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La seconde des faces principales du petit monument que nous décrivons, présente le même encadrement, avec cette différence toutefois que les montants sur lesquels repose le fronton offrent moins de largeur et ne sont pas l'un et l'autre, comme sur la face opposée, divisés par une rainure verticale. Peut-être un ornement, une couronne par exemple, décorait-il, de chaque côté, les angles du fronton. Au centre du tympan, l'œil distingue assez nettement un oiseau, droit sur ses pattes, vu de profil et allant de la gauche à la droite du spectateur: comme sur le fronton de la première face, l'objet principal est accosté d'accessoires symétriques qu'on ne peut exactement reconnaître.

Sous l'édicule sont représentées trois figures debout, dont la tête touche l'architrave, et derrière lesquelles passe, à la hauteur du bassin, une bande ou barre dont nous ne nous expliquons pas l'usage, mais qui offre une complète analogie avec les bandes d'émail bleu ou vert turquoise que les orfèvres du moyen âge ont souvent placées derrière les personnages figurant sur les plaques de nos châsses de fabrication limousine. Ces trois personnages ont des vêtements longs et paraissent être des femmes.

Sur l'une et l'autre des deux faces latérales du bas relief se montre un personnage nu, peut-être un enfant, sans aucun attribut particulier. Le sculpteur a placé sous des arcades cintrées ces deux figures, dont le dessin laisse à désirer. L'une est debout, la main gauche élevée à la hauteur de la tête, et semble montrer, ou tout au moins porter un objet dont la forme ne se détache pas sur le pilastre ou la colonne supportant le cintre. Derrière ce personnage, à la hauteur des genoux, apparaît une bande analogue à celle qu'on voit derrière les trois femmes d'une des faces principales. Au dessus de l'arcade qui encadre le sujet, s'accuse d'une façon très nette le relief de l'entablement.

Le personnage sculpté de l'autre côté est vu presque de trois quarts et tourné vers la gauche. Il a la jambe repliée sous lui et son genou repose sur une pierre. La tète, légèrement inclinée, s'appuie sur la main; un support, qui se confond avec le pilastre de gauche, soutient le coude. Le bras gauche est rejeté en arrière et la main porte sur une saillie du montant opposé. Du reste, de ce côté pas plus que l'autre, aucun accessoire, aucun symbole caractéristique.

Telle est la pierre dite de Saint-Martin, que, lors des fouilles exécutées sur le Puy-de-Jouer aux frais de la Société archéologique et historique du Limousin, M. Buisson de Mavergnier, chargé de la direction de ces travaux, avait déjà examinée et signalée à cette société. Il en décrivait ainsi les sculptures :

<< Elle représente un homme nu, qui tient, de la main droite, un cheval sans harnais; dans sa main gauche il porte une sorte de thyrse ou de massue. Sur les deux côtés de la pierre, on voit un homme dans un état complet de nudité (1). »

M. Buisson de Mavergnier ne dit mot du quatrième sujet, celui qui fait face au mur de clôture auquel est adossé l'autel et que par conséquent le passant ne voit pas. Il n'avait point essayé de retourner la pierre, qui pourtant n'est pas assez lourde pour résister à l'effort de deux hommes de moyenne force. Plus heureux que lui, nous avons pu faire une étude complète du petit monument, grâce à l'aide obligeante de trois de nos confrères de la Société Archéologique de Limoges, MM. le commandant de Chaptes, Paul Ducourtieux et Edouard Hersant, qui avaient bien voulu nous accompagner dans notre excursion à la recherche de l'amazone signalée par le général Creuly. M. Ducourtieux a pris, des quatre faces du bas relief, des vues photographiques qui ont permis à M. Louis Bourdery de dessiner la jolie planche jointe à notre notice. Les dessins de M. Bourdery donnent une idée très précise du monument de Jabreilles et les sujets s'y détachent avec plus de netteté que les sculptures sur la pierre elle-même, dont certains reliefs ont été bien usés par le temps.

C'est à coup sûr pour une destination pieuse qu'a été sculptée la pierre de Jabreilles, et ce sont des divinités qui figurent au moins sur ses deux principales faces. Nous avions d'abord pensé qu'elle avait pu constituer la partie supérieure d'une stèle funéraire : beaucoup de monuments de cette nature ont, en effet, pour couronnement un édicule, une niche analogue à celle qui abrite les personnages que nous venons de décrire, et tous nos musées, même la pauvre collection lapidaire de Limoges. possèdent des spécimens de ce genre de tombeaux.

Toutefois, l'image qu'on trouve en général sculptée sur ces stèles est celle du défunt, et il est rare que les quatre faces d'un cippe funéraire soient ornées de sujets.

Nous ajoute: ions que les tombeaux portent presque toujours des inscriptions; mais l'inscription pouvait se trouver sur la pierre

(1) Excursion au Mont-de-Jouer. ap. Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. XIII, p. 114.

servant de support ou de socle à notre bloc de granit, car nous n'avons ici que la partie supérieure de l'édicule.

Il faut donc voir dans l'intéressant morceau qui fait l'objet de notre étude un véritable monument du culte. Peut-être avait-il été placé sur un socle servant de limite à une grande propriété ou là un territoire; peut-être se trouvait-il dans la cour ou dans les bâtiments d'une villa ou constituait-il la pièce principale d'un petit oratoire en plein air? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'autrefois comme aujourd'hui, il devait reposer sur un support, sur un soubassement que nous avons vainement recherché aux environs et dont personne n'a gardé le souvenir.

Quelles divinités le sculpteur a-t-il représentées sur cette pierre? Suivant les autorités les plus compétentes, M. Alexandre Bertrand et M. Salomon Reinach, directeurs du Musée national de Saint-Germain, il ne saurait s'élever aucun doute sur l'identification de la femme qui tient sa monture par la bride, et c'est avec raison que le général Creuly, alors Vice-Président de la Société des Antiquaires de France, signalant à ses collègues la pierre de Jabreilles (1), avait, dans le prétendu saint Martin, reconnu la déesse Epona, dont le culte, presque général en Gaule (on relève son nom sur un certain nombre d'inscriptions dans diverses provinces), s'était répandu dans les pays voisins, et avait pris notamment une certaine importance en Italie.

Toutefois Epona n'est peut-être pas, à proprement parler, d'origine Gauloise. Elle appartient à cette famille de divinités cosmopolites qu'on rencontre un peu partout et dont on ne peut reconnaître la patrie. Née, suivant Plutarque, d'un honteux accouplement, elle avait des autels en Thessalie comme en Ecosse, dans les pays Rhénans comme en Aquitaine. On la tenait pour la patronne spéciale des chevaux, des ânes, des mulets, et elle leur devait bien cette protection puisqu'elle était un peu de la famille. On la trouve souvent représentée avec un ou plusieurs de ces animaux; fréquemment elle est à cheval; parfois elle monte une pacifique jument et un poulain la suit. M. Huillard Bréholles a décrit plusieurs monuments de la Franche-Comté et de la Bourgogne où cette divinité est ainsi représentée; elle est « amplement drapée » et a « les seins et le ventre proéminents», ce qui se rapporte aux indications données par la pierre de Jabreilles. Dans un de ces bas reliefs, elle tient une corne d'abondance. (2)

(1) Séance du 6 juin 1864.

(2) Bulletin de la Société des Antiquaires de France, année 1865, p. 148, 149.

Les Romains plaçaient l'image d'Epona dans leurs écuries pour qu'elle veillât avec plus de sollicitude sur les animaux confiés à ses soins. Dans les Métamorphoses d'Apulée, son malheureux héros, transformé en âne par les merveilleux onguents de la magicienne Pamphyla, aperçoit, au mur de l'étable où il s'est réfugié, une image de la déesse Epona, placée dans une niche qu'on a décorée de guirlandes de roses. (1)

Epona, dont on vantait la beauté, était la patronne spéciale des éleveurs et des sportmen. Dans sa huitième satire, Juvénal nous montre son Damasippe, type accompli, du reste, du politicien sans scrupules, populacier et crapuleux, conduisant son char, le fouet au poing, donnant de ses mains l'orge à ses chevaux et ne jurant que par Epona et les autres divinités familières des écuries, même lorsqu'il offre des sacrifices à Jupiter :

...Dum lanatas torvumque juvencum
More Numæ cædit Jovis ante altaria, jurat

Solam Eponam et facies olida ad præsepia pictas.

Bien d'autres écrivains des premiers siècles nomment Epona : Tertullien, dans son Apologétique, reproche aux païens le culte qu'ils portent à cette singulière divinité et aux animaux dont elle est accompagnée. Prudence la cite également dans ses vers. Quelques auteurs, soucieux outre mesure de l'orthographe étymologique, ont voulu changer le nom de la déesse et substituer à la forme Epona la forme Hippona qui exprimerait mieux et l'origine et les attributions de la protectrice des écuries de nos ancêtres; mais cette prétention n'a pas été admise par les savants.

Le culte des déesses-mères ou pour mieux parler, des déessesmaires deabus mairabus était fort répandu dans les Gaules. Les monuments qui conservent leurs images ne sont pas rares. On trouve le plus souvent ces déesses en triade, et il est fort probable que la seconde face de la pierre de Saint-Martin représente ces graves divinités. C'est du moins l'avis de M. Reinach. Dans ce cas, la bande passant derrière elles indiquerait peut-être leur indissoluble union, à moins qu'elle ne fût la partie supérieure du siège d'osier sur lequel on les représentait quelquefois assises. Les déesses-maires ne sont autres, en somme, que les Parques de la

(1) In ipso fere meditullio Eponæ deæ simulacrum residens ædiculæ, quod accurate corollis roseis et quidem recentibus fuerat ornatum (Métam. livre III).

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