DOCUMENTS Le partage des frères Petiot, bourgeois et marchands de Limoges (29 avril 1500) La famille Petiot a joué autrefois à Limoges un rôle notable. Aux xv et xvi° siècles, on ne peut guère consulter nos anciennes archives sans trouver les noms des membres de cette lignée mêlés intimement à l'histoire de notre cité. On les voit constamment au barreau ou dans la magistrature, et ils remplissent les diverses fonctions électives dont pouvait les charger la confiance de leurs concitoyens. Le juge Martial de Petiot emploiera un peu plus tard son influence à constituer à Limoges le parti de la Ligue, tentative d'ailleurs sans succès, qu'il payera de sa tête (17 octobre 1589). Pierre et Mathieu Petiot, dont nous allons examiner le partage des biens paternels, étaient simplement « bourgeois et marchants >>> titre dont la signification est vague, car il paraît libéralement octroyé à tout citoyen se livrant au négoce ou à l'industrie et ayant un établissement d'une certaine importance dans la ville (1). Or, les Limousins étaient, on le sait, de laborieux compagnons, cherchant à suppléer par leur activité à la pénurie des ressources naturelles de leur sol; de là cette ardeur au trafic, ce besoin des affaires qui fait que, du petit au grand, chacun fabrique, emmagasine, achète et revend; jusqu'aux tabellions qui s'intitulent parfois « notaire et marchant ». (1) Dès la fin du xve siècle, le titre de « burgensis et mercator, bourgeois et marchant » se trouve couramment donné, dans les actes de notaires, dans les conditions que nous indiquons ici; et à partir du commencement du xvie siècle, ce double qualificatif devient à peu près constant. C'est, sans doute, par leur valeur personnelle, et en s'appuyant sur une fortune honorablement établie (1) que les Petiot avaient acquis un rang distingué parmi leurs concitoyens. Et, de fait. Pierre et Mathieu Petiot ne sont pas de vulgaires commerçants. Ils sont en relations d'affaires avec l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie et les provinces de France les plus éloignées; ils possèdent des comptoirs à Paris, à Lyon, à Limoux, à Montpellier, etc. Leur commerce avec Lyon paraît avoir une importance spéciale. Ils y envoient notamment des pelleteries et des produits pour la teinture. Quelques détails sur ce genre de marchandises, d'un haut prix, donneront une idée du pied sur lequel était monté leur négoce. Nous voyons à l'article 52 du partage que les deux frères possédaient dans leur entrepôt de la rue Bancléger plus de cent quintaux de garance, c'est-à-dire un chargement supérieur à celui d'un wagon actuel de 5,000 kilos; à Lyon ils ont en garde (art 27) cent trente caisses d'un produit qui serait, peut-être, du bois de campéche; leur placeur à Paris, Guyot Morange, n'a pas reçu d'eux moins de quatre quintaux de brésil des Indes (art. 33). D'ailleurs, tout est bon pour leur commerce, et avec les matières tinctoriales et les peaux, nous les voyons vendre du blé, de la morue, des draps et des étoffes de toutes sortes et de toutes provenances, de l'or fin, de la cire, etc. Cela ne suffisait encore pas à leur activité, à leur besoin de spéculation. Ils se font fermiers des châtellenies de l'évêque de Limoges (art. 62); mais, ne pouvant suffire à tout, ils sont obligés de les sous-louer (art. 63 à 65). Comme gestion, ils doivent, du reste, avoir assez à faire pour leur propre compte; car l'acte de partage nous apprend qu'ils possèdent plusieurs maisons à Limoges, des vignes, des pressoirs, des biens ruraux et de nombreuses rentes en argent et en nature. Si, comme nous le disions, tout à l'heure, le titre banal de « bourgeois et marchant » est bien vague, il nous semble qu'ici sa signification se dégage d'une certaine façon. L'acte que nous transcrivons ci-dessous est rédigé en patois, et cette forme très rare dans les actes de notaires contemporains, ajoute à ce partage un intérêt particulier. Il est écrit sur un cahier de papier in-folio de 0,290 de haut sur 0m,208 de large, une fois le cahier fermé. Dans cette position, une moitié des feuillets porte, au milieu de la page, en filigrane, une (1) Les Petiot paraissent avoir usé dignement de leur fortune. On les voit souvent, dans leurs testaments, faire des largesses importantes aux couvents, aux églises, communautés de prêtres, confréries, œuvres pies, etc. main qui a le pouce et les deux premiers doigts levés, les deux derniers repliés; le poignet se termine par une manchette tuyautée. Voici le texte de l'acte de partage: Lo partaige deux sts Peyr et Mathieu Petiotz frairs (1) Lo xxIx jour dabrieu l'an mil cinq cens, come sya vray que lo st Gerault Petiot, bourgeys et marchant de Limoges se agues fach son darnier testament, per loqual el aya instituit sos heretiers universaulx, soulz et per lo tout, lous sta Peyr et Mathieu Petiotz, sos filz naturaulx et legitimes, marchans deud Limoges, losquaulx ayan demorat ensemble despuey lo deces de lourd feu payr jusques a p[rese]nt, et ayant deliberat de divire (2) et partir lous beys, marchandisas, debteys, argent contant, ceys (3), rendas et chaptaux, que lourd feu payr lour a laissatz communas ensemble, et ce que ilz an aquistat et gasnhat despuey lo deces de lourd payr; et lous beys que lour sont vengutz per succession a cause deu deces de feuz lo st mousen (4) Mathieu Petiot lour oncle, et de maistre Jorde Petiot lour frayr; et de toutas autras chausas a ilz apartenens jusques aud jour; an fach partaige et division perpetuelz entre ilz de cesd beys estans communs ensemble en la maniere et forme que senset: 1. - Premierament que losd. Peyr et Mathieu Petiotz frairs an recognogut et recognoissen aveyr fach partaige et division entre ilz de tout laur et argen monedat et a monedar, aneux (5), joyeulx, baguas, vexelle et utencille quilz avyan di meygo (6) ensemble, et que deusd aur, argent, baguas, aneux et joyeulx, vexelle et utencille de meygo chascun dilz aget et a recognogut aveyr agut sa legitime part et porcion, et de ce an quistat lung lautre en la meillour fourme; 2. - Item pareilhament losd frairs recognoissen et confessen aveyr fach partaige et division entre ilz de toutas las marchandisas que avyan en commu, soy assabeyr que la marchandise que eys demorade aud Peyr Petiot en sa meygo paternelle ent (où) el (1) Minutes de l'ancien notaire Deschamps, à Limoges. (2) Diviser. (3) Cens. (4) Abréviation de monseigneur. (5) Anneaux. (6) Di meygo: dans la maison. Le g se prononçait jet l'o se prononçait ou. Les paysans limousins disent encore invariablement « di meijou >> pour dans la maison ». T. XLV. 18 demoute, que son payr luy a donnade per son testament, eys et aparte et eys demorade aud Peyr Petiot. Et pareilhament la marchandise que lod Mathieu Petiot a agut et emportade en sa meygo, que fut de Jehan de La Roche, laqualle sond payr luy a laissade per sond testament, eys demorade et aparte aud Math[ieu] Petiot. De laqualle marchandise lung a quistat lautre en la meillour fourme; 13. - Item pareilhament losd frairs aux noms que dessus recogneissen et confessen aveyr fach partaige et division entre ilz de tous lous debteys que eran en commu entre ilz, tant a cause et razo de vendicion et tradicion de marchandise, dargent contant, que autrement degudamen (1) a ilz degutz; per loqual partaige et division tous losd debteys sont vengutz en la part et porcion deud Peyr Petiot, et luy sont demoratz et demoren per recompense per lod Peyr Petiot balhade aud Math[ieu], son frayr, daur et dargent contant; lousquaulx aur, argent et recompense led Math[ieu] Petiot a recognogut aveyr agutz et receubutz realiter et de facto deud Peyr son frayr; sauf et reservat lous debteys dessoubz escriptz, degutz ausd frairs, losquaulx sont vengutz en la part et porcion deud Mathieu Petiot. Et premierament sont vengutz en la part et porcion deud Mathieu] Petiot lous debteys que senseguen: 4. 5. 6. 7. Primo tout ce que deu Evrard de La Cle, alemand; Item tout ce que deu Paulo Dahon, de Millan; Item tout ce que deu Cheffelin, allemand; Item tout ce que deu Bertrand Carriere, de Limoux, tant par response (caution) fache par son frayr Jehan Carriere que par se que el denia (2); 8. 9. 10. 11. Item tout ce que deu Perre Renard, de Lyon; Item tout ce que deu Symon Maulyn, alemand; Item tout ce que deu Franceys Sortia, de Montpellier; hoste deu chaval blanc a Montpellier; 12. Item lo debte degut per Jehan Queyrol, de Limoux, et marchandise en garde que eys eyssy (3) escripche; ce que senset eys deud Mathieu : 13. Primo deu argent contant...... ..... XLY 1. (1) Dament. (2) Toute la dette, tant la partie pour laquelle son frère reconnaît avoir donné caution, que celle pour laquelle il dénie être caution, (3) Eyssy: ici. Item per ij bougandinas (2).... 14. - Item per cent xxxmj lieuras conchas (1)....... 15. .. 16. - Item per vj pessas estadmas de Flandres (3). 17.- Item per ij ballas tellas Dange (4).. ... .......... xxviij l. vl. XVIIj 1. XL 1. 18. - Item per ix papiers or fy (5)..... xxvij 1. 19. - Item per ij chargas merluz (6).. .. xxxnj 1. 20. - Item per ij quintaux iiij**vij lz (sic) cere (7).... 21. - Item per iij ballas guaranse.. Lxx l. t. .. xxij l. x s. 24. - Item tout ce que deu Franceys Deschamps, de Limoux; 25. - Item tout ce que deu Laurens Dur, alemand; 26 bis. Item tout ce que deu Fremyn, de Verseilh; Item tout ce que deu Jehan Jacques, de Verseilh; 27. - Item cent xxx quayssas peuche (8) que aven a Lyon en (1) Il s'agit ici de bassines en bronze ou cuivre, telles que celles dont se servent encore les bouchères pour laver certains morceaux, bassines qu'elles appellent, du reste, encore, du nom de conches. Dans un curieux Registre de ventes à la criée faites à Limoges au xvi siècle, que nous nous proposons de publier, nous trouvons entre autres articles: Une conche d'airain pasant cinq livres et demy vendue à la femme de Fougassier, xxvii sous, vi deniers. La vente était faite sur le pied de cinq sous la livre. Ici, les objets, qui doivent être analogues, sont estimés un peu plus de quatre sous la livre. (2) Nous n'avons pu trouver ce terme dans les glossaires spéciaux. S'agit-il de Bougran, étoffe de lin blanc ? ou de Brigandine, sorte de saye ou vêtement long, d'origine militaire, porté par des corps de troupe d'in, fanterie désignés sous le nom de brigands? (3) Estamet, léger tissu de laine, fabriqué en Lombardie, à Beauvais, etc. (4) D'Angers, d'Auge? Les dictionnaires n'ont pu nous fournir l'explication de ce terme. (5) Neuf cahiers de papier interfoliés d'or fin battu pour la dorure, comme on le trouve aujourd'hui dans le commerce? (6) Sans doute, des paquets de morue sèche. V. art. 23. (7) Cire. (8) Le mot peuche est précédé ici d'une sorte de s, qui doit être un signe abréviatif analogue auq, qui se lit con ou can dans les textes contemporains. Si l'abréviation a ici la même signification, nous serions tout porté à lire campeuche. Le bois de campêche était employé pour la teinture. Or on verra, art. 33, que les Petiot avaient à Paris quatre quintaux de brésil, aussi pour la teinture, et dans leur dépôt de la rue Bancléger, plus de cent quintaux de garance (art. 52). Leur commerce si étendu et si varié comprenait donc dans ce genre d'articles de gros approvisionnements, et il |