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BIBLIOGRAPHIE.

– Economie rurale de la France depuis 1789, par M. L. de LAVERGNE, membre de l'Institut et de la Société centrale d'Agriculture de France (1).

L'agriculture est aujourd'hui en honneur parmi nous. Elle est entrée dans nos mœurs, ne compte pas comme affaire de mode, mais comme moyen honorable d'acquérir la paix et le bien-être. A la suite des mouvements politiques des dernières années, on a vu les esprits les plus distingués se vouer à la culture de la terre et demander à la vie rurale le bonheur et le calme que la vie publique leur avait refusés. Aussi, loin d'être, comme autrefois, l'apanage de la famille obscure des laboureurs, l'agriculture semble devenir le but des plus nobles ambitions, le théâtre privilégié où s'exercent les plus vives intelligences. Longtemps distraite par des préoccupations politiques ou belliqueuses, la France s'est rejetée, depuis 1845, vers les travaux paisibles de la terre. Sous l'influence d'une paix continue de quarante années, le sol a été fouillé avec ardeur; des procédés nouveaux de culture ont été essayés; la science, dont se méfiait à tort la pratique, est venue en aide au laboureur; une heureuse alliance s'est faite entre la théorie et l'application. Pendant que les Boussingault, les Payen et tant d'autres savants apportaient à l'agriculture l'appui des sciences physiques; pendant qu'ils éclairaient des lumières de l'analyse

(1) 1 vol. 500 pages in-12, chez Guillaumin et Ce, éditeurs, rue Richelieu, 14, et chez les libraires de Toulouse.

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un art asservi jusqu'à ce jour aux pratiques de l'empirisme; les Gasparin, les Dombasle, les Dezeimeris se faisaient sur le terrain les expérimentateurs des idées nouvelles. Sans doute, beaucoup d'hésitations, beaucoup de tâtonnements ont marqué chaque pas fait en avant. La déception, a été le terme de beaucoup d'espépourquoi le cacher ? rances, et parmi les initiateurs du progrès agricole on en pourrait citer plus d'un qui a expié par la ruine son dévouement à la meilleure des causes. Un tel résultat, déplorable sous le rapport privé, ne peut servir d'argument contre le principe lui-même. Le métier d'agriculteur, qui semble le plus aisé de tous et dont chacun se croit capable, est un de ceux qui demandent le plus de qualités spéciales. Il faut pour mener à bien une entreprise agricole, un âpre courage et une indomptable persévérance. Malheur à ceux qui s'engagent dans cette voie avec une volonté faible et un naturel indécis. Les mécomptes ne tarderont pas à les atteindre et ils quitteront la partie, en rejetant sur la terre ou sur l'art agricole lui-même la responsabilité d'un échec qui ne peut être imputé qu'aux défaillances de leur caractère. C'est surtout dans cette carrière qu'il faut vouloir et prévoir.

L'histoire générale de l'agriculture française est encore à faire. Une telle tâche sera toujours difficile à remplir. La statistique, cette science moderne par excellence, à laquelle notre temps a le tort peut-être de vouloir faire dire plus qu'elle ne peut dire, n'offre plus, au-delà de 1789, le concours indispensable de ses tables et de ses chiffres. Nous ne savons que par conjecture, que par à peu près, la somme de la production pendant les siècles qui précèdent le nôtre. Comment dès-lors évaluer la richesse rurale? Comment mesurer le mérite des procédés de culture? Comment en un mot faire de la comparaison sans deux termes connus? — A en juger néanmoins par les crises incessantes que subit l'alimentation publique, même aux époques les plus éclairées de notre histoire, on peut induire que l'agriculture, soit par l'imperfection des méthodes, soit par l'effet des charges féodales, soit par les entraves des lois, priviléges et règlements locaux, gémissait, sous l'ancienne monarchie, dans un état de langueur déplorable (4). Les famines, les disettes se succèdent de dix en dix ans, pendant les règnes prospères, - à la surface, de Louis le Grand et de Louis le Bien-Aimé. Notre temps, au contraire, a supporté sans déchirements les déficits de 1846 et de 4853. L'attitude différente du

(1) Voir, pour cette intéressante question de l'alimentation publique sous l'ancienne monarchie, l'excellent travail de M. Charles Louandre, et le compte-rendu qui en a été fait dans la Revue de Toulouse (livraison du 1er juillet 1860), par M. Gustave Humbert.

pays en présence du même fléau dit assez, en remontant de l'effet à la cause, quelle fut l'époque de la prospérité ou de la misère pour nos campagnes.

Parmi les écrivains qui ont consacré leurs travaux à l'étude et à la révélation du mouvement agricole au dix-neuvième siècle, il faut citer au premier rang M. Léonce de Lavergne. Cet économiste, dont Toulouse s'honore d'avoir formé la jeunesse, semblait, par la nature de ses premiers succès, voué à une illustration purement littéraire. Esprit érudit et chaleureux à la fois, écrivain sobre et imagé, M. de Lavergne possédait les qualités d'imagination et de style qui font les grands écrivains. Nul, sous l'écorce polie, sous l'enveloppe attique du poète et du littérateur, n'eut deviné avant 4850 l'agronome et l'économiste. M. de Lavergne, qui déjà dans une trop courte carrière politique avait révélé une rare aptitude pour les affaires du gouvernement, réservait à ses amis une nouvelle surprise. Rejeté dans la vie privée par les évènements de 4848, il conçut le dessein d'utiliser ses loisirs, de servir encore le pays en appliquant à l'étude de l'économie rurale la vive intelligence que le ciel lui avait départie. Parmi les publicistes modernes, nul n'est doué, plus que M. de Lavergne, de la faculté précieuse de s'assimiler toutes les connaissances et du don merveilleux de les exposer ensuite avec précision et clarté. Avec de pareils instruments de travail la tâche fut bientôt remplie; en peu de temps le littérateur de la veille eut non-seulement appris mais trié tout ce qui s'est écrit ou dit sur la vieille science du « pastourage et du labourage. » Un évènement vint bientôt mettre en relief cette somme de connaissances si rapidement acquise. Un concours fut ouvert devant un jury spécial, afin de pourvoir de leurs titulaires les chaires de F'Institut agronomique de Versailles. M. Léonce de Lavergne s'inscrivit pour la chaire d'économie rurale et l'emporta sans conteste sur tous ses compétiteurs. L'Institut agronomique, création de la république, ne survécut pas malheureusement au gouvernement qui l'avait fondé. Il fut supprimé en 1852, deux ans après son établissement. Le professeur pourtant avait amassé de nombreux matériaux qui tous n'avaient pu être utilisés dans le cours oral. Il eut alors l'idée de publier ce qu'il n'avait pas eu le temps de dire. C'est de cette résolution qu'est sorti un des livres les plus répandus et les plus estimés de notre temps, je veux dire l'Essai sur l'économie rurale de l'Angleterre, de l'Ecosse et de l'Irlande. Ce livre, contre-partie posthume du Voyage agronomique d'Arthur Young, a tout simplement appris à la France ce qu'est l'Angleterre agricole. Traduit en douze langues, édité à plusieurs reprises, il a valu à son auteur l'honneur insigne d'ètre appelé à l'Institut et d'être assoscié, rare faveur, à la Société royale de Londres. — Aujourd'hui M. de Lavergne, stimulé

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par un tel succès, vient de donner un pendant à son premier ouvrage en publiant l'Economie rurale de la France depuis 1789.

Ce n'est pas une mince tâche que de peindre un pays qui résume en lui-même les traits principaux des différentes contrées de l'Europe. La France, en effet, si une par sa nationalité et son gouvernement, est essentiellement variable quand on l'étudie au point de vue agricole et géologique. L'uniformité, qui s'observe dans les lois et l'administration, est loin de se retrouver dans le sol, les cultures et le climat. Rien de si dissemblable que Dunkerque et Perpignan sous le rapport du terrain, de la température, et, par suite, du système agricole. Dunkerque, c'est la Flandre avec ses terres pénétrables, sa température humide, avec ses verts pâturages et ses riches récoltes de racines; Perpignan, c'est l'Espagne, presque l'Afrique, avec son ciel implacable, son terroir aride, où seuls, l'olivier et la vigne, peuvent, aidés d'un soleil ardent, trouver la nourriture et la vie. Si le département du Nord ressemble à la Belgique, le Roussillon à l'Espagne, la Normandie ne ressemble pas moins à l'Angleterre, la Franche-Comté à la Suisse et l'Alsace à l'Allemagne. La France emprunte, dans sa physionomie agricole, un trait à chacun des états voisins. Cette variété, signe caractéristique d'une grande richesse, - crée des obligations et des difficultés nouvelles à l'écrivain qui veut remplir consciencieusement sa tâche. Il faut évidemment ici diviser la matière et étudier, par région, une terre si mobile d'aspect et si diverse de constitution. C'est le parti qu'avec sa haute raison a embrassé M. Léonce de Lavergne.

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Le savant économiste partage notre territoire en six régions, sion que, pour le dire en passant, nous préférons aux circonscriptions confuses et souvent arbitraires adoptées pour la tenue des concours régionaux. Ces régions, déterminées le plus possible par l'homogénéité du climat, du terrain et des cultures, sont par ordre de richesse : 4o le Nord-Ouest, comprenant la haute et basse Normandie, la Flandre, l'Artois et l'Ile-de-France; 2o le Nord-Est, renfermant les anciennes provinces de Champagne, de Lorraine, d'Alsace, de Franche-Comté et la partie septentrionale de la Bourgogne; 3o l'Ouest proprement dit, où l'on trouve la Bretagne, l'Anjou, la Touraine, le Poitou et la Saintonge; 4o le SudEst, c'est-à-dire le riche bassin du Rhône, avec les vallées affluentes de la Saône, de l'Isère, de la Durance, etc., etc.; 50 le Sud-Ouest, c'est-à-dire notre belle vallée de la Garonne avec ses annexes, les plaines sous-pyrénéennes, toute la région, en un mot, que les géographes classent sous la dénomination de climat girondin; 6o enfin, le massif du Centre, région abrupte et montueuse qui semble former l'ossature de la France, et dont les départements du Puy-de-Dôme, du Cantal, de la

Corrèze, de la Lozère, de la Haute-Vienne et de la Creuse forment les circonscriptions principales.

Le Nord-Ouest est l'Eden de l'agriculture française; c'est le territoire que nous pouvons montrer sans rougir aux étrangers, celui qui peut soutenir la comparaison avec les plus riches comtés d'Angleterre et les plus fertiles cantons de la Flandre. Sur cette terre privilégiée, que ne déshonorent ni les landes, ni les marais, ni les friches, la population s'est accrue de plus de 3 millions d'âmes depuis 1790; les recettes publiques s'élèvent à près de 700 millions, le tiers de notre budget, — et la population a atteint la proportion de 109 habitants par 400 hectares. Cette prospérité merveilleuse a plusieurs causes, dont la plus efficace, suivant nous, est le caractère même, le tempérament natif de l'homme du Nord. Jeté par sa naissance sur une terre avare, sous un ciel sévère, l'homme du Nord s'accoutume vite à la lutte. La nature s'étant montrée marâtre pour lui, il doit réparer par un travail opiniâtre cette injustice du sort. Son caractère acquiert, de cette circonstance défavorable, une sorte de tenacité, de persévérance qui fait le succès en agriculture comme en tout. Ayant moins à espérer de la fertilité du sol et de l'indulgence du climat, il attend beaucoup plus de lui-même, et, dès la première heure, il sait mettre en pratique la maxime : « Aide-toi, le ciel t'aidera. » - Aussi, fouillée par des hommes d'une volonté énergique, la terre du Nord a dépassé bientôt, en fécondité, les terres que la nature semblait avoir mieux douées. Du Septentrion au Midi, d'Edimbourg à Cadix, de Rotterdam à Palerme, la richesse agricole suit (sauf dans quelques enclaves qui figurent, grâce aux cultures spéciales, comme une oasis au désert) une progression décroissante, progression inverse de celle que la nature semblait avoir tracée. L'Angleterre, la Hollande, la Belgique, la France septentrionale, placées sous un cie! brumeux, à une latitude où la vigne, le maïs, la luzerne même souvent, se refusent à croître, l'emportent de beaucoup, grâce à l'industrie de l'homme, sur l'Espagne, le Portugal, l'Italie méridionale, contrées situées dans des conditions physiques bien supérieures. La mauvaise terre ne crée pas la mauvaise agriculture. On voit dans les plus arides comtés de l'Ecosse s'enrichir le fermier, tandis que dans les fertiles plaines de Castille l'Espagnol végète pauvre et mal vêtu. C'est à l'homme et non au sol qu'il faut demander compte de la parure ou de la nudité des campagnes.

On doit, pour être juste, joindre à cette cause morale de supériorité la présence dans le Nord de l'industrie, agent non moins actif du progrès agricole. On a cru longtemps l'industrie et l'agriculture deux forces ennemies. L'expérience n'a que trop démenti ce préjugé. Loin de s'entredétruire, l'agriculture et l'industrie se prêtent un mutuel appui. Ce que

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