Page images
PDF
EPUB

peu

Frappe mes yeux épouvantés!
Un nouveau monde vient d'éclore:
L'univers se reforme encore
Dans les abîmes du chaos;
Et pour réparer ses ruines,
Je vois des demeures divines
Descendre un peuple de héros.

J.-B. ROUSSEAU, ode sur la naissance du duc de Bretagne.

Nous prendrons cette occasion pour dire qu'il y a d'enthousiasme dans l'Ode sur la prise de Namur. Le hasard m'a fait tomber entre les mains une critique très injuste du poëme des Saisons de M. de Saint-Lambert, et de la traduction des Géorgiques de Virgile par M. Delille. L'auteur, acharné à décrier tout ce qui est louable dans les auteurs vivants, et à louer ce qui est condamnable dans les morts, faire admirer cette strophe :

Je vois monter nos cohortes

La flamme et le fer en main,

Et sur les monceaux de piques,

De corps morts, de rocs, de briques,
S'ouvrir un large chemin.

BOILEAU, Ode sur la prise de Namur.

Il ne s'aperçoit pas que les termes de piques et de briques font un effet très désagréable; que ce n'est point un grand effort de monter sur des briques, que l'image de briques est très faible après celle des morts; qu'on ne monte point sur des monceaux de piques, et que jamais on n'a entassé de piques pour aller à l'as

1 C'est le volume de J. M. B. Clément, intitulé, Observations critiques sur la nouvelle traduction en vers français des Géorgiques de Virgile, et les poëmes des Saisons, de la Déclamation, et de la Peinture; 1771, petit in-8°. B.

saut; qu'on ne s'ouvre point un large chemin sur des rocs; qu'il fallait dire, «Je vois nos cohortes s'ouvrir << un large chemin à travers les débris des rochers, « au milieu des armes brisées, et sur des morts en«< tassés ; » alors il y aurait eu de la gradation, de la vérité, et une image terrible.

Le critique n'a été guidé que par son mauvais goût, et par la rage de l'envie qui dévore tant de petits auteurs subalternes. Il faut, pour s'ériger en critique, être un Quintilien, un Rollin; il ne faut pas avoir l'insolence de dire cela est bon, ceci est mauvais, sans en apporter des preuves convaincantes. Ce ne serait plus ressembler à Rollin dans son Traité des études; ce serait ressembler à Fréron, et être par conséquent très méprisable.

ENVIE1.

On connaît assez tout ce que l'antiquité a dit de cette passion honteuse, et ce que les modernes ont répété. Hésiode est le premier auteur classique qui en ait parlé :

« Le potier porte envie au potier, l'artisan à l'ar<< tisan, le pauvre même au pauvre, le musicien au «< musicien (ou, si l'on veut donner un autre sens au «< mot Дoidos, le poëte au poëte). »

Long-temps avant Hésiode, Job avait dit : L'envie tue les petits2.

Je crois que Mandeville, auteur de la Fable des

1 Questions sur l'Encyclopédie, cinquième partie, 1771. B.

2 Job, ch. v, v. 2.

Abeilles, est le premier qui ait voulu prouver que l'envie est une fort bonne chose, une passion très utile. Sa première raison est que l'envie est aussi naturelle à l'homme que la faim et la soif; qu'on la découvre dans tous les enfants, ainsi que dans les chevaux et dans les chiens. Voulez-vous que vos enfants se haïssent, caressez l'un plus que l'autre; le secret est infaillible.

Il prétend que la première chose que font deux jeunes femmes qui se rencontrent est de se chercher des ridicules, et la seconde de se dire des flatteries.

Il croit que sans l'envie les arts seraient médiocrement cultivés, et que Raphael n'aurait pas été un grand peintre s'il n'avait pas été jaloux de MichelAnge.

Mandeville a peut-être pris l'émulation pour l'envie; peut-être aussi l'émulation n'est-elle qu'une envie qui se tient dans les bornes de la décence.

Michel-Ange pouvait dire à Raphael : Votre envie ne vous a porté qu'à travailler encore mieux que moi; vous ne m'avez point décrié, vous n'avez point cabalé contre moi auprès du pape, vous n'avez point tâché de me faire excommunier pour avoir mis des borgnes et des boiteux en paradis, et de succulents cardinaux avec de belles femmes nues comme la main en enfer, dans mon tableau du jugement dernier. Allez, votre envie est très louable; vous êtes un brave envieux, soyons bons amis.

Mais si l'envieux est un misérable sans talents,

I Sur cette fable, voyez l'article ABEILLES, tome XXVI, page 44. B.

jaloux du mérite comme les gueux le sont des riches; si, pressé par l'indigence comme par la turpitude de son caractère, il vous fait des Nouvelles du Parnasse1, des Lettres de madame la comtesse, des Années littéraires 2, cet animal étale une envie qui n'est bonne à rien, et dont Mandeville ne pourra jamais faire l'apologie.

On demande pourquoi les anciens croyaient que l'œil de l'envieux ensorcelait les gens qui le regardaient. Ce sont plutôt les envieux qui sont ensorcelés.

Descartes dit que « l'envie pousse la bile jaune qui «< vient de la partie inférieure du foie, et la bile noire « qui vient de la rate, laquelle se répand du cœur par « les artères, etc. » Mais comme nulle espèce de bile ne se forme dans la rate, Descartes, en parlant ainsi, semblait ne pas trop mériter qu'on portât envie à sa physique.

Un certain Voet ou Voëtius, polisson en théologie, qui accusa Descartes d'athéisme, était très malade de la bile noire; mais il savait encore moins que Descartes comment sa détestable bile se répandait dans son sang.

Madame Pernelle a raison :

Les envieux mourront, mais non jamais l'envie.

Tartufe, acte V, scène III.

Mais c'est un bon proverbe, qu'il vaut mieux faire

Le Nouvelliste du Parnasse, 1731, 2 vol. in-12, a pour auteurs les abbés Desfontaines et Granet. B.

2 Les Lettres de madame la comtesse** (1746, in-12, réimprimées dans le tome II des Opuscules de l'auteur, en 1753), et l'Année litteraire, sont de Fréron. B.

envie que pitié. Fesons donc envie autant que nous

pourrons.

ÉPIGRAMME1.

Ce mot veut dire proprement inscription; ainsi une épigramme devait être courte. Celles de l'Anthologie grecque sont pour la plupart fines et gracieuses; elles n'ont rien des images grossières que Catulle et Martial ont prodiguées, et que Marot et d'autres ont imitées. En voici quelques unes traduites avec une brièveté dont on a souvent reproché à la langue française d'être privée. L'auteur est inconnu.

Un

SUR LES SACRIFICES A HERCULE.

peu de miel, un peu de lait,

Rendent Mercure favorable;

Hercule est bien plus cher, il est bien moins traitable;
Sans deux agneaux par jour il n'est point satisfait.
On dit qu'à mes moutons ce dieu sera propice.
Qu'il soit béni! mais entre nous,

C'est un peu trop en sacrifice:

Qu'importe qui les mange, ou d'Hercule, ou des loups 3?

SUR LAÏS, QUI REMIT SON MIROIR DANS LE TEMPLe de vénus.

Je le donne à Vénus puisqu'elle est toujours belle;

Il redouble trop mes ennuis:

Je ne saurais me voir dans ce miroir fidèle
Ni telle que j'étais, ni telle que je suis.

1 Questions sur l'Encyclopédie, cinquième partie, 1771. B.

2 C'est Voltaire lui-même. B.

3 Cette première épigramme et la quatrième (sur Niobé) ont été l'objet des remarques de M. Boissonade, dans les Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque du roi, tome X, page 251, à la note. B.

« PreviousContinue »