipages, d'emplois, de dignités, de crédit, etc. Et, combien de faisceaux et de fascicules tiennent encore au faisceau du mot crédit! Si la morale parvenait à substituer à l'idée dominante de l'or, celle de libéralité ou de bienfaisance; si elle associait subitement à cette idée toutes celles des plaisirs attachés à la bienfaisance; si elle prolongeait toute cette chaîne d'idées ; si elle y plaçait pour dernier échelon le bonheur à venir; si, enfin, elle ébranlait assez puissamment tous les faisceaux et toutes les fibres appropriées à ces idées, pour que leur mouvement l'emportât en intensité sur le jeu des fibres appropriées à la passion, alors elle transformerait l'avare en homme libéral et bienfaisant. La faculté qui retient et enchaîne les idées ou les images des choses, qui les reproduit de son propre fond, les arrange, les combine, les modifie,

porte le nom d'imagination. Le grand secret de la morale consiste donc à se servir habilement de l'imagination elle-même, pour diriger plus sûrement la volonté vers le vrai bien.

Bonnet a raisonné aussi sur l'état des corps vivans après et avant la vie actuelle. C'est ce qui forme le contenu de sa Palingénésie philosophique. Comme il accordait une âme non seulement à l'homme, mais encore à tous les animaux indistinctement, il ne pouvait pas se dispenser d'examiner la question de savoir jusqu'à quel point les âmes animales ont préexisté, et quel sera leur sort après la mort du corps. On a souvent nié l'immortalité de l'âme des animaux, parce qu'on a jugé que la révélation serait trop intéressée dans cette sorte de croyance philo→ sophique. Mais Bonnet veut qu'on n'invoque point la révélation dans une chose où elle semble nous avoir laissé une pleine liberté de penser; et il ne lui paraît pas incroyable qu'un état futur soit réservé aux animaux après la vie actuelle. En étudiant l'organisation des grands animaux, on est frappé des traits nombreux de ressemblance qu'on découvre entre elle et celle de l'homme. Mais pourquoi la res semblance se bornerait-elle précisément à ce que nous en connaissons? Avant qu'on se fût exercé en anatomie comparée, combien était-on ignorant sur les rapports de l'organisation des animaux à celle de l'homme! Cependant ces rapports jouissaient d'une existence réelle. Et pourquoi, parmi ceux qui nous demeurent voilés, ne s'en trouverait-il point un qui serait relatif à un état futur ?

Rien n'empêche d'admettre que le véritable siége de l'âme des animaux est à peu près de même naturę que celui de l'âme humaine. En adoptant cette supposition unique, on a le fondement physique d'un état futur réservé aux animaux. Le petit corps

organique et indestructible, vrai siége de l'âme, et logé dès le commencement dans le corps grossier et destructible, conservera l'animal et la personnalité de l'animal. Ce petit corps organique peut contenir une multitude d'organes qui ne sont point destinés à se développer dans l'état présent du globe, et qui pourra se développer lorsqu'il aura subi cette nouvelle révolution à laquelle il paraît appelé. L'auteur de la nature travaille aussi en petit qu'il veut, ou plutôt le grand et le petit ne sont rien par rapport à lui. Notre globe a été autrefois très-différent de ce qu'il est aujourd'hui. La création décrite par Moïse est moins une véritable création, que le récit assez peu circonstancié des degrés successifs d'une grande révolution que notre globe subissait alors, et qui était suivie de la production de cette multitude d'êtres divers qui le peuplent aujourd'hui. La terre pouvait même avoir subi, par suite de ses liaisons avec les autres corps célestes, beaucoup d'autres révolutions dont il ne reste aucune trace pour nous, et dont les habitans des mondes voisins ont peutêtre quelque connaissance. Ces mêmes liaisons prépareront sans doute de nouvelles révolutions cachées encore dans l'abîme de l'avenir.

Rien ne démontre mieux l'existence d'une intelligence suprême que ces rapports si nombreux, si variés, si indissolubles, qui lient si étroitement toutes les parties de notre monde, et qui en font, pour ainsi dire, une seule et grande masse. Mais cette machine n'est elle-même qu'une petite roue dans l'immense machine de l'univers. En vertu de ces rapports qui enchaînent toutes les productions de notre globe les unes aux autres, et au globe luimême, il y a lieu de penser que le système organique auquel tous les autres systèmes particuliers se rapportent comme à leur fin, a été originairement

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