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s'était placé fort au-dessus de ses confrères contemporains. Voulant donner une conclusion à cette étude rétrospective, l'orateur termine en proposant la réhabilitation, justifiée à tant de titres, de François Bayle, soit par l'application d'une plaque commémorative sur la maison qu'il habita (rue de la Madeleine), soit par l'inauguration de son buste « dans le sanctuaire de nos gloires, » au Capitole. « Toulouse, ajoute M. Gaussail, aurait » à cette occasion sa grande fête de la science, qu'elle pourrait faire coïn>> cider avec la rentrée des Facultés ou avec la prochaine session du Con» grès méridional, fète paisible mais imposante, à laquelle resteraient >> attachés un grand exemple, un puissant encouragement. »

Nous ne pouvons que nous associer pleinement à ce vou, qui aura tous les suffrages dans la cité savante qu'honore son culte sacré pour ses gloires locales, toujours vivantes chez elle dans le Panthéon qu'elle leur a créé.

Après le discours de M. Gaussail nous lisons le Compte-rendu proprement dit des travaux de la Société, dû à la plume élégante et exacte de son secrétaire général, M. Jules Naudin, et principalement consacré à l'analyse des communications diverses adressées à la société dans le cours de l'année et ayant trait à la médecine clinique, à la thérapeutique, à la pharmacie, à la physiologie et à la pathologie comparées. Ces mémoires, au nombre de vingt-deux, dus en partie à des médecins et à des pharmaciens de Toulouse, en partie à des médecins étrangers, abordant les questions les plus variées de la science, témoignent en général de la sagacité et du talent d'observation de leurs auteurs, et dans leur ensemble portent la trace des lumières que fournit chaque jour à la médecine pratique, c'est-à-dire à l'art de guérir, l'étude plus approfondie des sciences exactes. M. J. Naudin termine son volumineux travail par une notice sur M. le docteur Fourquet, décédé dans le cours de l'année, et exprime, au nom de la Société, les regrets bien mérités dus à la mémoire de ce digne confrère.

Vient ensuite un rapport de M. Parant sur les maladies qui ont régné dans la ville de Toulouse, pendant la durée de l'année écoulée, et duquel il ressort comme conclusion principale que cette période de temps n'a été signalée par aucune de ces affections épidémiques si fatales aux populations. En compensation, le rapport relate un grand nombre de maladies catarrhales, qui par leur fréquence dans chacun des mois de l'année, offrent tous les traits d'un état endémique et caractérisent en quelque sorte notre constitution médicale. Si le temps dont nous sommes affligés persiste, il est à présumer que le rapporteur de l'année prochaine n'aura à signaler qu'une recrudescence de ces mêmes affections.

Un rapport de M. Batut, sur le concours ouvert par la Société en 1860,

et concluant au retrait du prix à décerner, vient en dernier lieu. Le volume est complété par la liste des récompenses décernées par la Société, le programme des concours ouverts pour 1864 et 1862, et les autres renseignements statistiques qui se rencontrent dans les précédents comptes-rendus.

Dr J. GOURDON.

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Le Don Carlos de Schiller. Traduction nouvelle en vers français, par
M. Adrien BRUN, in-8°. Paris, Amyot, 1860.

Depuis quelque temps, les traductions sont en honneur. Que l'on ne voie dans cet entraînement qu'une vogue née d'hier, mourante demain, c'est là une opinion que nous n'essayerons pas de combattre. Chacun est libre d'apprécier comme il l'entend ce qui se passe autour de lui; et pour notre part, nous aimons à trouver mieux qu'une mode passagère dans cette tendance des esprits. Quoi qu'il en soit, c'est un fait digne d'être constaté que le goût du public se porte aujourd'hui avec un rare élan sur les grandes œuvres des littératures étrangères, et que les récentes traductions de Shakspeare, de Goethe et de Schiller sont accueillies avec une faveur que de pareils travaux avaient jusqu'à ce jour rarement obtenue.

A côté des éminents et consciencieux écrivains qui, conduisant à bonne fin la vaste tâche qu'ils se sont imposée, font passer une fois de plus en notre langue les œuvres complètes des grands poètes étrangers, se groupe un certain nombre d'esprits délicats et laborieux qui, entraînés, à leur insu peut-être, dans ce courant, se sont attachés à reproduire avec amour un poème unique, une pièce choisie, l'un de ces nombreux chefsd'œuvre qui font la gloire de nos voisins. Loin de faire profession d'auteur ou d'érudit, peu soucieux d'ailleurs des succès bruyants, ils bornent leur ambition aux suffrages de quelques lecteurs sérieux. L'on aurait grand tort, à notre gré, de dédaigner de pareils travaux entrepris le plus souvent en dehors de toute préoccupation d'avenir, et conduits avec d'autant plus de patience et de goût qu'ils n'étaient pas destinés à voir le jour. Si l'un d'eux, sortant par hasard de l'obscurité à laquelle son auteur semblait l'avoir condamné, vient à braver la lumière, il se présente avec une pudeur naïve qui n'est pas sans charme, et l'on devine l'effort qu'il a fallu pour décider des mains jalouses à s'en dessaisir. Il y a dans cette modestie, cette crainte de l'éclat, ce peu de souci des vulgaires

faveurs, une élégance, une distinction de bon aloi qui ne saurait éveiller trop de sympathies.

C'est dans de semblables conditions que s'offre à nous une nouvelle traduction en vers du Don Carlos de Schiller. L'auteur de cet important travail, M. Adrien Brun, nous paraît devoir être classé en première ligne parmi ces esprits distingués dont nous parlions tout-à-l'heure. Singulièrement épris de l'œuvre de son choix, et trouvant dans les difficultés mêmes de sa tâche un stimulant à la remplir, il n'a pas craint de saisir corps à corps l'original, et dans cette lutte où les obstacles ne manquaient pas, il a tenu bon jusqu'au bout. Faisant ployer tantôt les flexibles mesures de l'iambique allemand sous le mètre sévère de l'alexandrin français, tantôt assouplissant la raideur de notre rhythme classique suivant les capricieuses fantaisies de la muse étrangère, il a su mener à bon terme une entreprise qu'il n'avait abordée qu'en vue des paisibles jouissances que procure à l'esprit un travail aimé, et dont les résultats n'étaient destinés d'avance qu'à un public restreint.

La prédilection que M. Adrien Brun paraît ressentir pour le Don Carlos de Schiller, n'a rien de surprenant. Elle a été et demeure encore le partage de la plupart des lecteurs, et si, de tous les drames du poète allemand, c'est celui qui a soulevé le plus de critiques, aucun autre peutêtre n'a rencontré plus d'admirateurs. Schiller lui-mème semble avoir éprouvé pour cette œuvre de sa jeunesse une préférence qui ne s'est éteinte qu'avec sa vie. Depuis l'année 1786, où il la fit paraître pour la première fois, jusqu'à sa mort arrivée en 1805, il ne cessa de retoucher, de remanier, de choyer en quelque sorte le poème chéri qui lui rappelait tant de douces illusions. Don Carlos, en effet, malgré sa forme dramatique, est loin d'être une œuvre impersonnelle. Le poète s'y retrouve à tout instant. Ces généreuses aspirations, ce sentiment vif de la dignité humaine qui éclatent en traits brûlants dans la bouche du marquis de Posa, formaient le fond du caractère de Schiller, et l'on s'aperçoit aisément que ce ne sont point là de vaines paroles écrites pour le besoin de la scène. Don Carlos est bien l'ami de son choix ; il a voué à ce prince infortuné une amitié, une tendresse inaltérables; il l'associe dans son affection à son ami réel et vivant : - « Au milieu de cet air frais du matin, écrit-il à ce dernier, — je pense à vous et à mon Carlos. » Et plus loin: : « Nous devons être les amis de nos héros, car nous devons trem» bler, agir, pleurer et nous désespérer avec eux. Ainsi je porte Carlos » dans mon rève, j'erre avec lui à travers la contrée. » Là est tout le secret du magnifique caractère de Posa, le véritable héros du drame. Posa, c'est Schiller.

L'on a pu blâmer avec raison, dans l'intérêt de la vérité dramatique,

l'intrusion de l'auteur dans son ouvrage. Nous convenons qu'en un drame historique principalement l'écrivain ne saurait introduire sa propre individualité, ses idées exclusivement personnelles, sans s'exposer à fausser des données qu'il est tenu de respecter. Mais qui pourrait, à la lecture de Don Carlos, maintenir la rigueur d'un tel jugement? La sincérité d'émotion, l'enthousiasme touchant qui animent le poète, inspirent un intérêt poignant qui saisit l'âme et l'emporte sans lui laisser le temps de se reconnaître. Rien d'essentiel d'ailleurs à la conduite de la pièce, à la vérité des caractères ou à la couleur des tableaux, n'est ici sérieusement affecté. Que Schiller ait voulu concentrer, fixer en un type unique toutes les vertus, toutes les grandeurs morales conçues par sa rare intelligence, et que le personnage de Posa réalise ce type choisi, pourrait-on lui reprocher autre chose, sinon d'exciter dans les esprits une admiration dont ce qui n'est qu'humain est rarement digne?

Cette pâle et mélancolique figure du fils de Philippe II devait exercer sur l'âme sensible et ardente de Schiller une séduction puissante. Son imagination dut être vivement excitée par la fin mystérieuse de cet infortuné jeune prince, dont les aspirations et le caractère sont encore pour l'historien un sujet de doutes et de discussions. Brantôme, qui eut occasion de le voir de près, en parle plus que diversement. C'est tantôt « l'image de son grand père s'il eust vescu, » et tantôt un garçon « fort nastre, estrange, et ayant plusieurs humeurs bigarrées; » sournois, autrement dit, et le cerveau un peu fèlé. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il était loin de partager les idées cruellement étroites de la cour où il vivait, et qu'il ne cachait pas ses sympathies pour les Flamands, alors victimes des persécutions de Philippe II. Quant à la passion profonde, violente même, qu'il aurait ressentie pour la femme de son père, Elisabeth de Valois, passion qui entre pour une bonne part dans l'intérêt du drame, on la regarde aujourd'hui, malgré le témoignage de Brantôme (1),

(1)« Le dict prince Don Carlos l'ayant veue (Elisabeth), en devient si amoureux et si plein de jalousie, qu'il l'en porta grande toute sa vie à son père et fut si despité contre lui, pour lui avoir soustrait sa belle proye, qu'oncques bien il ne l'en ayma..... Aussi, dit-on, que cela fut cause de sa mort en partie » (Brantôme, Elisabeth, royne d'Espaigne). Cette Elisabeth, dont Schiller a fait une si émouvante création, était fille de Henri II et de Catherine de Médicis. Promise en mariage à Don Carlos, le père de ce prince la« trouva à son gré, et la prit pour lui. » Elle était vertueuse, spirituelle et bonne s'il en fut oncques.» (Brantôme). langage touchant et qui n'est pas sans rapport avec les poétiques adieux d'une autre reine, qui abandonnait aussi, pour ne le plus revoir, ce « playsant pays de France. »

en tout belle, sage, Schiller lui prête un

comme controuvée. L'on ne saurait donc attribuer à la jalousie le parti extrême que prit le roi de se défaire de son fils. Il serait oiseux, à défaut de documents dignes de foi, de se perdre en conjectures pour expliquer la mort de Don Carlos. C'était d'ailleurs un despote trop enivré de sa puissance que Philippe II, et trop absolu dans ses volontés, pour céder à des considérations d'un ordre quelconque. La conduite et les idées de son fils lui donnaient de l'inquiétude, et il le fit disparaître.

Les données que l'histoire fournissait au poète n'étaient, on le voit, rien moins que précises. Il n'en fut que plus libre de choisir celles qui s'adaptaient le mieux à ses idées et à son plan. A mesure que vont se rétrécissant les limites du vrai, plus large s'ouvre le champ du vraisemblable, ce prestigieux domaine de la poésie, dont le but est de plaire bien plus que d'instruire. Schiller entre hardiment dans la vaste carrière qui lui est ouverte. Empruntant à l'histoire, avec une scrupuleuse fidélité, la vérité des caractères et des tableaux, il n'écoute pour tout le reste que la voix de son imagination. Son œuvre est une peinture saisissante de la cour de Philippe II. La dissimulation, le soupçon, l'espionnage s'agitent autour du sombre et cruel héritier de Charles-Quint. Comme toujours, la tourbe servile des courtisans « compose son visage » sur celui du maître impeccable et infaillible dans son orgueil. Une morne et glaciale tristesse étend son voile de ténèbres sur tout ce tableau qu'illuminent par éclairs les sinistres reflets des auto-da-fe.

C'est dans ce milieu funeste que s'agitent les passions diverses que le poète met en jeu. Une idée constante domine le drame : l'affranchissement des Pays-Bas. Cette idée, un personnage presque héroïque la représente le marquis de Posa. Tout concourt à ce but suprême; tout est subordonné au grandiose dévouement du marquis, à sa courageuse abnégation. Les défaillances et les impétuosités de Don Carlos, les généreux instincts de la reine, jusqu'à la jalousie de Philippe, Posa fait servir ces éléments divers à ses vues sublimes, et lorsque, victime de son affection, il attire sur lui le coup mortel pour sauver son ami, il tombe en laissant à Don Carlos le soin de remplir sa tâche.

Nous ne dissimulerons pas que Don Carlos ne contienne des imperfections, des inhabiletés saillantes. Au point de vue purement dramatique, c'est loin d'être une œuvre irréprochable. L'influence des idées en vogue à l'époque où il fut composé s'y fait souvent trop sentir; on y trouve des scènes languissantes et des situations risquées. A force de lyrisme, le style est parfois déclamatoire. Comment, malgré ses nombreux défauts, cette pièce a-t-elle pu conserver le rare privilége de plaire même aux esprits les plus prévenus? La raison en est simple. Elle plaft, parce qu'elle émeut. Que Schiller ait montré à un plus haut degré, dans Vallenstein,

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