Page images
PDF
EPUB

ques pieds de plantin morts de soif. C'est bien une place forte d'Egypte ou de Judée. Du reste, quand on est entré dans trois ou quatre de ces tours, on peut s'en tenir là, car toutes se ressemblent à peu près, et ne diffèrent guère les unes des autres que par le nombre des cicatrices que leur ont laissées les balles des catholiques et des protestants. Ce qu'on a de mieux à faire alors est de redescendre au niveau du sol pour faire une dernière promenade, en suivant extérieurement la ligne des remparts dont les fossés ont été comblés, au dix-huitième siècle, pour assainir la contrée.

au

Ces remparts, bâtis sur un plan vertical, en pierres carrées, taillées en bossage, ont un peu plus de onze mètres d'élévation. Ils présentent une étendue de cinq cent quarante-six mètres de longueur sur trois cent trente-deux de largeur. De pareilles dimensions paraissent bien exiguës, quand on songe qu'il s'agit de la superficie d'une ville qui occupe une si grande place dans l'histoire. Et pourtant les maisons y prennent leurs aises et s'entourent de jardinets, les rucs sont droites et larges, les places nombreuses, tant, du moins, que nous avons pu en juger du sommet des tours et des remparts, - et l'on aperçoit même des champs de blé et des terrains vagues dans cette enceinte qui semble si resserrée. On ne s'en étonnera plus, quand on saura qu'après avoir renfermé plus de dix mille âmes au treizième siècle, Aigues-Mortes en compte à peine quatre mille aujourd'hui. La ceinture est devenue trop large pour la ville amaigrie. Dans sa majestueuse simplicité, cette ceinture de murailles n'a d'autre ornement que le bossage de ses pierres, la sévère beauté de ses grandes lignes et son chaud coloris, qui, se modifiant suivant l'orientation de chaque partie de l'enceinte, parcourt une magnifique gamme de tons gris, lilas, rosés, feuillemorte, et présente du côté qui reçoit en plein les rayons du Midi et que tant d'étés torrides ont calciné, des teintes orangées ou rougeâtres et des tons de pâtisserie d'une vigueur incroyable. Sur la face qui regarde la mer, et à quelques pas des eaux de l'étang, refoulées par la prudence des édiles, nous avons remarqué plusieurs anneaux de fer rouillé, scellés à la base des murs. C'est à ces ferrures, contemporaines des remparts eux-mêmes, que les vaisseaux venaient s'amarrer jadis dans le port, aujourd'hui comblé, qui reçut les nefs de Saint-Louis, et ce n'est pas sans respect que nous avons touché et fait tourner dans l'orbite que leur rotation

de six siècles a creusée dans la pierre, ces vénérables anneaux qui ont beaucoup contribué, dit-on, à faire croire à l'abaissement de la mer, en indiquant que les navires pouvaient arriver jusqu'au pied des murailles.

Il est difficile, on le comprend, d'accomplir toutes ces courses sans quelque lassitude. Nous avions la tête fatiguée et les jambes rompues. Nous aurions bien désiré visiter encore l'église romane de Notre-Dame des Sablons où Saint-Louis entendit la messe avant de s'embarquer, mais nous n'avions plus guère le courage d'aller chercher des impressions nouvelles, et puis, la journée tirait à sa fin. Nous renonçâmes donc à parcourir l'intérieur de la ville, d'autant plus que nous avions entrepris notre voyage moins pour voir ce que faisaient les vivants que pour admirer ce qu'avaient laissé les morts. Par conséquent, nous ne pûmes vérifier par nous-mêmes si les rues sont aussi désertes, les maisons aussi délabrées et les habitants aussi fiévreux que le disent M. Alexandre Dumas dans sa prose (1) et M. Jean Reboul dans ses vers, ou si, au contraire, la ville est réellement vivante et la population saine, comme l'affirme M. di Pietro. L'historien d'Aigues-Mortes nous a fourni tant de renseignements précieux, dont ces pages n'ont pas la prétention de donner une idée, même imparfaite, que nous sommes fort disposé à le croire aveuglément. D'ailleurs, le peu que nous avons vu de la ville et de ses habitants ne nous a pas paru aussi désolé qu'on l'a prétendu; mais, — nous avons encore cela sur le cœur, les propriétaires d'immeubles s'y livrent trop volontiers à des orgies d'ocre jaune.

Après avoir dit un dernier adieu à la Damiette française, nous montâmes en voiture pour regagner Lunel, où nous attendait un très-bon dîner à l'Hôtel de la Poste. La propriétaire de cet estimable hôtel, heureuse exception placée sur notre route, nous avait reçus, le matin, avec un empressement qui ne se démentit pas le soir, et qui ne sentait nullement son Lunel; et, après avoir vidé un flacon du célèbre vin muscat dont le pays est fier à juste titre, nous prîmes le train de nuit qui devait nous porter à Nîmes. Jules RENOULT.

(1) Impressions de voyage.

ÉCRIVAINS DU MIDI DE LA FRANCE.

François-Joseph Roucher.

I.

Il y a un an environ, à Montpellier, la tombe se fermait sur un écrivain qui portait un nom déjà célèbre dans l'histoire des lettres. Cet écrivain, qui succombait autant sous le poids des ans que sous les coups d'une destinée qu'il a bien des fois déplorée dans ses vers, n'avait eu toute sa vie qu'une pensée, qu'une ambition bien légitime, celle de laisser des œuvres qui pussent lui survivre et faire associer son nom dans les souvenirs de la postérité au nom illustre de son parent, Antoine Roucher, l'auteur infortuné du poème des Mois.

Ses vœux seront-ils exaucés? Il ne nous appartient pas de décider la question. Mais une confiance qui nous honore nous ayant fait dépositaire des manuscrits laissés par l'auteur, nous avons pensé, après les avoir lus, que c'était justice d'en révéler quelque chose au public. Nous avons alors demandé l'hospitalité à la Revue de Toulouse, et la Revue, qui ne la refuse à aucune œuvre de bonne volonté, s'est empressée aussitôt de nous l'accorder.

Notre but n'est donc pas tant de rendre un dernier hommage à un esprit et à un cœur dont il nous a été donné de connaître la noblesse, que d'appeler l'attention sur des écrits parfois remar

quables et complètement inédits. Ce but serait pleinement atteint si un juge plus accrédité, après avoir parcouru les fragments que nous insérons ici, prenait sous sa protection le poète oublié par quelques-uns, de presque tous inconnu, et se faisait éditeur de ses OEuvres choisies.

II.

[ocr errors]

Né (4), ainsi qu'Antoine Roucher son oncle, à Montpellier, dans cette ville décrite en si beaux vers dans le poème des Mois (2) François-Joseph Roucher reçut, comme un héritage de famille, le goût des lettres et surtout la passion de la poésie. Les personnes avec lesquelles il fut en rapport, tout jeune encore, racontent qu'après s'être formé par l'étude assidue des modèles, il s'essaya à

(1) En 1783.

(2) Beaucoup de nos lecteurs seront bien aises sans doute d'en retrouver ici quelque passage:

Ma patrie !... A ce nom si doux et si chéri
Jusqu'au fond de mon cœur je me sens attendri.

Dois-je de ton printemps vanter le long empire,
Ton sol toujours fécond, l'air pur qu'on y respire,
Le parfum de tes vins mûris dans le gravier,
Le front de tes côteaux qu'ombrage l'olivier,
Des plus riches moissons tes champs dépositaires,

Tes eaux, tes fruits, tes bains, tes plantes salutaires;

Ce célèbre Conseil de mortels bienfaisants,

Instruits à prolonger la trame de nos ans;

Tes savants, de qui l'œil armé d'un regard ferme

Surprend la vérité dans la nuit qui l'enferme ;

Tes Comices enfin, où du peuple et des rois

La sage liberté pèse et fixe les droits?

Je chanterai surtout ce grand, ce rare ouvrage,

Qui de l'antique Rome eût lassé le courage;
Ces trois ponts, qui, de loin vers tes murs dirigés,
Arrivent dans ton sein, l'un de l'autre chargés,

Et par mille canaux épanchent en fontaine

Le liquide tribut d'une source lointaine.

Les Mois, chant II.

des compositions diverses qui n'ont pas été conservées, jusqu'au moment où, entraîné avec tant d'autres dans le grand mouvement militaire de l'empire, il se chargea d'un service d'hospitalier à l'armée d'Espagne.

Mais cette position ne pouvait convenir à ses goûts indépendants. Il l'abandonna donc, dès 1814, avant même les malheurs qui faisaient pressentir aux meilleurs esprits la chute du gouvernement impérial; et, à une époque où la gloire des armes dominait toutes les autres gloires, il ne désespéra pas d'acquérir une renommée durable dans les luttes de l'intelligence et du talent.

Après avoir contracté dans sa ville natale un mariage qui ne fut pas heureux, il vint à Paris où il se lia avec plusieurs écrivains, notamment avec Geoffroy, qui régentait alors la littérature dramatique dans des feuilletons, pleins de verve, mais empreints parfois de partialité, du Journal de l'Empire, qui devint plus tard le Journal des Débats.

- Comme tous les jeunes poètes, qui recherchent, pour leur début, l'éclat que donne un succès au théâtre, Roucher soumit à Geoffroy une pièce intitulée l'Imprimomane, qui fut perdue chez le célèbre critique dans les agitations de 1814 et de 1815.

La perte de cette comédie, sur laquelle il avait fondé beaucoup d'espérances, et plus encore, sans doute, les graves évènements qu'il venait de traverser, influèrent singulièrement sur lui et le jetèrent dans une préoccupation d'esprit qui devait avoir des suites bien fàcheuses. Serviteur dévoué de l'Empire, il s'exagéra, en présence de la réaction, le rôle, peu compromettant d'ailleurs, qu'il avait rempli; il crut sa liberté en danger, quoique à coup sûr le nouveau pouvoir ne dût pas songer à l'inquiéter, et cette crainte, ainsi que ses goûts aventureux, le poussèrent à se retirer en Belgique où il passa les premières années de la Restauration.

Pendant son séjour à l'étranger, il fit paraître un petit volume de poésies fugitives que nous avons entre les mains. En général, ces poésies, premiers essais de l'auteur, sont faibles. Roucher n'avait pas encore rencontré la voie qu'il devait suivre et sacrifiait au goût prétentieux du jour. Plus d'une pièce semblerait empruntée à l'Almanach des Muses.

Ce n'est pas sans tristesse que l'on aperçoit déjà dans ce premier ouvrage, daté de 1818, des traces trop visibles des inquiétudes

« PreviousContinue »