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(Principe de la fixité, Inhérence). Sans cette règle, nulle perception d'un phénomène dans un temps donné ne serait possible.

2o. Tout ce qui arrive suppose quelque chose à quoi il succède nécessairement (Principe de production, Conséquence). La série des phénomènes pourrait être purement successive, une succession qui n'exprimât qu'un enchaînement subjectif dans Pappréhension; mais on ne découvre point encore d'après cela si elle aurait aussi lieu objectivement dans la pluralité des phénomènes. Cependant, à chaque phénomène qui commence, on voit que l'état antérieur à ce commencement précède seulement, et ne peut suivre : il faut donc ici que l'enchaînement subjectif des aperceptions soit déterminé par l'enchaînement objectif des phénomènes. Le principe de la causalité rend donc possible la connaissance objective des phénomènes d'après leurs rapports dans la succession du temps.

3°. Toutes les substances, en tant qu'elles existent ensemble, sont en communauté, ou agissent réciproquement les unes sur les autres. (Principe de communauté, Composition). Pour que les choses existent ensemble, il faut qu'elles occupent l'espace dans le même temps. On reconnaît qu'elles existent ensemble, à ce que l'ordre de la synthèse de l'appréhension du multiple est indifférent, et ne doit point nécessairement être successif. Mais la simultanéité des phénomènes ne pourrait être aperçue, s'ils ne déterminaient pas réciproquement leur place dans le temps. Donc une substance doit renfermer la causalité des déterminations des autres, et les effets de la causalité de ces dernières ; ou les substances doi;; vent être en communauté les unes avec les autres.

Le quatrième principe est celui de la modalité: Toute chose connaissable en général doit être dans

un rapport quelconque avec nos facultés intellectuelles (Principe des postulats de la pensée empi rique en général). Les postulats sont:

A. Ce qui s'accorde, d'après l'intuition et les idées, avec les conditions formelles de l'expérience, est possible.

B. Ce qui s'accorde avec les conditions matérielles de l'expérience (par sensation) est récl.

C. Ce dont la liaison avec le réel est déterminée d'après les conditions générales de l'expérience, existe nécessairement.

Il est maintenant facile, à l'aide de ces quatre principes du pur entendement, d'expliquer, d'une manière satisfaisante, la possibilité des mathématiques et de la science de la nature à priori. Les. mathématiques ont pour objets les différens états de l'espace et du temps, qui sont donnés comme formes de l'intuition à priori. L'entendement élabore ces différens états d'après les règles de la logique, et comme les apparitions doivent correspondre aux conditions de l'espace et du temps, qui sont tous deux les formes de leur intuition, il faut aussi que les rapports de l'espace et du temps se trouvent dans les apparitions. La possibilité des pures mathémtiques repose donc sur ce que les objets n'en peuvent être conçus que sous la forme de l'espace et du temps, c'est-à-dire, comme apparitions. Mais, en même temps, il est clair d'après cela que l'emploi des mathématiques ne peut pas s'étendre au delà des apparitions dans l'espace et le temps.

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La pure science de la nature ne peut avoir d'autre objet que le système des lois à priori, d'après lesquelles il est possible de connaître la nature, c'est-à-dire, l'ensemble des phénomènes. Les objets ne s'aperçoivent que sous les formes de la sensibilité: donc l'ensemble des phénomènes ne peut être non

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plus conçu que sous les formes de l'entendement. En conséquence, si le système des apparitions est un objet de connaissance pour l'entendement, il faut qu'il corresponde au système des purs principes synthétiques de l'entendement, ou, en d'autres termes, la pure science de la nature devient possible: par cela que l'enchaînement des apparitions doit être pensé selon les lois de l'entendement à priori: Ces lois de l'entendement ont déjà été indiquées précédemment elles renferment donc complétement aussi les principes de la pure science ou de la métaphysique de la nature, principes d'où et par lesquels on déduit et on prouve toutes les connaissances qui se rapportent ici. Mais, à leur tour, les principes de la pure métaphysique de la nature ne peuvent être appliqués qu'aux apparitions.

De tout ce qui précède, il découle un résultat général très-important, c'est que tout emploi de l'entendement ne peut être valable que quand il se rapporte à l'expérience, ou, pour parler plus clairement, que l'emploi empiriqne de l'entendement est seul valable, et que son emploi transcendental ne l'est point. Dans ce dernier, les principes de l'entendement ne se rapporteraient point aux objets comme phénomènes, mais aux objets comme choses absolues. Un pareil emploi de l'entendement est objectivement sans valeur, parce que l'objet de l'idée ne peut être donné que par l'intuition, et que la pure intuition elle-même ne reçoit son objet que de l'intuition empirique dont elle est la forme. Les catégories ne sont que des idées des objets en général, en tant que ces derniers doivent être pensés d'après l'une ou l'autre d'entre elles. Pour ranger un objet donné dans les catégories, il faut aussi une image (le temps); mais si l'on faisait abstraction de toute sensibilité, cette image manquerait; il ne serait donc pas non

plus possible de comprendre un objet donné dans les catégories. On peut bien, à la vérité, concevoir un emploi logique des catégories au delà du domaine de la sensibilité, et il a même été fréquemment essayé par suite d'une illusion singulière des philosophes, laquelle trouvait au reste sa source dans la nature; mais, ou il est tout-à-fait vide de sens par rapport à un objet, ou il implique contradiction avec lui-même.

Quand on pense les objets sous les formes de l'intuition, et conformément à l'unité synthétique des catégories, ils s'appellent phénomènes. Mais on peut aussi concevoir des objets qui seraient fournis à l'entendement par l'intuition, quoique ce ne fût pas par l'intuition à l'aide des seus, et que l'entendement aurait en conséquence la faculté de connaître. Ce seraient là des noumènes. C'est sur cette supposition que se fonde la distinction, admise en philosophie depuis Platon, entre les choses sensibles et les choses intelligibles division qui a seulement besoin d'être expliquée plus clairement. On n'entend pas tant par elle une simple différence logique de la connaissance des objets à l'égard de leur clarté ou de leur défaut de clarté, qu'une différence spécifique des objets euxmêmes. En outre, il ne faut pas chercher les noumènes, ou les choses intelligibles, dans les choses en ellesmêmes; car la chose en elle-même, comme objet purement transcendental, se réduit au néant, quand il faut la concevoir sans aucun caractère sensible. Cependant, comme le phénomène se rapporte tou jours à quelque chose d'indépendant de la sensibilité, il faut admettre que le noumène, ou la chose en elle→ même, est un objet, fourni à la vérité par intuition, mais non par intuition sensible.

La possibilité d'un mode d'intuition différent de l'intuition par les sens ne saurait être révoquée en

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doute, quoique cette intuition soit impossible pour l'homme, dont la connaissance est inséparablement liée aux conditions de la sensibilité. L'idée du noumène ne peut donc jamais être réalisée par nous: on il n'y a point de monde intelligible réel, qui soit connaissable par opposition au monde physique. C'est une vérité démontrée par la nature du monde intelligible de Platon, qui se compose en grande partie d'idées discursives, empruntées, quant au contenu, à l'expérience, et auxquelles ne correspond absolument aucune réalité intelligible objective. Les noumènes ne sont donc que d'un usage négatif : nous ne pouvons jamais acquérir par eux une connaissance réelle des objets. Leur utilité consiste à limiter les prétentions de notre sensibilité, seule faculté que nous avons pour connaître les objets réels, en ce qu'ils font voir qu'il y a encore possibilité d'une intuition autre que celle par les sens, et à l'aide de laquelle il serait possible d'acquérir une connaissance réelle, quoique cette intuition, différente de celle par les sens, soit impossible pour nous autres

hommes.

Aucun jugement n'est possible sans réflexion, c'est-à-dire, sans une comparaison des idées qui s'y rapportent, afin de savoir jusqu'à quel point ces idées sont ou non en accord avec l'unité dans la conscience. Cette réflexion est purement logique, et ne concerne que le rapport des idées, ou transcendentale, et concerne la faculté de connaître, dont les idées font partie quant à leur contenu, de sorte qu'on détermine à la fois jusqu'à quel point les idées peuvent être produites par une seule et même faculté de connaître, et être, en conséquence, comparées les unes avec les autres.

Les rapports qui peuvent exister entre les idées à comparer ensemble, sont l'identité et la disparité, Tome VI.

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