VISITE A SAZEIRAC

Sazeirac est une riche propriété qui appartient à M. le marquis de Coustin, et qui est située dans la commune d'Arrènes, non loin de la gare de Marsac (Creuse).

C'est dans un des domaines de Sazeirac qu'on trouva en 1864, une curieuse inscription latino-celtique, qui figure aujourd'hui au musée de Guéret, et qui a excité l'attention et provoqué les discussions des savants. Cette inscription est ainsi conçue :

SACERPEROCO

IEVRVDIARO

NICOV.S.L.M.

Les quatres dernières lettres sont les initiales des mots votum solvit libens merito.

Cette inscription est curieuse surtout à cause du mot IEVRV, mot celtique, qui, d'après la majorité des savants (1), est un verbe actif, lequel peut se traduire en latin par le mot consecravit et en français par les mots a dédié a consacré.

Voici la traduction qu'on a donnée de cette inscription : « Sacer Peroco a consacré [ce temple, ce sacellum à Diaronic, accomplissant ainsi le vœu qu'il avait fait et pour lequel il a été exaucé. »

Sacer serait-il le nom (nomen) du personnage dont Paroco serait le surnom (cognomen)? Nous en doutons, car nous ne connaissons pas d'autre nom de ce genre; et les payens, par esprit superstitieux, évitaient de prendre des noms consacrés.

Sacer ne serait-il pas plutôt l'abrégé de sacerdos, prêtre, s'appliquant à Peroco, prètre gaulois? Le champ reste ouvert aux conjectures.

(1) Voir pour la signification du mot IEVRV, un article de MH. de La Villemarqué, dans la Revue des Sociétés savantes, 1862, p 465 et suiv.

Diaronic serait une divinité gauloise, un dieu topique, en l'honneur duquel le prêtre Peroco aurait érigé un sacellum.

Dans les mêmes domaines de Sazeirac, on a découvert des urnes cinéraires et d'autres antiquités romaines. M. le marquis de Coustin nous avait invités, M. Louis Guibert et moi, à aller les visiter

Le jeudi 3 septembre 1896, répondant à cette gracieuse invitation, nous nous sommes rendus à Sazeirac.

Nous ne ferons pas ici la description du château de Sazeirac, construction moderne, flanquée de tours gothiques. Nous ne parlerons pas du parc magnifique qui l'environne et de la petite rivière qui entoure le parc et lui sert de ceinture; nous nous bornerons à parler des antiquités qu'on a découvertes dans les domaines, et nous signalerons en particulier les trois urnes cinéraires dont nous donnons ici le dessin.

L'urne du milieu, en pâte fine rouge, vernie, a 0m, 16 de hauteur; elle est couverte, dans la partie inférieure, de petits ornements qui représentent, tantôt un personnage drapé à l'antique, tantôt, dans de petits cadres accolés l'un à l'autre, des figures de dauphin, symbole d'immortalité. A en juger par cette ornementation, celui dont cette urne renferme les cendres ne devait pas être un personnage vulgaire.

L'urne placée à droite est en pâte fine, noirâtre, vernie, elle a 0m, 22 de hauteur, elle est ornée, vers le milieu, de pointillés et de rainures circulaires.

L'urne de gauche, poterie commune, est de plus grande dimension, elle a 0, 27 de hauteur.

Ces trois urnes sont remplies de cendres; on n'y a trouvé aucune monnaie romaine qui pût servir à déterminer l'époque où vivaient les personnages qui s'y trouvent incinérés.

La photographie de ces urnes a été prise par M. Georges Rendu, le gendre de M. Henri Tandeau de Marsac.

On sait combien est friable la poterie qui a séjourné plusieurs siècles dans la terre; nous devons savoir gré à Miles de Coustin, qui ont découvert ces urnes et qui ont eu la peine de les extraires d'avoir pris les plus grandes précautions pour les conserver intactes.

M. de Coustin nous a montré un petit lot de vieilles ferrailles qui ont été trouvées dans les fouilles et au milieu desquelles nous avons remarqué :

1o Une large cuillère, espèce de petite poële assez semblable à celle dont se servent nos paysans pour faire cuire les galettes ou crêpes de maïs ;

2o Un grand anneau en fer, qui semble avoir fait partie d'un harnais;

3o Une hachette;

4o Un grand nombre de clous et d'objets indéterminés ; 5o Une monnaie romaine dont l'effigie est méconnaissable, et qui paraît remonter à l'ère des Antonins.

Ces objets ont été trouvés avec les urnes cinéraires dans le champ dit en patois las Bouyas (les Boiges, champ non cultivé), qui fait partie du domaine d'Aigueperse.

Un fragment de porphire, qui semble avoir été détaché d'un pavé, provient des ruines romaines au milieu desquelles on a découvert l'inscription latino-celtique dont nous avons parlé plus haut. Quelques savants ont pensé que ces ruines étaient celles d'un sacellum, ou petite chapelle, dédiée à une divinité locale, dont le nom serait Diaronic (1).

Dans la même commune d'Arrènes, on a découvert trois belles urnes en verre, dont M. le marquis de Coustin a fait l'acquisition pour le musée de Guéret.

Outre les antiquités gallo-romaines, Sazeirac renferme des antiquités préhistoriques. Nous avons visité un cluseau, ou souterrainrefuge, dont l'entrée est située dans la cour du château et dont M. de Coustin a fait consolider la voûte.

Mentionnons en terminant un magnifique livre généalogique de famille, orné d'armoiries coloriées, composé et calligraphié par Miles de Coustin.

Après avoir remercié nos hôtes de leur cordiale et brillante hospitalité, nous avons repris, à quatre heures du soir, le chemin de la gare de Marsac. Journée pleine de charmes; voyage plein de doux souvenirs.

L'abbé ARBELLOT.

(1) Voir sur cette inscription de Sazeirac, un article de M. Pierre de Cessac, Assises scientifiques de Guéret, 1866, p. 186.