Les Barbou de Paris ont eu plusieurs marques(1). En premier lieu, ils adoptèrent celle de Simon Bénard, à la veuve duquel ils avaient acheté en 1711 une bonne partie, peut-être la totalité de son fonds. C'est la même marque qui figurait sur les derniers ouvrages édités par la veuve de Bénard (2), et qui est indiquée dans l'Inventaire des marques d'imprimeurs et de libraires de la Collection du Cercle de la Librairie par M. Paul Delalain (3). Ce dernier désigne la marque ainsi : « Initiales fleuronnées et doublées dans un cercle. » Les initiales sont D B. Le D se rapporte peut-être au prénom d'un Bénard ou au nom d'un libraire associé avec lui: David, Dupuy ou Desprès. Nous avons relevé cette marque sur des ouvrages de JeanJoseph Barbou de 1713 et 1714. A partir de 1715, cette marque fait place à celle des Cramoisy : Aux Cigognes. « Dans un cercle formé par un serpent qui se mord la queue, volent au-dessus d'un paysage, deux cigognes dont l'une soutient et nourrit l'autre » (4). Cette marque avait appartenu d'abord à Sébastien Nivelle, aux Cramoisy et à d'autres imprimeurs. Jean Barbou la prit à la suite de l'achat du fonds de la veuve Mabre-Cramoisy et M. Auguste Delalain l'adopta lorsqu'il acquit la maison Barbou en 1808. Lorsque Jean-Gérard acheta les premiers volumes de la Collection des auteurs latins à Urbain II Coustelier et autres, il continua à placer sur les titres l'une des marques des Elzévirs, celle représentant « un orme entortillé d'un cep de vigne chargé de raisin qu'un vieillard vient cueillir, avec la devise: Non Solus (5). (1) Paul DELALAIN, Inventaire des marques d'imprimeurs et de libraires de la collection du Cercle de la librairie, 2e éd. revue et augmentée, p. 4, Paris, au Cercle de la librairie, Avril 1892, 1 vol. in-4). (2) Voy. Emile RUBEN, Catalogue de la Bibliothèque communale de Limoges, Belles Lettres, p. 121, sous le no 415, un recueil factice de plusieurs opuscules écrits par les PP. Jésuites Vanière, Tarillon, Champion, Sanadon, etc., entre les années 1704 et 1707, (3) Paul DELALAIN, op. cit., p. 6: « Veuve de Simon Bénard, rue SaintJacques, en face le Collège Louis-le-Grand. Initiales fleuronnées et doublées dans un cercle. >>> (4) Sur cette marque, voyez la savante description qu'en a fait M. Paul Delalain. (Bibliographie de la France. Chronique, no 8, 25 février 1893.) (3) Paul DELALAIN, op. cit., p. 4 et 294. « La marque adoptée en 1620 par Isaac Elzévir et connue sous le nom du Solitaire, représente, dit M. Alphonse Willems, dans son ouvrage sur les Elzévirs, un orme embrassé par un cep chargé de raisins, avec le Solitaire et la devise: Non Solus. La vigne mariée à l'ormeau est un symbole emprunté à l'antiquité; il sert à exprimer la concorde et l'union. Le promeneur solitaire est un autre symbole: il signifie que le sage s'accommode de la solitude, parce qu'elle lui fournit l'occasion de se recueillir en lui-même et de s'entretenir avec ses propres pensées. >>> En 1757, Joseph-Gérard adopta une seconde marque qui lui était propre: << un atelier d'imprimerie avec des attributs scientifiques et des petits génies pour ouvriers»; devise: Meta laboris honos. C'était la devise des Barbou de Limoges avec la variante honos au lieu de honor (1). En 1763, nouvelle marque: « un olivier près duquel sont représentées deux cigognes, dont l'une apporte de la nourriture à l'autre (rappel de la marque des Cramoisy) avec devise: Et fructu et foliis: par le fruit et par les feuilles (2)... C'était, avec la précédente, la marque préférée de Joseph-Gérard. Enfin, de 1807 à 1808, on voit sur quelques ouvrages les initiales J. B., en anglaise, entrelacées. Les Barbou ont eu d'autres marques que nous avons négligé de relever, parce qu'elles n'ont figuré que sur des volumes isolés. Possédant déjà trois marques, lorsqu'il imprima le premier volume de la Collection des auteurs latins, en 1755, pourquoi JosephGérard y ajouta-t-il celles aux devises: Meta laboris honos et Et fructu et foliis? S'il avait réservé l'une à telle ou telle catégorie d'ouvrages, nous l'aurions compris; mais dans sa Collection il employait indifféremment l'une ou l'autre de ces marques. Dans les titres du Cicéron de 1768, en quatorze volumes, une partie porte la marque: Non solus et l'autre celle: Et fructu et foliis. Jean-Joseph BARBOU (3) (1704-1717) Jean-Joseph Barbou, fils cadet de Pierre, imprimeur du roi à Limoges, était né dans cette ville le 30 mars 1683. Après de bonnes études au collège des Jésuites, il avait fait son apprentissage chez son père. Son intelligence, ses aptitudes particulières pour le commerce donnaient le meilleur espoir à sa famille; Pierre Barbou réva pour lui une librairie à Paris. Il pensait avec raison que la maison de Limoges tirerait de grands avantages d'un établissement dans la capitale, soit pour la vente de ses ouvrages, soit pour celle (1 et 2) Paul DELALAIN, Inventaire des marques, p. 4. (3) Dans les chapitres qui précèdent, nous avons désigné le premier des Barbou de Paris par ses noms de baptême, Jean-Benoit. D'après les documents que nous avons consultés depuis, il est désigné par Jean-Joseph, prénoms que nous lui donncrops à l'avenir. )) des papiers fabriqués en Limousin. L'entreprise pouvait paraître téméraire; car Paris possédait d'anciennes maisons, très connues, très achalandées, dont les chefs jouissaient d'une grande réputation de savoir et d'intelligence. Mais si son fils réussissait, quelles facilités ne devait-il pas procurer à ses frères pour leur établissement. On verra par la suite qu'il ne faillit pas à cette tâche. Mais comment entrer dans cette communauté des libraires et imprimeurs de Paris, dont le nombre des membres, d'après l'édit d'août 1686, avait été réduit à trente-six, bien qu'elle comptât plus de soixante titulaires à cette époque. L'édit tolérait l'existence viagère des imprimeurs existants; mais il tendait à ramener au plus tôt leur nombre au chiffre fixé par lui. En 1697, il y avait encore cinquante-sept imprimeurs à Paris (1). Une circonstance vint servir les projets de Pierre Barbou. Il apprit en 1703 que la communauté des libraires et imprimeurs avait été autorisée à emprunter la somme de 9,500 1. et les deux sols pour livre (soit 10,450 1.) pour être déchargée « de l'exécution des édits des mois de mars 1691, pour les offices de syndic et juré; d'août 1701 pour l'hérédité des offices d'auditeurs; - et de >> juillet 1702, pour un office de trésorier de leur bourse », et être ainsi affranchie des taxes sur les arts et métiers, ses membres devant être considérés « comme suppôts et membres de l'Univer )) sité de Paris ». Malgré ses démarches, la communauté n'avait pu parvenir à trouver cette somme. Pierre Barbou s'offrit à lui prêter les 10,450 1. au denier vingt, par contrat de constitution, sans répéter les intérêts de la première année, à la condition que son fils Jean-Joseph serait reçu libraire de Paris. La chambre syndicale assemblée accepta cette proposition le 13 novembre 1703 et promit « de solliciter un arrêt du conseil royal des finances autorisant ladite réception » (2). La communauté présenta une requête au roi dans ce sens et, le 8 décembre 1705, un arrêt du Conseil d'état autorisa M. d'Argenson, conseiller, à recevoir Jean-Joseph Barbou comme libraire, bien qu'il n'ait fait aucun apprentissage, afin qu'il jouisse des mêmes droits, franchises, immunités, privilèges et prérogatives dont jouissaient les autres libraires de la communauté, à la condition de payer la somme promise » (3). (1) Ambroise FIRMIN-DIDOT, Histoire de la typographie, p. 830. (Paris, 1882, in-8). (2) Bibliothèque nationale, Ms. fonds français 21856, 1° 195 10. (3) Ibid., f 196 гo. La réception de Jean-Joseph Barbou eut lieu le 8 janvier 1704. Le registre ne mentionne pas, suivant l'usage, l'apprentissage du candidat et son examen devant les membres de la Chambre, puisque Jean-Joseph était l'objet d'une faveur; mais il s'étend en revanche sur les conditions du prêt qui motivait cette faveur. Un peu plus loin, le registre de la communauté des libraires et imprimeurs de Paris fait encore mention de Jean-Joseph Barbou. Au 22 juillet 1707, celui-ci, qui avait versé 5,000 1. au moment de sa réception et un peu plus tard 4,250 1., était encore débiteur de 1,200 1. envers la communauté. La Chambre prit une décision par laquelle elle empruntait cette dernière somme à Me Cusson et à Mme veuve Journel, sous le couvert de Barbou, afin de se libérer vis-à-vis du trésor. Le payement ne semble avoir été complètement effectué qu'en 1714, d'après un reçu collé à la fin du registre (1). D'après la deuxième généalogie (2), il reçut de son père, en avancement d'hoirie, soit en marchandises, soit en argent, une valeur de 36,000 livres. Sa mère lui donna en sus « en sous-main 10,000 livres pour son établissement. II partait donc avec les encouragements paternels et un premier fonds. Ce fonds se composait naturellement des ouvrages classiques suivis au Collège des Jésuites de Limoges, qui devaient trouver aussi leur écoulement au Collège Louis le-Grand. On ne sera donc pas surpris de voir Jean-Joseph Barbou ouvrir sa librairie en face de ce grand établissement et rechercher la clientèle des Jésuites. Il y réussit pleinement car, dès 1711, comme le prouve le permis d'imprimer du Principia linguæ græcæ de 1717, il est seul à prendre le titre de libraire du Collège Louis-le-Grand (3). Il arrivait dans un bon moment: le collège Louis-le-Grand était dans sa plus grande prospérité; d'autre part, s'il avait des concurrents sérieux dans Ballard, Bénard, Coustelier, Cusson, David, Guérin, Lambin, Langlois, Sevestre, Thiboust, etc., deux des an (1) Bibliothèque nationale, Ms. Fonds français 21856, fo 221 vo. On trouve, collé à la fin du registre, un reçu du 11 mars 1714, d'après lequel Barbou reconnait que les syndic et adjoints lui ont remis 1,200 1. provenant de Mme Journel, dont ceux-ci lui ont fait contrat de constitution, et il s'engage à leur rapporter quittance de ladite somme de MM. les traitants. (2) V. tre partie, p. 144. (3) Par grâce et privilège du Roy, il est permis à Jean Barbou, marchand libraire à Paris et du collège des Pères Jésuites, suivant le privilège qui leur a été accordé en conséquence des désordres que les différentes impressions apportaient dans les classes dudit collège, d'imprimer, vendre et débiter SEUL les Feuilles et Auteurs tant grecs que latins accomodez à leur usage ... (& juillet 1711). » |