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qui assiégeaient l'auteur. Dans la préface, il se plaint « d'effrontés » intrigants, de calomniateurs téméraires qui sont l'instrument et l'organe de ses persécuteurs. » Il se dit « victime de toutes les » délations, de toutes les haines et de toutes les vengeances. » Il fait une longue réfutation « des mensonges, absurdités, calom>> nies, inventés, répandus par la malveillance et répétés par » la sottise. »>« Cette réfutation, dit-il, je la devais au nom de » Roucher, illustré par l'auteur du poème des Mois, à ce nom glo>> rieux que je porterai du moins sans tache, si je ne puis l'en>> tourer d'un nouvel éclat. »

Bruxelles était alors un centre littéraire et politique. Roucher entra en relations avec la plupart des membres de la colonie française qui s'y était établie, et particulièrement avec Arnault, alors exilé. Il lui adressa de belles strophes, et reçut de lui en retour des vers pleins de charme. Ce fut pendant son séjour dans cette ville que l'attention se porta sur son nom pour la première fois et à un double titre. En même temps qu'il composait des poésies, il dirigeait un journal de critique, l'Aristarque. A cette époque les recueils de ce genre étaient rares. Marchant sur les traces de Geoffroy, il se jeta dans la mêlée littéraire avec une ardeur toute méridionale. Les deux écoles opposées commençaient alors à se partager la république des lettres, et toute œuvre nouvelle, bonne ou mauvaise, avait le privilége de passionner les écrivains et quelquefois la foule. Roucher fut un des champions du goût plutôt que des idées des anciens, et il lutta avec énergie, moins contre les novateurs, que contre les exagérations qui gâtaient leur cause. Il serait intéressant de l'étudier comme journaliste, et de rechercher comment ses travaux de critique ont contribué à rendre son jugement plus sûr et plus délicat; mais ce ne peut être ici le lieu d'une semblable étude.

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Ce fut à Bruxelles également que Boucher donna au public deux de ses meilleures comédies: le Jeune satyrique et l'Intrigue de bureau. Ces pièces furent représentées avec succès devant la Cour néerlandaise. La Belgique était encore unie à la Hollande par un mariage politique que 1830 a rompu. L'auteur reçut les félicitations du prince d'Orange dans les termes les plus honorables, et le souvenir de ce premier et éclatant succès faisait, plus de trente ans après, palpiter encore le cœur du vieux poète au

milieu de ses plus amères déceptions. Mais Paris a seul le privilége de consacrer les renommées dramatiques. Roucher y reparut donc, patronné par les littérateurs le plus en vogue alors, tels que de Jouy, Dupaty, Andrieux. Il y composa plusieurs comédies qui furent admises au Théatre-Français. Mais des questions de personne, qu'il ne sut pas résoudre par un peu de condescendance pour des susceptibilités ombrageuses, entraînèrent des retards et finalement le refus de jouer ses ouvrages. Roucher s'éloigna mécontent de la capitale, et revint à Montpellier qu'il ne quitta plus. Il y passa les trente dernières années de sa vie, délaissé, inconnu ou incompris. Il partageait son temps entre la poésie, la pêche et le séjour des champs; vivant, par sa faute, souvent dans une extrême médiocrité et de plus en plus sous le coup des disgrâces, que sa trop vive imagination lui avait créées et qui étaient devenues pour lui des maux réels. Dans cette longue période, Roucher, aux yeux du grand nombre, ne pouvait être qu'un homme se croyant et se disant entouré d'ennemis invisibles, qui en voulaient à ses biens et à sa vie. Quelques personnes, qui avaient appris à le connaître dans des entretiens intimes, ne se laissèrent point rebuter par les bizarreries de son caractère, et continuèrent d'entretenir avec lui des rapports qu'il savait rendre agréables par les connaissances variées de son esprit, son goût à la fois délicat et sévère, les grâces de son élocution et sa politesse parfaite; mais combien peu de gens pouvaient soupçonner un talent, qu'il mettait tous ses soins à cacher, de peur, étrange aberration! qu'on ne lui en dérobât le fruit! Talent réel et pur, mais qu'il paya bien cher, comme l'on voit. Hélas! ceux à qui la Providence fait part de ses plus riches dons, sont rarement heureux ! Il semble que l'une des facultés de notre âme ne s'étend et ne s'exalte qu'aux dépens des autres facultés, et c'est dans la sensibilité exquise de certains écrivains qu'il faut chercher la source de leurs maux comme celle de leurs inspirations. Le Tasse et J.-J. Rousseau n'en sont-ils pas de frappants exemples? Cependant l'affection fébrile qui fit leur tourment ne les a pas empêchés d'écrire, l'un des vers immortels, l'autre des pages d'un incomparable éclat.

Roucher aussi resta poète, malgré les douloureuses chimères qui l'obsédaient. Assurément nous ne nous abusons pas sur les défauts qu'on trouve dans ses poésies, défauts qui dépendent presque tous,

ou des genres qu'il a cultivés, ou de l'époque à laquelle il appartient; mais nous croyons qu'on y trouvera des qualités de fonds et de forme très-estimables, et qu'on regretterait, après avoir lu les extraits qui suivent, que ces œuvres fussent à jamais perdues.

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Le regret sera plus vif encore quand on saura que ce qui nous reste du poète n'est pas, de son avis à nous maintes fois répété, la meilleure partie de ses œuvres. Possédé de la crainte de se voir ravir ses manuscrits, il fit choix de ceux qui avaient le plus de valeur à ses yeux, il était bon juge, nous sommes en mesure d'en convaincre nos lecteurs, et après les avoir enfermés dans un coffret avec mille précautions, il les enfouit sous un rocher, au pied d'un arbre, dans une des plus belles propriétés des environs de Montpellier. C'était l'un des endroits qu'il affectionnait, où il· passait la plus grande partie de ses journées, et qui lui a inspiré sans doute ses plus frais tableaux. Mais la propriété ayant changé de maître, le bois fut coupé et l'auteur lui-même ne put retrouver aucune trace du lieu précis où il avait caché son trésor.

III.

Nous avons entre les mains tout ce qui reste des écrits poétiques de Roucher; ils comprennent, d'une part, des élégies, des épîtres, des satires et d'autres pièces se rapportant aux genres secondaires : ce sont ces œuvres dont nous allons nous occuper d'abord; d'autre part, des comédies de mœurs et d'intrigue, assez nombreuses et importantes pour être étudiées séparément.

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L'auteur a surtout réussi dans la poésie élégiaque. Certes, nous ne nous dissimulons pas combien, dans l'état actuel des esprits, l'élégie a peu de chances d'être bien accueillie. Après avoir été descriptive au commencement du siècle, la poésie aujourd'hui s'est faite réaliste, philosophique, mystique, symbolique, humanitaire, nous ne blâmons que les écarts; on ne saurait donc être très-favorable à l'humble et « plaintive élégie. »>

Des soupirs, des déclarations, des feux et des flammes, ne sont rien de bien nouveau assurément. Nous n'avons pas ici à faire l'apologie du genre; nous nous contenterons de dire, une fois pour toutes, qu'il ne faut pas considérer seulement les défauts ou les abus que l'élégie entraîne d'ordinaire, et, cette remarque faite,

nous espérons qu'on nous saura gré d'éditer des vers aussi purs de sentiments, aussi gracieux de style que ceux-ci :

VIENS.

ÉLÉGIE A LAURE.

Toi, qu'intéressent mes disgraces,

Toi, qui me fais aimer d'infortunés liens,

Toi, qui me vois mourir en poursuivant les traces,
Viens.

Le charme heureux de ta présence,

Tes soins ingénieux sont mes uniques biens;
Viens sauver ton ami qui meurt de ton absence,
Viens.

Que le jour finisse ou commence,

Mon cœur avec toi seule a de doux entretiens;
Si tu veux de ce cœur accroître l'éloquence,

Viens.

Viens unir ton âme à mon âme

Et tes feux à mes feux et tes baisers aux miens;
Les cieux émus, les cieux protégent notre flamme,

Viens.

En ne laissant aucun espace

Entre deux cœurs unis des plus étroits liens,

Les méchants entre nous n'auront jamais de place,

Viens.

Voici un autre appel du poète à sa Laure celle qu'il célèbre dans ses élégies. faciles et délicats.

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car c'est le nom de

Cet appel est rempli de vers

VIENS.

ÉLÉGIE A LAURE.

La nature a repris sa robe de parure,
Nos champs, nos prés ont refleuri ;

Et sous les touffes de verdure

A ses fruits, nus encor, la fauvette a souri.

Déjà, dans les airs élancée,

Vive, brillante, cadencée,

La voix du rossignol enchante nos bosquets;
Déjà l'aimable bergerette

Sous la fraîche et verte coudrette
Cueille et compose ses bouquets.
Les ruisseaux, au riant murmure,
S'égarent dans le sein des fleurs,

Et l'aurore, en versant des pleurs,
D'innombrables rubis embellit la verdure.
Nos lilas et nos grenadiers

Et nos myrtes et nos lauriers
Forment des berceaux qui t'attendent;
Et le Zéphire en se jouant

Et les Naïades en riant

Sur nos rivages te demandent.

Quant à Flore, je ne crois pas

Qu'elle aspire à te voir sur la verte pelouse.
De tes grâces, de tes appas
Je la soupçonne un peu jalouse.

Je n'ose te parler de moi,

Ni de mes vers ni de ma prose,

Ni de ce fol amour dont je brûlai pour toi,

Tu veux depuis longtemps me convaincre, je crois,

Que mes feux et mes vers sont pour toi peu de chose.

Toutefois un poète inspiré d'Apollon,

(Par un de tes regards mieux inspiré sans doute)
Et qui te chante encore à l'immortel vallon,
Semble mériter qu'on l'écoute.

Viens donc près du poète; il est si bon ami !
Change son destin ennemi.

Tu le peux d'un coup d'œil, et tu le dois peut-être.
Viens lire dans son cœur l'amour que tu fis naître.

Tu ne le connais qu'à demi;

Ce n'est pas du tout le connaître.

L'élégie Mes tourments est toute pleine du feu qui embrase l'âme du poète. Si ces fragments étaient d'un auteur ancien, que de louanges ne lui prodiguerait-on pas ! Ne sommes-nous pas injustes envers nos modernes ?

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