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rapport non feulement fans aucune aigreur, mais même dans des termes pleins de refpe&t & d'égard pour l'Accufé; propofant en même tems que chaque plainte fût portée en particulier devant les Seigneurs, fans la moindre exagération. Le 19. il y eut une Conférence entre quelques Membres des deux Chambres, dans laquelle les Seigneurs réfolurent d'examiner cette affaire au plutôt. Dès que cela fut répandu dans le public, il s'éleva un foule d'accufateurs contre l'infortuné Chancelier; principalement de gens qui lui ayant fait des préfens, n'avoient pas laiffé que de perdre leurs procès; ce qui les animoit contre lui, plutôt que l'injuftice des fentences qu'il avoit prononcées: car il ne paroît pas qu'aucun de fes Décrets ait jamais été caffé.

Pendant que cette affaire s'examinoit dans le Parlement, le Chancelier étoit retenu dans fa maison par une indifpofition réelle ou prétendue. Dans quelle perplexité ne doit-il pas s'être trouvé? Il avoit un cœur grand & élevé; sa propre conscience le condamnoit. Cependant il avoit une extrême fenfibilité pour fa reputation; il en avoit jouï long-tems, & il fe voyoit fur le point de la perdre: il ne pouvoit faire que des refléxions accablantes, foit qu'il confiderât le páffé, foit qu'il jettât la vûë fur l'avenir. De L 4 quel

quelle honte, de quelle confufion ne devoit-il pas fe fentir couvert, lorsqu'il fe voyoit maintenant, à l'âge de foixante-&un an, devenu la victime des extorfions & des violences de fes Domestiques, auxquelles il avoit connivé, plutôt que d'aucune faute qu'il eût proprement commis lui-même !

Le 26. de Mars le Roi fe rendit à la Chambre des Seigneurs, & affectant de fe rendre populaire par des expreffions étudiées, il reconnut les abus de fon Gouvernement. Il déclama contre les Monopoles dont on fe plaignoit; il abandonna franchement à la rigueur de la Justice les coupables fubalternes, le tout pour l'amour de fon Favori, lequel à la fin de fa Harangue il tâcha de juftifier par les raifons les plus pitoyables du monde: auffi étoit-il impoffible d'en alleguer de bonnes en faveur de celui qui étoit la cause de tout le mal, & fans lequel les autres n'auroient pas pû fe rendre criminels. Les Seigneurs ne furent pas les dupes de cette Harangue; cependant, comme ils crurent que c'étoit affez que d'avoir reduit leur Souverain à la néceffité de faire fon Apologie, ils parurent fatisfaits: ainfi Buckingham échapa cette fois ; & tout le poids de l'indignation des Seigneurs tomba fur le Chancelier feul. Ils ne furent pas contens de la Confeffion générale qu'il leur fit tenir, quoiqu'elle

leur

leur fût préfentée par le Prince de Galles lui-même. Dans cette Confeffion le Chancelier renonçoit à toute juftification de lui-même, & ne demandoit d'autre grace, fi ce n'est que fon bumble foumiffion fût fa fentence, & la perte des Sceaux fa punition. Il fut obligé de répondre en détail fur chaque chef d'accufation; ce qu'il fit le 21. de Mai 1621, avouant dans les termes les plus exprès toutes les malverfations dont on le chargeoit en 28. articles différens, & fe remettant entierement à la clémence de fes Juges. Ils le condamnerent à payer une amende de quarante-mille livres Sterling, & à être emprisonné dans la Tour de Londres durant le bon plaifir du Roi; outre cela ils le declarerent incapable de poffeder aucune Charge dans l'Etat, & d'avoir jamais féance dans le Parlement; & lui défendirent de s'approcher de la Cour. C'eft ainfi qu'il perdit tous les Privileges de fa qualité de Pair; févérité qui n'étoit pas ordinaire, fi ce n'eft dans les cas de Trahifon.

Le dernier chef d'accufation qu'on porta contre lui eft remarquable: il y eft dit, qu'il avoit donné lieu à fes Domeftiques de commettre de grandes exactions. On a cru affez généralement, que cette indulgence qu'il avoit pour fes Domeftiques, & qui étoit certainement exceffive, fut la principale caufe des malverfations

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fations qui lui attirerent fa difgrace. Naturellement libéral, ou pour mieux dire, prodigue au-delà de ce que peut fe permettre un homme qui veut conferver fon intégrité, il fouffroit que fes Domestiques & fes Officiers fiffent des dépenses exceffives: & comme il y en avoit plufieurs parmi eux qui étoient jeunes, & qui aimoient le plaifir, ils s'y livroient fans referve, parce que le maître ne paroiffoit pas y faire attention. Soit qu'il ne s'apperçût de ce défordre que lorfqu'il n'étoit plus tems d'y remedier, foit qu'un genie fupérieur comme le fien, tout occupé de grands deffeins, ne pût pas s'abaiffer pour entrer dans les petits détails qu'exige une bonne économie; il eft certain que pour foutenir les dépenfes de fa maifon, il fe laiffa corrompre lui-même, & conniva aux malverfations de ceux qui étoient fous lui.

Après qu'il eut été peu de tems à la Tour, le Roi lui rendit fa liberté, & lui remit l'amende à laquelle le Parlement l'avoit condamné.

Quelques années après il préfenta Requête à Jaques I. le fuppliant d'annuller entierement fa fentence, afin que cette ignominie dont il étoit couvert, fût effacée, & que fa reputation pût être transmife fans tache à la pofterité. Le Roi lui accorda fa requête, & revoqua entierement fa fentence; en confequence de ce pardon

plein & entier, il fut appellé à prendre féance dans le premier Parlement que Charles I. convoqua. Et la posterité, à laquelle il en avoit appellé, en lui rendant juftice fur fes grands talens, femble avoir oublié les fautes qu'il a commifes.

Il paffa le refte de fa vie dans la retraite, s'attachant uniquement à l'étude. Le premier fruit de fon travail, depuis fa difgrace, fut l'Hiftoire de Henri VIÎ, qu'il publia en 1622. Il l'écrivit à la follicitation de Jaques I. Cet Ouvrage a été extrêmement applaudi des uns, & n'a pas été moins cenfuré des autres. Mr. Mallet convient que cette Histoire est écrite avec quelque partialité; il avoue auffi que le ftile en eft plein d'affectation & d'une fauffe éloquence: mais ajoutet-il, c'étoit le vice du Siécle, & particulierement de la Cour, qui, à l'exemple du Prince, aimoit le faux brillant & les jeux de mots. Ce jugement s'accorde affez avec celui de Mr de Voltaire *.

Les Efais de Morale du Chancelier Bacon font encore très-eftimez: il les augmenta confiderablement & les corrigea vers la fin de fa vie, & les publia de nouveau non feulement en Anglois, mais auffi

*Voyez fes Lettres fur les Anglois, Lettre XII. pag. m. 88. 89.

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