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MADAME DE MIRABEAU

Madame de Mirabeau appartenait au Limousin par ses ancêtres, par sa naissance, par ses biens; de la famille des Pierrebuffière, de celle des De Ferrière-Sauvebœuf et des De Vassan elle avait sa page indiquée dans les annales de cette province. Moins illustre queles Rochechouart-Mortemart, les aïeux de Madame de Mirabeau eurent cependant leur temps de célébrité, et sa famille joua un rôle que savent tous ceux qui connaissent un peu l'histoire de notre Limousin.

Il y a quelques années, M. Louis de Loménie, de l'Académie française, sous la signature par trop humble: Un homme de rien, fit paraître dans le Correspondant une série d'articles très remarqués sur les Mirabeau. Ils ont été réunis en volume et ont formé le commencement de l'histoire de cette famille, que vient de terminer M. Charles de Loménie (1).

Dans ces articles où l'homme de rien révèle un homme de grand esprit et ce n'est pas rien, - l'académicien nous parle des Mirabeau avec un charme de style qui rend intéressants ceux de ses personnages qui le furent le moins ; et quand arrive le tour du physiocrate, du marquis économiste, de l'ami de Turgot et du docteur Quesnay, il est obligé de nous dire un mot de sa femme Marie-Geneviève de Vassan, qui le rendit célèbre d'une certaine façon en partageant ses torts, mais en lui laissant la plus grosse part; car, disons-le tout d'abord, si Madame de Mirabeau ne fut pas le modèle des épouses, le marquis fut loin d'être le plus excellent des maris, comme le plus dévoué des pères.

Marie-Geneviève, seconde fille de Charles, marquis de Vassan, par sa femme comte de Saint-Mathieu, baron de Pierrebuffière

(1) Les Mirabeau. (Paris, Dentu, 8 vol. in-8", 1879-92).

T. XLV.

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première baronnie du Limousin, seigneur de Brie, Chéronnac et autres lieux, et d'Anne-Thérèse de Ferrière, marquise de Sauvebœuf, naquit le 3 décembre 1725 au château de Pierrebuffière (1).

Le marquis abandonna exclusivement à sa femme l'éducation de leurs enfants, et tout en restant dans de très bons rapports avec sa famille, il vivait séparé d'elle: lui à Paris, où l'existence était plus gaie, les plaisirs plus faciles; elle en province, dans ses châteaux du Limousin. Ce n'est que de loin et pour un temps relativement court (2) qu'il venait la rejoindre.

C'était une manière tout à fait Régence de comprendre la famille; mais telles étaient les idées reçues dans la noblesse d'alors qu'il n'y avait que les gens de petit esprit et de mince fortune qui restassent à la campagne. Tous ceux qui se croyaient un peu de talent, quelque noblesse, de la fortune, s'en allaient à Paris, à Versailles, préférant, les plus favorisés, l'étroite mansarde du palais du roi aux vastes châteaux bien aérés de leurs terres.

L'éducation de Mademoiselle de Vassan ne fut pas, comme littérature, conforme à sa haute naissance. Les lettres que nous avons lues d'elle et dont nous publierons quelques extraits ne ressemblent en rien à celles de certaines de ses contemporaines, dont quelques-unes furent ses rivales (3). Rien d'ingénieux dans son style, aucun de ces tours gracieux, délicats, qui font le charme du style féminin. Ce sont, il est vrai, des lettres d'affaires, mais là, néanmoins, peut-être autant qu'ailleurs, elle eut pu se montrer femme d'esprit. Elle ne savait pas écrire sa langue. Sa phrase embrouillée laisse difficilement deviner sa pensée; ses répétitions fréquentes fatiguent bien vite. Ne parlons pas de l'orthographe: Mademoiselle de Vassan eut ceci de commun, et peut-être n'eutelle que cela, avec beaucoup de femmes distinguées de son temps, elle ne la connut jamais. Après sa séparation d'avec son mari, elle faisait écrire ses lettres par ses secrétaires, se contentant de les signer et d'y ajouter un post-scriptum de deux lignes où se traduisaient, la plupart du temps, ses dispositions du moment.

Comme morale, Mademoiselle de Vassan fut élevée dans les idées du temps, dans l'admiration de la philosophie que préconisait alors Voltaire, et des maximes de Jean-Jacques Rousseau, si fort

(1) Nous n'avons pas trouvé son acte de baptême et nous donnons cette indication sur la foi de la tradition.

(2) En l'année 1724 il resta en Limousin seulement un mois et son séjour fut trouvé long.

(3) Madame du Pally, Madame de Rochefort et Madame d'Epinay. Cette dernière n'eut que quelques rapports avec le marquis de Mirabeau.

goûtées parmi la noblesse de cour. Sa religion n'était qu'un déisme; et comme la mode n'était pas encore à l'impiété, elle eut tout juste assez de croyances pour garder les convenances. Son fils qui, plus tard, redoutait pour sa vieillesse la trop grande dévotion, n'avait rien à craindre; dans l'éducation première, ce point fut tout à fait secondaire.

Elevée exclusivement à la campagne, Mademoiselle de Vassan garda toujours quelque chose des mœurs libres des champs et en particulier de l'accent limousin. Le marquis de Mirabeau son mari riait plus tard de la gaucherie et du langage de sa femme, que tout cela achevait de rendre ridicule. Le grand bailli (1) disait : Elle ne m'appelait que son fraire.

Le régime seigneurial, dit Boncerf (2), fut un état contentieux par excellence. Le plus petit privilège, le moindre intérêt causèrent des procès incessants, longs, parfois même ruineux, tout au moins opposés à la paix des familles, à la concorde entre les vassaux et leurs seigneurs.

Les De Vassan avaient, sous ce rapport, une triste célébrité : un mémoire que nous avons sous les yeux affirme que, dans une période de dix ans, ils intentèrent plus de cinquante affaires dont ils perdirent plus de quarante, malgré l'immense crédit dont ils jouissaient devant toutes les juridictions (3). Le marquis s'en faisait gloire, semble-t-il; au moment du mariage de sa fille, il raconta à son futur gendre ses démélés avec sa belle-mère et son beaufrère, ses transactions diverses avec d'autres personnes; peut-être pour montrer son habileté dans la procédure et enlever à M. de Mirabeau l'envie de l'attaquer un jour; en tout cas, ces tendances processives ne durent pas rassurer celui-ci outre mesure.

La famille de Vassan ne jouissait pas en Limousin, par ces raisons et bien d'autres encore, d'une grande considération. Ses serviteurs la redoutaient plus qu'ils ne l'aimaient. Les maximes qu'elle professait à l'égard de ses gens, tout en étant la pure doctrine de Voltaire à l'endroit des faibles et des petits, n'étaient pas faites pour lui gagner l'affection.

Nous avons parlé tout à l'heure du procès que M. de Vassan soutint contre son beau-frère, M. de Ferrière de Sauveboeuf. Il eut pour cause première des substitutions et pour cause seconde quel

(1) Frère cadet du marquis de Mirabeau.

(2) Cité par M. de Loménie, t. II, p. 35.

(3) Mémoire rédigé par Guérin contre la dame de Vassan au sujet des

redevances du moulin Grand, commune de Saint-Paul-d'Eyjeaux.

ques redevances, honneurs et prérogatives (1) dans les terres, forêts et tènements de Combrai (2), Aigueperses (3) et Brie (4). Mais ce procès eut une issue que n'ont pas ordinairement les affaires de ce genre; au lieu de diviser la famille il l'unit plus étroitement: il fut convenu en effet, d'un commun accord, que pour terminer le litige on réunirait les intérêts dans la même main en mariant le fils de M. de Ferrière de Sauvebœuf avec la fille aînée de M. de Vassan son beau-frère.

Ce projet d'union, qui ramenait la paix en faisant taire les compétitions, fut un instant contrarié: la fiancée mourut; mais comme c'était une affaire et non pas une union qu'on faisait, on le reprit avec la sœur cadette, et Marie-Geneviève, âgée seulement de douze ans, épousa en 1737 son cousin germain.

Les hommes proposent, dit le proverbe, et Dieu dispose. Or quelquefois ses dispositions sont contraires à celles des hommes. Dans le cas présent les deux familles avaient réglé cette seconde union; lui, avait décidé qu'elle ne durerait pas. La mort qui avait une autre fois déjoué leur projet, trompa encore leurs calculs en frappant M. de Ferrière, l'époux (5), et rendit ainsi la liberté à Marie-Geneviève.

Devenue veuve, Mademoiselle de Vassan resta encore sous la direction de sa mère, dans ses châteaux du Limousin. Son père séjourna comme par le passé à Paris, jusqu'au jour où il fut question pour elle d'une seconde union avec le marquis Victor Riquetti de Mirabeau.

D'une très ancienne famille de la Provence, le marquis était à la recherche d'une riche héritière pour redorer son blason, sa fortune ayant été sérieusement entamée dans des entreprises quelque peu chimériques, dans des acquisitions et des transformations ruineuses. Voulant toujours faire grand, il avait fait petit son héritage. Cette situation, beaucoup plus que le désir de fonder une famille, l'avait fait penser au mariage, et quand il dit qu'en se

(1) Papiers de l'auteur.

(2) Commune de Saint-Bonnet-la-Rivière, arrondissement de Limoges. (3) Ibid.

(4) Commune de Champagnac, arrondissement de Rochechouart. (5) Il mourut en 1738, le 8 mai, c'est-à-dire un an après son mariage, Quelques biographes considèrent ce mariage comme de simples fiançailles, à cause sans doute du jeune âge de la contractante; il fut cependant un véritable mariage, ratifié suivant toutes les règles de l'église catholique et non pas seulement une promesse d'union. C'est pourquoi ceux qui affirment que Mademoiselle de Vassan était veuve quand elle épousa le marquis de Mirabeau ont, d'après nous, raison.

mariant, il voulait finir en philosophe (1), il faut savoir que c'est de la philosophie pratique qu'il s'agit, de celle qu'inspire le besoin.

Avant de demander la main de Mademoiselle de Vassan, Mirabeau avait fait deux autres tentatives de ce genre; la première fois il avait recherché une demoiselle de Nesle, sœur de la célèbre Madame de Mailly. Les préliminaires étaient même si avancés qu'il avait annoncé son mariage comme une affaire décidée. Qu'est-ce qui l'empêcha? nous n'en savons rien. La seconde fois il avait recherché Mademoiselle de Glandèves; mais tout considéré, l'union avec Mademoiselle de Glandèves, sa parente, ne lui parut pas offrir assez d'avantages. Il l'abandonna, quoiqu'il fut très avancé, parce que le Diable lui mettait dans la tête des idées contraires à sa conclusion. Et cet homme indiscret trahit les secrets du Diable quand il avoue que c'est le peu d'aisance que procurait la fortune de la jeune fille, qui fut la vraie cause de la rupture.

Pendant le veuvage de sa fille, le marquis de Vassan essayait, dans les plaisirs de Paris, de se consoler de la perte de son gendre. Fort connu de la noblesse comme un homme très riche, il était courtisé à cause de sa fille unique, devenue héritière de la fortune des Sauvebœuf, dès lors un excellent parti. Il n'en fallut pas davantage pour attirer l'attention du marquis de Mirabeau et de ses amis, qui crurent cette fois avoir trouvé ce qu'ils cherchaient depuis longtemps, et c'est alors que, par hasard seulement, la pensée lui vint, en même temps qu'à M. de Saint-Georges son intime, de demander en mariage la fille de M. de Vassan.

Nous allons laisser à l'Ami des hommes le soin de nous raconter, tout en abrégeant son récit, comment il pensa à cette union, la prépara, la réalisa, les sentiments qui l'animèrent alors. C'est un marché, non pas un mariage qui se débat entre hommes habiles et dans lequel n'entre aucunement ce qui fait le bonheur d'une famille, la solidité d'une union, la richesse véritable d'une maison, nous voulons dire les convenances personnelles basées sur la conformité des caractères, le support possible des mutuels et inévitables défauts de la nature humaine. On ne s'occupa que d'une chose, à laquelle il faut, sans doute, penser, mais non exclusivement parce qu'elle est secondaire; on ne s'occupa que de fixer la dot. Le marquis dut comprendre plus tard, mais trop tard, que la fortune n'est pas tout dans un ménage, qu'il faut autre chose.

« J'étais, dit-il, à Paris en 1743 par l'indécision où l'on me laissait sur ma rentrée dans le service ou mon entière sortie. Je dé

(1) DE LOMÉNIE, 1. I, p. 412.

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