consuls était difficile et ingrate. Ils avaient sous leur responsabilité à veiller à la sûreté de la ville, à prévenir les troubles ou à les réprimer, à apaiser les alarmes et à prêcher la conciliation; représentants d'une cité foncièrement catholique, fidèles eux-mêmes à leur foi religieuse, mais soumis, comme toutes les collectivités délibérantes, aux influences des partis, ils devaient en outre se conformer aux désirs et aux volontés du pouvoir royai qui parlait en maître, sans entrer en lutte ouverte avec la cour de Béarn qu'ils avaient tant de motifs de ménager; celle-ci penchait visiblement pour la nouvelle religion et au mois d'avril 1559, Jeanne d'Albret adhérait formellement à la réforme, en prenant part à la Cène en la forme de Genève. Cette adhésion, il est vrai, n'était pas à ce moment une déclaration de guerre aux catholiques et l'attitude de la reine de Navarre ne devait prendre un caractère militant qu'après la mort de son mari. Le conflit demeurait donc encore à l'état latent. Au surplus, Antoine de Bourbon, après avoir subi pendant les premières années de son mariage l'ascendant du caractère et des idées de sa femme et donné même quelques gages à sa politique et au mouvement réformiste, s'était rapproché peu à peu de la cour qui l'avait fait lieutenant général du royaume. Prince doué de qualités extérieures assez brillantes, mais de mœurs légères et sans convictions, à tous égards antithèse vivante de Jeanne d'Albret, il finit par rompre complètement avec ses premières attaches et par embrasser le parti des Guise qui dirigeait alors la cour et le roi (1). Les nouvelles dispositions du roi, non moins que son naturel assez insouciant, expliquent assez bien la facilité des rapports qu'il entretint avec les bourgeois de Limoges; vis-à-vis d'eux, il témoigna toujours, semble-t-il, de condescendance et de bonne volonté. C'est ainsi qu'on le vit en 1559 et en 1560, à la requête des consuls, maintenir les privilèges du Château, notamment celui qui permettait aux habitants de ne pas loger les gens de guerre et de ne pas supporter la charge de leur entretien; cette immunité était de grande importance et d'autant plus opportune que les allées et venues de gens armés n'étaient pas rares en ce temps là et que les (1) Il est permis de supposer que cette sorte de conversion du prince fut secondée dans quelque mesure par ses relations avec une fille d'honncur de Catherine de Médicis, Mlle Louise de la Béraudière, demoiselle du Rouet. Antoine en eut même un fils, Charles de Bourbon, qui devint évêque de Comminges, archevêque de Rouen, et qui mourut, dit-on, de douleur en apprenant la mort de son frère llenri IV. citadins étaient souvent des premiers à solliciter leur intervention ou leur assistance. Fréquentes étaient les députations envoyées par les magistrats au roi de Navarre. En l'année 1560, ceux-ci apprenant que le roise rendait à la cour de France en passant par Angoulême et Poitiers, lui envoyèrent des délégués qui ne purent le rencontrer dans la première de ces villes qu'il avait déjà quittée, mais le rejoignirent à Chaulnay en Poitou et s'acquittèrent soigneusement de leur mission. Le compte rendu du voyage et de l'entrevue ne laisse rien subsister des allégations de quelques écrivains qui ont prétendu que le roi de Navarre avait fait route par Limoges et y avait reçu la visite de huit cents gentilshommes venus pour lui promettre, au nom des réformés du Midi, leur concours et l'assistance de dix mille hommes, s'il voulait se prêter à l'enlèvement du jeune roi des mains des princes Lorrains (1). Lorsqu'à la fin de l'année 1561, encore au rapport de notre chronique, « certains citoyens, manants et habitants de Limoges et lieux circumvoisins, sous prétexte de religion, s'emparèrent de l'église Sainte-Valérie, près et au dessous de celle des Jacobins, pour y faire des presches et assemblées, malgré l'opposition des consuls », ceux-ci en référèrent à la fois au présidial et au roi de Navarre; ce dernier reçut les deux envoyés, le consul Jean du Monteil et le chancelier de l'évêque et répondit à cette démarche par une lettre très catégorique dans laquelle il ordonnait la restitution de l'église aux mains des plaignants. L'année d'après, au mois d'avril, les prédications et les craintes de troubles recommencèrent; les magistrats, de nouveau alarmés, demandèrent des secours de troupes; on prit des mesures de protection encore plus sérieuses que les précédentes et les habitants du faubourg Manigne ayant demandé à relever leurs murailles, cette autorisation leur fut accordée. Antoine de Bourbon approuva pleinement la conduite des consuls et leur écrivit le 15 juin 1562, en termes très sympathiques, pour les encourager à persévérer dans leurs sentiments de fidélité au roi et à leur religion. Cette missive offrait ceci de particulier qu'elle portait à côté de la signature du prince l'indication de son nouveau (1) Registres consulaires, t. II, p. 204. Il convient de noter une autre ambassade envoyée par les consuls à la reine de Navarre elle-même en août 1561, mais qui n'avait d'autre but que de lui faire leurs révérences. Pour tout ce qui concernait leur conduite à tenir et la protection de leurs droits et intérêts, les magistrats s'adressaient directement à Antoine de Bourbon dont ils suivaient la politique. 1 titre de marquis de Limoges; Charles IX venait, en effet, par lettres du 15 mars 1562, de réunir diverses terres et seigneuries de la vicomté de Limoges et d'ériger celle-ci en marquisat au profit d'Antoine (1). Cette communication du prince avec ses sujets de Limoges ne fut pas la dernière; à la date du 20 juillet 1562, il maintenait à uouveau les privilèges du Château relatifs à l'exemption du logement des gens de guerre, et peu de temps encore avant sa mort, il faisait remettre aux consuls par le comte d'Escars, son confident, qui lui aussi s'était rallié au parti des Guise (2), une lettre les assurant encore de toutes ses sympathies et les approuvant dans leur refus de remettre leurs clefs au comte de Ventadour qui les avait réclamées par excès de zèle ou pour faire parade de son autorité. Cette dernière missive d'Antoine témoignait envers les bourgeois d'une bienveillance qui a permis au premier éditeur de nos registres consulaires, M. Emile Ruben, de dire dans une de ses notes que la forme en était vraiment heureuse. Ce fut, il y a lieu de le supposer, la dernière correspondance qu'il eut avec les Limogeauds. Le 14 octobre de cette même année 1562, le roi de Navarre fut atteint d'une arquebusade au siège de Rouen et le 17 novembre suivant, au milieu du triomphe qui suivit la prise de cette ville, il expirait des suites de cette blessure aggravée, dit-on, par ses imprudences (3). Son corps fut transporté à Vendôme et inhumé en l'église collégiale Saint-Georges de cette ville, où reposait déjà son fils aîné, le duc de Beaumont. II La mort d'Antoine de Bourbon, en rendant à sa veuve toute sa liberté d'agir, était de nature à modifier profondément la situation. Celle-ci, sans en avoir encore pris en mains la cause de la Réforme, (1) Bibliothèque nationale, fonds Doat 246, f 289 bis, avec avis sur cette création. (2) Le comte d'Escars passait même pour avoir été le principal instigateur de la conversion politique d'Antoine. (3) La plupart des historiens ont affirmé que le roi de Navarre mourut dans la foi catholique. Si l'on consulte cependant les Mémoires de Jeanne d'Albret, confirmés en ce point par quelques documents, on pourrait admettre qu'il confessa in articulo mortis la religion réformée. ne cachait pas sa faveur pour ses coreligionnaires et ses intentions de propagande. Toutefois, ces intentions ne se manifestèrent nettement à l'endroit des habitants de Limoges qu'un peu plus tard et les choses ne tournèrent à l'antagonisme qu'avec la marche des événements. Bien plus, en dépit de cette cause de désaccord, et sur la question du règlement des droits seigneuriaux qui était toujours pendante, les deux parties restaient animées de sentiments très conciliants; on souhaitait également de part et d'autre la fin du conflit, chacun sans doute au mieux de ses intérêts propres, mais sans y apporter de passion ou d'acrimonie. Le débat religieux, lorsqu'il eut éclaté, n'empêcha pas sur ce point les négociations de se poursuivre et d'aboutir à une entente, bien que la reine, ainsi qu'on le verra plus loin, eut déjà quelque motif de n'être pas satisfaite de ses vassaux de Limoges; mais ne jugeait-elle pas ellemême opportun de se prêter à des concessions, dans la pensée que ses ménagements envers les bourgeois lui seraient peut-être de quelque utilité pour la réalisation de ses autres desseins? L'ordre chronologique exigerait ici que nous abordions d'abord les faits qui précédèrent ou amenèrent le débat religieux; mais comme ce débat se continua en réalité jusqu'à la mort de la reine, il paraît plus simple de relater dès à présent les circonstances et les termes de l'arrangement qui mit un terme au litige dont nous venons de parler (1). Cet arrangement eut pour préface des démarches assez nombreuses et des députations successives envoyées par les magistrats de la ville à leur vicomtesse. Le 20 avril 1564, ceux-ci lui adressèrent deux d'entr'eux, les sieurs Grégoire et Second qui « lui firent leurs révérences au nom des consuls et en furent bien et honnêtement accueillis » (2). Quelque temps après, nouvelles ambassades à Moulins et à Paris pour solliciter un accord sur les points en discussion (3). En dernier lieu, Jeanne d'Albret ajourna les manda (1) Ce procès durait depuis fort longtemps, il était même antérieur à l'année 1527, année où les Registres consulaires en font mention pour la première fois. Plusieurs décisions judiciaires étaient intervenues depuis, et surtout l'arrêt du Parlement du 6 septembre 1544 qui était défavorable à la ville. Les Registres donnent à cet arrêt une date erronée, celle du 16 septembre; mais la véritable date est fournie par l'acte notarié dont il sera plus loin parlé. (2) Registres cons., t. II, p. 233. (3) Les délégués à Moulins et Paris furent Jean Hugon, docteur èsdroit et lieutenant criminel ļau présidial, Martial du Boys, consul, et sire Jacques Grégoire, bourgeois et marchand, auxquels se joignit Gabriel Raymond, capitaine de la ville. taires de la ville à Paris pour les fêtes de la Pentecôte, sans toutefois leur donner d'assurances très certaines. Mais vers cette époque la transaction aboutit. Entre temps, les délégués avaient recueilli les avis de « plusieurs doctes scavants et fameux advocatz »; à leur retour de la capitale où ils avaient passé deux mois, ils rendirent compte de leur négociation aux consuls et à une assemblée de notables qui nommèrent une commission de dix membres pour terminer l'affaire. Cette commission choisit elle-même de nouveaux délégués qui furent le lieutenant-criminel Jean Hugon, sieur de Faye, Pierre Boyol, Martial du Boys, Jean Verthamon, et qui, munis de pleins pouvoirs, retournèrent à Paris pour traiter définitivement. Le traité fut signé le 30 juillet 1566. Mais la reine, en donnant son consentement, ne se contenta pas de l'engagement formel pris par les mandataires de la ville; elle exigea en outre que la convention fut ratifiée par les habitants de Limoges avec des garanties et des formes assez solennelles qu'il est intéressant de rappeler (1). Cette ratification fut donnée, en effet, de deux manières : En premier lieu, les citoyens convoqués à un jour fixé (25 novembre 1566), dans la maison commune du Consulat, sur avis publiés en chaire et dans les carrefours au son du tambourin et de la grosse cloche de Saint-Martial, entendirent la lecture de l'acte transactionnel faite par le scribe Pierre Mouret, déclarèrent l'accepter et jurèrent par serment et la main levée de l'observer, ce dont il fut dressé acte par les notaires Mouret et Deschamps. Puis le lendemain 26 novembre 1566, à la requête des consuls Martial du Boys et Pierre Benoist, le notaire Deschamps se rendit aux domiciles de soixante-dix des principaux habitants et recueillit leurs adhésions personnelles dans un acte formel qui contient leurs noms,. parmi lesquels on remarque ceux de trois femmes (2). (1) Les délégués s'engagèrent personnellement à peine de mille escus en leurs propres et privés noms » à faire approuver les conditions de l'accord par leurs concitoyens et à fournir à la reine des lettres authentiques de ratification, pour la date du 24 juin de l'année suivante. L'accord avait été passé à Paris par devant Jehan Marchant et Guillaume Payen, notaires du roy au Chastellet de Paris. (2) L'existence du procès-verbal du notaire Deschamps nous a été révélée par une intéressante communication de M. Louis Bourdery, membre de la Société archéologique et historique du Limousin, à la réunion de cette Société du 31 mars 1896. (Voir le compte rendu de cette réunion au présent bulletin, 2o livraison 1896.) Cet acte, extrait des minutes du notaire Deschamps et conservé au dépôt du fonds de la Chambre des notaires de l'arrondissement de Limoges, contient de curieux détails reproduits en partie dans notre récit. |