une superstition, assez innocente d'ailleurs, les paysans malades du pays râclaient le corps du Sauveur, à la partie correspondante à celle dont ils souffraient eux-mêmes et buvaient, à petites doses, cette poudre calcaire en tisane. Ce remède naïf, pour être en dehors des ordonnances de la Faculté, leur réussissait-il?.... On serait tenté de le croire, puisqu'ils continuaient à l'employer, et que ni exhortations ni menaces ne parvenaient à les en détourner. En tous cas, l'état de cette pauvre statue annonçait, par la profondeur et la fraîcheur de ses râclures, les maladies régnantes du pays, et les statisticiens de la santé publique pouvaient la consulter avec profit. Cette considération et bien d'autres ne parvinrent pas à la sauver et, avec elle, les six personnages intacts du monument. Au lieu de les protéger par une grille et d'arrêter ainsi une pratique ridicule, mais point anti-religieuse, celui-là même qui en était le gardien naturel, prit le parti radical de convertir en moellons ce chef-d'œuvre et d'employer ces matériaux au pavage de son église ! acte de vandalisme cent fois pire que la superstition qu'il prétendait déraciner, et que nous ne rapportons, après le bruit qu'il fit en son temps, que pour prévenir le retour de semblables excès. ». Baron DE VERNEILH. LA PIERRE DITE DE SAINT-MARTIN A JABREILLES A l'entrée du bourg de Jabreilles (Haute-Vienne), distant de quelques centaines de mètres seulement de la limite du département de la Creuse, sur la gauche du chemin vicinal no 57 des Adoux à Jabreilles, au point où cette route est rejointe par une autre voie, celle-ci simple chemin rural, qui descend le long d'une pente assez rapide et passe auprès de l'emplacement d'une ancienne chapelle dédiée à Saint-Martin-de-Tours, aujourd'hui démolie, on voit un très modeste autel formé d'une belle dalle qui repose sur des supports plantés sans aucun souci de la symétrie. Si les matériaux n'étaient pas taillés, cette table rustique offrirait exactement l'image d'un petit dolmen. Adossé au mur d'une propriété privée, l'autel fait saillie à l'intersection des deux chemins, en contre-haut de celui qui monte de La Jonchère, en contre-bas de celui qui descend de l'aride plateau dominant le bourg. Ce pieux monument n'oblige point le passant à s'arrêter ni à dévier de sa route: sans le gêner, sans le heurter, humblement, pour ainsi dire, il sollicite l'attention et la pensée. Il évoque l'idée religieuse, vivante au fond de toute âme humaine, et invite le cœur et l'esprit à s'élever vers le maître de toutes choses. A cet autel, qui ne remonte pas à une époque bien reculée, au moins dans sa disposition actuelle, se rattachent pourtant certaines traditions. Des vieillards viennent parfois s'y agenouiller; des femmes y récitent le chapelet. Les processions s'y arrêtent et le curé y donne la bénédiction du Saint-Sacrement, qui autrefois se donnait sans doute dans la chapelle placée à quelques centaines de mètres plus haut, et où devait avoir lieu la station: ainsi l'autel du chemin conserve le souvenir et garde pieusement l'héritage de l'oratoire du grand patron des Francs. La table, posée un peu de travers sur les pierres qui la soutiennent, porte elle-même un bloc de granit affectant la forme d'un prisme à base rectangulaire, dégradé à sa partie supérieure et paraissant avoir été entaillé assez anciennement pour recevoir une croix à laquelle il aurait servi de socle. Les quatre faces de ce bloc, haut de 0 m. 66 au milieu, sur 0 m. 71 de large et 0 m. 31 d'épaisseur, offrent des sculptures d'uu assez fort relief, passablement conservées et dont le dessin et l'exécution, sans être délicats, sans avoir rien en soi de remarquable, ne dénotent ni une époque barbare ni un malhabile ciseau. Dans l'impression que donne l'aspect de ce petit monument, il entre une certaine satisfaction d'ordre esthétique. L'art avait, jusqu'à un certain point, marqué de son empreinte cette humble épave d'un ancien culte que l'ignorance naïve des paysans a attribuée à l'inspiration chrétienne. Le général Creuly, parcourant cette région sévère et accidentée il y a quelque trente ans, à l'époque où des reconnaissances topographiques et des fouilles d'une certaine importance furent entreprises sur plusieurs points de la contrée, sous la direction de la commission dite «de la topographie» ou «de la carte des Gaules», en vue surtout d'éclairer certains chapitres de la Vie de César que préparait alors l'Empereur Napoléon III, aperçut en passant cette pierre, mais sans pouvoir l'examiner à loisir. Elle avait pourtant excité sa curiosité, et il la signale, dans les notes qu'il a laissées, comme représentant « une amazone gauloise », remontant par conséquent à une époque peu éloignée de la conquête, et inspirée par les traditions et le génie de la race vaincue plutôt que du peuple conquérant. Les sculptures de la << pierre de Saint-Martin >> semblent néanmoins procéder de l'art classique, dont elles offrent les caractères généraux, et nous avouons que, si nous nous en étions tenu à nos seules appréciations, nous eussions été, vu le style du morceau, fort tenté de chercher dans la mythologie italo-grecque, l'explication des sujets représentés sur ce curieux bas-relief. Mais un ouvrier formé aux traditions de Rome a pu traduire une inspiration étrangère, et les divinités des peuples les plus divers offrent souvent des traits de ressemblance qui attestent leur commune origine. Quoiqu'il en soit, en suivant notre première impulsion, nous ne nous serions pas moins grossièrement mépris que les braves gens dont l'imagination naïve et complaisante avait reconnu, dans une femme tenant son cheval par la bride, le charitable Saint-Martin, descendant de sa monture pour partager ses vêtements avec un pauvre, d'ailleurs absent. Le sexe du personnage debout devant l'animal, et qui constitue un des sujets principaux de la pierre de Jabreilles, n'est pas douteux. Le modelé du buste l'atteste ce ne peut être ni un héros, ni un saint, ni un Dieu: il faut reconnaître là une héroïne ou une déesse. Cette femme, que le sculpteur a représentée à peu près de face, la figure légèrement tournée vers la gauche du spectateur, se tient debout sous une niche dont le cadre est formé de deux pilastres doubles, sans ornements caractéristiques, chapiteaux ni décor apparent quelconque, et d'un fronton triangulaire assez bas, dont une moulure d'un fort relief accuse les deux angles latéraux. Le milieu du tympan est occupé par un objet à peu près rond, ayant à droite et à gauche des accessoires qui peuvent être des rameaux, des ailes ou quelque chose d'approchant. Impossible de dire si l'objet principal, placé juste au dessus de la tête de la femme, est une figure, un vase, un fruit, une pomme de pin ou quelque attribut symbolique, caractérisant telle ou telle divinité. Le temps a usé les lignes qui le dessinaient et l'œil ne peut rien distinguer: il constate seulement, grâce à un relief aux bords très flous, qu'il y avait quelque chose là. La femme, dont les formes, comme nous l'avons dit plus haut, sont très accusées, porte une coiffure un peu haute, autant qu'on peut en juger. La tête est découverte; mais peut-être un ornement, nœud, rosette, bijou, se trouvait-il plaqué sur la chevelure. Il semble, au premier abord, que le buste et les bras soient nus; autour de la taille un renflement très sensible pourrait être attribué à la partie haute de la robe, drapée ou enroulée autour des reins. Il est possible toutefois que le personnage soit entièrement vêtu d'une longue stola un peu collante au buste, et dont la partie inférieure, très ample, forme sur le devant, à partir de la ceinture, trois larges plis tombant jusqu'à terre. Le bas de la pierre se trouve un peu usé, et il est impossible de voir si les pieds étaient nus ou chaussés. Le bras droit de la femme est replié et supporte un instrument allongé, massue, thyrse, flambeau, peut-être (mais l'hypothèse est moins probable. l'objet ayant, sauf à son extrémité, une forme à peu près rectiligne) une corne d'abondance dont la main placée au-devant de la hanche tient l'extrémité. La main gauche serre la la bride d'un cheval en marche, allant de gauche à droite, placé derrière le personnage; aucune autre pièce du harnachement n'apparaît. L'animal a la tête et l'encolure assez fines, les jambes déliées, l'arrière-train élevé. Il est de taille moyenne. Peut-être porte-t-il sur le haut de la tête, entre les oreilles, un plumet ou un ornement quelconque. On n'aperçoit, dans le champ de la scène, aucun attribut, aucun objet accessoire. |