Seul, et loin des fléaux qui désolaient mes jours,

De l'amitié perfide et des fausses amours.

Surtout, n'oubliez pas, en chassant dans vos bois,

Qu'il ne faut pas courir deux lièvres à la fois.

Montauban, juin 1860.

Gustave GARRISSON.

L'assurance mutuelle.

ÉPISODE.

A Charles de Batz-Trenquelléon.

LA SCÈNE SE PASSE DANS UNE PETITE VILLE.

RAYMOND, assis sous la tente d'un café.

Eh! c'est lui... c'est bien lui qui traverse la place...

Appelant.

Jules!

JULES, qui a reconnu la voix de Raymond.

Raymond !... ce cher camarade de classe...

RAYMOND.

Ton vieil ami!

Ils s'embrassent.

JULES.

Cinq ans, sans nous presser la main!

RAYMOND.

Dans quel but de l'Anjou prenais-tu le chemin?

JULES.

Je parcours la province, aux gages d'un libraire, Et l'Anjou figurait sur mon itinéraire...

Je trouve fort utile un emploi qui me donne

Dix mille francs par an... et l'idée en est bonne ! La place fut créée à mon intention.

RAYMOND.

Me valut le poste que j'occupe?

Je dois cette fortune au pouvoir d'une... jupe.
La chose ne peut pas se compter jusqu'au bout;
Seulement, sache bien que, jamais, au mois d'août,
Pied de maïs, brûlé par un soleil torride,

N'eut soif de pluie, autant que mon gousset aride,
- Avant que d'un emploi je ne fusse pourvu, -
N'avait soif de finance! Ah! si tu m'avais vu!
Quelle détresse!... Alors l'horizon était triste !
Avocat, au début, j'avais fini... choriste!
Ne crois point, cependant, que le sombre chagrin
Eût pénétré chez moi ; j'avais le front serein.
Le ciel, en me formant, prodigue de l'étoffe,
Fit un ambitieux doublé d'un philosophe.
Radieux le matin, j'ai vu, souvent, le soir,
Le vent casser la branche où germait mon espoir;
Me suis-je désolé ? Non, jamais! - Dans ma lutte
Avec le sort, j'ai ri le premier de ma chute...
Enfin, une sirène en ma faveur parla ;

Le sort fut désarmé par elle... et me voilà...
Mais toi? voyons; ton lot, quel est-il ?

JULES.

Médiocre !

J'étais peintre d'abord; mais à broyer de l'ocre
C'est à peine souvent si je gagnais du pain.
Au diable les couleurs!... Et le pauvre rapin,
Lui qui rêva longtemps de fortune et de gloire,
Prit un outil pour vivre. Un matin, la doloire
Avait, entre mes doigts, remplacé le pinceau;
Mais j'avais la main lente... et je buvais de l'eau !
J'abandonnai l'outil; j'essayai de la plume;

Auteur d'un roman noir, j'en vendis un volume !...

Et vingt fois de métier j'ai changé ; — le guignon

M'a poursuivi partout, entêté compagnon !...

Je descendis, un jour, jusqu'à l'épicerie !

Et maintenant je vais, commis en librairie,

Colportant...

RAYMOND:

Des Flaubert? des Feydeau? des About?

JULES.

Des livres de morale.

RAYMOND.

En vends-tu?

JULES.

Pas du tout.

RAYMOND.

Parbleu je le crois bien. Proposer un bon livre
Aux esprits que l'ardeur des voluptés enivre!
Mais c'est absolument comme si l'on voulait
Aux buveurs de genièvre offrir du petit lait !
Tu me parais candide encor... Toute ta vie
Veux-tu rester gueux?

JULES.

Moi? Je n'en ai point envie.

RAYMOND.

Crois-tu, s'il te venait quelque scrupule au cœur, Pouvoir, sans trop d'efforts, en demeurer vainqueur?

JULES.

Je le crois.

RAYMOND.

Bon! alors, je ne suis plus en peine

De toi... Quelque beau jour tu trouveras la veine....

JULES.

De tout côté je cherche... et je n'aperçois rien.

RAYMOND.

Il faut persévérer... Tu ne cherches pas bien...

Je t'aiderai... Cela rentre dans mon système :
Obliger un ami, c'est s'obliger soi-même.
Par celui qu'on protége, et qui reste engagé,
On peut avoir besoin d'être un jour protégé.
L'égoïste est un sot qui perd plus qu'il ne gagne.
Prenons des alliés pour entrer en campagne...

Mais... une idée... Eh

Ta fortune est faite.

oui! Jules, embrasse-moi ;

S'agit-il ?

JULES.

Oh! parle vite !... De quoi

RAYMOND.

Le voici l'agriculture, en France,

Languit; on veut porter remède à sa souffrance.

Bien ! après ?

JULES.

RAYMOND.

Le ministre a conçu le dessein

D'un congrès qui verra, réunis dans son sein,
Du peuple agriculteur les nombreux mandataires;

Et là, comme à la Chambre, aux jours parlementaires,
Chaque arrondissement sera représenté.

Juge si cet honneur doit être convoité !

C'est au chef-lieu qu'on vote, et le scrutin vous nomme... N'hésite pas, fais-toi candidat agronome.

Qui, moi ?

JULES.

RAYMOND.

Tu sais d'un chou distinguer un melon?

JULES.

Probablement.

RAYMOND.

Combien n'en savent pas plus long,