<< s'endormit dans le Seigneur, le lendemain de la fête de Saint Thomas martyr, à l'aurore», 30 décembre 1331. C'était dans la huitième année de son épiscopat. Il était âgé de soixante-onze ans, il avait passé cinquante deux ans dans l'ordre de saint Dominique. Il mourut dans le château de Lauroux (in castro de Laurosio) aujourd'hui canton de Lodève, Hérault. Après que ses funérailles eurent été célébrées solennellement dans la cathédrale de Lodève, son corps fut transporté à Limoges (suivant qu'il l'avait ordonné luimême) pour être inhumé dans l'église des Frères Prêcheurs (aujourd'hui Sainte-Marie). Son tombeau était placé dans le sanctuaire (in presbyterio) de cette église, a gauche du grand autel. Il était relevé de terre et fait en laiton ou cuivre jaune (1). Cette tombe fut enlevée quand on pilla l'église des Dominicains, pendant les troubles religieux du xvi siècle (2). On la remplaça par cette épitaphe : Sub hoc humili loco jacet frater Bernardus Guidonis, ordinis Fratrum prædicatorum, post nonnullasper Italiam, Galliam et Flandriam legationes apostolicas, primum Tudencis in Gallæcia, deinde Lodovencis episcopus in Gallia Narbonensi, qui animam cælo reddidit anno salutis M.CCC.XXXI, die XXX decembris. Requiescat in pace. Amen (3). << Dans cet humble lieu repose frère Bernard Guidonis, de l'ordre des Frères Prêcheurs, qui, après avoir rempli quelques légations apostoliques en Italie, en France et en Flandre, fut d'abord évêque de Tuy en Galice, puis évêque de Lodève dans la Gaule Narbonnaise. Il rendit son âme à Dieu l'an du salut 1331, le 30 décembre. Qu'il repose en paix. Amen. >> Dans la biographie de Bernard Gui écrite par un contemporain, que les savants croient être son neveu, Pierre Guidonis, nous trouvons une pieuse légende relative à sa mort. Si on a dit du roman historique « qu'il est plus vrai que l'histoire », on peut bien dire aussi de la légende qu'elle illustre l'histoire en lui donnant de la couleur et de la poésie, et en nous faisant mieux connaitre l'esprit, les tendances, et la physionomie d'une époque. (1) Eminenti tumulo fabrefacto ex letone. Brevis chronica, ap. Labbe, t. II, p. 512, Léopold DELISLE p. 487. M. Léopold DELISLE, p. 185, a traduit par une tombe de bronze, ce qui n'est pas exact. , (2) « Sed fuit in desolatione conventus ablatus » (ECHARD, t. 1. p. 577), « Cette tombe que les troubles religieux du xvIe sièle ne devaient pas respecter, fut remplacée par cette modeste épitaphe » (L. DELISLE, P. 185.) (3) LABICHE, t. III, p. 402, TEXTER, Inscriptions, p. 226, L. DELISLE, P. 185, Frère Thomas Norman, prieur des Dominicains de Limoges (1) était en prière dans l'église du couvent une nuit après matines; il était agenouillé dans le chœur, devant le siège prieural. Tout à coup il vit une brillante lumière qui, partant de la stallé du prieur, se dirigeait à travers le chœur vers le sanctuaire du grand autel..... Cette lumière disparut presque aussitôt. Comme on ne savait pas à Limoges la mort de l'évêque de Lodève, frère Thomas était dans l'admiration sur ce que ce prodige pouvait signifier. Mais le lendemain matin, un courrier arriva avec des lettres, annonçant que l'évêque de Lodève était mort, et que, suivant ses dernières volontés, on portait son corps à Limoges, pour qu'il fut inhumé dans l'église du couvent. Alors le prieur frère Thomas comprit que cette lumière figurait Bernard Guidonis, qui, par sa vie et par sa doctrine, avait illustré de plusieurs manières son ordre et l'Eglise; et cette lumière allait de la stalle du prieur vers le sanctuaire, parce que Bernard, ayant été en ce lieu prieur des Dominicains, avait voulu reposer dans le sanctuaire auprès du grand autel, où il attend avec les justes la résurrection bienheureuse (2). Le biographe à qui nous devons ce récit fait le plus grand éloge du caractère et des vertus de Bernard Gui : « Homme de bon conseil, d'une grande expérience, d'une prudence consommée, d'une religion à l'épreuve, modeste, sensé, illustre par sa science et son éloquence, ... digne d'être comparé aux anciens pères par la vivacité de sa foi, la ferveur de son zèle et la sincérité de sa religion (3). Bernard Gui savait allier à un grand fond de piété une conversation pleine de sel et de gaieté (mente devotus et sermone joсипdus). Le soir, après les occupations de l'étude et les préoccupations des affaires, il avait coutume d'appeler auprès de lui quelques familiers, pour échanger avec eux des paroles de douce et d'honnête récréation; et il disait, avec joyeuseté, que celui-là n'est pas un brave homme qui va se coucher sans avoir ri une bonne fois dans la journée - asserens non esse probum virum qui vadit ad dormien (1) Ce prieur a été oublié dans la liste des prieurs du couvent de Limoges, donnée par l'abbé Roy-Pierrefite (Bulletin archéologique, t. X. p. 45). (2) Brevis chronica, etc., ap. LABBE, 1. 11, p. 820. - Léopold DELISLE, р. 430, 431. ... (3) Vir magni consilii, magne experiencie experteque prudencie ac religionis probate, vir modestus atque sensatus, ac humilitate profundus,... scientia ac eloquentia clarus, assimilatus insuper in fidei fervore, in zelo ac sinceritate religionis, patribus primitivis. (Brevis Chronica, ap. Léopold DELISLE, р. 427, LABBE, t. II, p. 512. LABICHE, t. III, р. 403). dum nisi semel in die fuerit jocundatus. Toutefois il usait avec sobriété de cette récréation et il la terminait en l'assaisonnant toujours par quelques paroles d'édification et de piété, qui, chez lui coulaient de source (1). Le même biographe dit que Bernard Guidonis opéra des miracles pendant sa vie et après sa mort, et il cite en particulier les faits suivants : Frère Arnaud Borguet, inquisiteur à Barcelone, qui fut provincial des Frères Prêcheurs dans la province d'Aragon, homme sincère et digne de foi, avait raconté souvent et très sérieusement à des personnages de grand mérite une guérison miraculeuse qu'il devait aux prières de Bernard Guidonis. C'était la seconde année du pontificat de Jean XXII (1318): il se trouvait alors à Avignon, pour travailler à la canonisation de saint Raymond de Pennafort, troisième général de l'ordre de saint Dominique. Il s'y trouvait avec Bernard Guidonis qui était à cette époque inquisiteur de Toulouse et procureur général des Dominicains. Après avoir, dans la saison d'été, passé trois nuits sans sommeil, tant à cause de l'intensité de la chaleur que de divers autres accidents, Frère Arnaud en était arrivé à une telle fatigue corporelle, une telle altération des traits, un tel abattement général qu'il craignait une mort prochaine. Touché par la sainte conversation de l'homme de Dieu, et ayant la plus grande confiance en ses mérites, frère Arnaud le supplia humblement et dévotement de le secourir par sa pieuse intercession. Le saint homme, voyant sa foi, dit ces paroles : « Au nom de Dieu, je commande au sommeil de revenir aux yeux de l'inquisiteur de Barcelone, et que toute indisposition inquiétante s'éloigne de lui! >> La parole de l'homme de Dieu eut une telle eflicacité, qu'à partir de ce moment frère Arnaud goûta un sommeil doux et tranquille, et sa première santé lui fut rendue (2). Un autre religieux de l'ordre de saint Dominique, frère Guillaume de Gardage, de Bayonne, fut atteint dans la même semaine d'une fièvre violente et d'une dyssenterie pernicieuse. Ayant appris la guérison que le vénérable serviteur de Dieu avait obtenue à l'inquisiteur de Barcelone, il lui demanda avec une foi vive et une dévotion admirable, un jour qu'il recevait sa visite, d'ordonner à la maladie de s'éloigner de lui. D'abord frère Bernard, par humilité, refusa d'acquiescer à cette demande: mais enfin, vaincu par les instances du malade, il ordonna à la fièvre et à la dyssenterie qu'à (1) Brevis chronica, ap. Léopold DELISLE, P. 428. p. 512. (2) Ap. LABBE, t. II, p. 820; Léopold DELISLE, P. 429. partir de tel jour, c'est-à-dire de la fête de saint Dominique, qu'on devait célébrer le lendemain ou le surlendemain, elles cessâssent de tourmenter ce malade; et, ajoute le biographe, selon que je l'ai appris de la bouche de frère Guillaume, qui me l'a attesté souvent et devant de nombreux témoins, à partir de ce jour, il se sentit délivré de la fièvre et de la dyssenterie par les mérites du bienheureux Bernard Guidonis. Ces deux miracles et prodiges furent tellement notoires dans le couvent d'Avignon que frère Pierre Bernard de Bayonne, alors sacriste (sacellarius) du sacré Palais, plus tard évêque de la même ville de Bayonne, disait en riant devant lui et en présence de quelques témoins, que l'ordre des Frères Prêcheurs se donnait bien vainement de la peine pour la canonisation des religieux morts, puisqu'il pouvait canoniser un saint vivant (1). CHAPITRE II Les ouvrages de Bernard Guyon Les ouvrages les plus importants de Bernard Guyon, ceux qui ont consacré sa réputation, sont des livres d'histoire; mais il a composé aussi divers ouvrages de science ecclésiastique; on peut les classer ainsi : I. Histoire générale; II. Histoire provinciale ou locale ; III. Hagiographie ou Vies des saints; IV. Histoire monastique ; V. Théologie; VI. Droit canon; VII. Liturgie; VIII. Mélanges, tels que sermons, lettres, opuscules, etc. ARTICLE PREMIER HISTOIRE GÉNÉRALE Nous classons dans cet article les ouvrages suivants : 1o Fleurs des chroniques ou catalogue des pontifes romains; (1) Ap. LABBE, t. II, p. 820; Léopold DELISLE, p. 430. 20 Chronique abrégée des papes; 3o Chronique abrégée des empereurs ; 4o Chronique des rois de France; 5° Catalogue des rois de France; 6o Arbre généalogique des rois de France; 7o Description des Gaules. § Ier. FLEURS DES CHRONIQUES OU CATALOGUE DES PONTIFES ROMAINS Le principal ouvrage de Bernard Guyon. intitulé Flores cronicorum seu Catalogus pontificum Romanorum, est une chronique universelle, commençant à Jésus-Christ et descendant jusqu'au commencement du xiva siècle; 1315, 1319, 1320, 1321, 1327, 1330 ou 1331, selon les divers exemplaires. La Bibliothèque nationale en possède vingt-une copies du xive et du xv siècle, dans lesquelles on remarque des différences notables. C'est à Avignon, le 26 mars 1311, que Bernard commença à écrire cette chronique, dont il avait ramassé les matériaux depuis plus de cinq ans, et qui devait embrasser la période comprise entre la naissance de Jésus-Christ et le pontificat de Clément V (1). M. Léopold Delisle, avec une patience et une sagacité de bénédictin, a étudié et signalé les nombreuses éditions que Bernard Gui a données de cet ouvrage, les remaniements successifs et les corrections qu'on remarque dans ces divers manuscrits. Le manuscrit 1171 est l'original de la chronique, tel que l'auteür le commença à Avignon le 26 mars 1311, et tel qu'il le présenta d'abord à la fin de l'année 1315, puis le 1er mai 1316, à frère Berenger, maître de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Il publia, en 1319, une deuxième édition des Fleurs des Chroniques. L'existence de cette édition est prouvée par une dédicace au pape Jean XXII, qui porte la date du 7 août 1319, troisième anniversaire de la nomination du pape. En 1320, il publia une troisième édition, qu'il dédia, comme la seconde, au pape Jean XXII. Après l'année 1320, Bernard Gui ne cessa pas de recueillir des notes sur les événements qui arrivaient à sa connaissance et qui étaient de nature à prendre place dans les Fleurs des Chroniques (2). « La première partie des Fleurs des Chroniques, jusqu'au pontificat de Grégoire VII inclusivement, a été publiée en 1841, d'après le ms. du Vatican, par le cardinal Maï, au commencement du (1) Léopold DELISLE, Notice, etc., p. 188, 190. (2) Id., ibid., p. 189, 201, 202, 204, |