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Vous l'avez deviné, dit l'autre : mais cette monarchie est tombée, et nous fesons tous les jours de belles dissertations pour trouver les causes de sa décadence et de sa chute. Vous prenez bien de la peine, dit l'Indien; cet empire est tombé parcequ'il existait. Il faut bien que tout tombe; j'espère bien qu'il en arrivera tout autant à l'empire du grand-mogol.

A propos, dit l'Européan, croyez-vous qu'il faille plus d'honneur dans un état despotique, et plus de vertu dans une république ? L'Indien s'étant fait expliquer ce qu'on entend par honneur, répondit que l'honneur était plus nécessaire dans une république, et qu'on avait bien plus besoin de vertu dans un état monarchique. Car, dit-il, un homme qui prétend être élu par le peuple ne le sera pas s'il est déshonoré; au lieu qu'à la cour il pourra aisément obtenir une charge, selon la maxime d'un grand prince 1, qu'un courtisan, pour réussir, doit n'avoir ni honneur ni humeur. A l'égard de la vertu, il en faut prodigieusement dans une cour pour oser dire la vérité. L'homme vertueux est bien plus à son aise dans une république; il n'a personne à flatter.

Croyez-vous, dit l'homme d'Europe, que les lois et les religions soient faites pour les climats, de même qu'il faut des fourrures à Moscou, et des étoffes de gaze à Delhi? Oui, sans doute, dit le brame; toutes les lois qui concernent la physique sont calculées pour le méridien qu'on habite; il ne faut qu'une femme à un Allemand, et il en faut trois ou quatre à

un Persan.

1 Le duc d'Orléans, régent: voyez ci-après l'article HONNeur. B.

DICTIONN. PHILOS. IV.

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Les rites de la religion sont de même nature. Comment voudriez-vous, si j'étais chrétien, que je disse la messe dans ma province, où il n'y a ni pain ni vin? A l'égard des dogmes, c'est autre chose; le climat n'y fait rien. Votre religion n'a-t-elle pas commencé en Asie, d'où elle a été chassée? n'existe-t-elle pas vers la mer Baltique, où elle était inconnue ?

Dans quel état, sous quelle domination aimeriezvous mieux vivre? dit le conseiller. Partout ailleurs que chez moi, dit son compagnon; et j'ai trouvé beaucoup de Siamois, de Tunquinois, de Persans et de Turcs qui en disaient autant. Mais encore une fois, dit l'Européan, quel état choisiriez-vous? Le brame répondit : Celui où l'on n'obéit qu'aux lois. C'est une vieille réponse, dit le conseiller. Elle n'en est pas plus mauvaise, dit le brame. Où est ce pays-là ? dit le conseiller. Le brame dit : Il faut le chercher. (Voyez l'article Genève dans l'Encyclopédie 1.)

Il

ÉTATS-GÉNÉRAUX 2.

y en a toujours eu dans l'Europe, et probablement dans toute la terre : tant il est naturel d'assembler la famille, pour connaître ses intérêts et pourvoir à ses besoins. Les Tartares avaient leur Cour-ilté. Les Germains, selon Tacite, s'assemblaient pour délibérer. Les Saxons et les peuples du Nord eurent leur

1 Cet article a été écrit vers 1757. Voyez aussi l'article GOUVERNEMENT dans ce Dictionnaire. K. — L'article GENÈVE, dans l'Encyclopédie, est de d'Alembert, et fit naître la fameuse Lettre de J.-J. Rousseau. B.

2 Questions sur l'Encyclopédie, sixième partie, 1771. B.

Wittenagemot. Tout fut états-généraux dans les républiquess grecque et romaine.

Nous n'en voyons point chez les Égyptiens, chez les Perses, chez les Chinois, parceque nous n'avons que des fragments fort imparfaits de leurs histoires; nous ne les connaissons guère que depuis le temps où leurs rois furent absolus, ou du moins depuis le temps où ils n'avaient que les prêtres pour contre-poids de leur autorité.

Quand les comices furent abolis à Rome, les gardes prétoriennes prirent leur place; des soldats insolents, avides, barbares et lâches furent la république. Septime Sévère les vainquit et les cassa.

Les états-généraux de l'empire ottoman sont les janissaires et les spahis; dans Alger et dans Tunis, c'est la milice.

Le plus grand et le plus singulier exemple de ces états-généraux est la diète de Ratisbonne qui dure depuis cent ans, où siégent continuellement les représentants de l'empire, les ministres des électeurs, des princes, des comtes, des prélats et des villes impériales, lesquelles sont au nombre de trente-sept.

Les seconds états-généraux de l'Europe sont ceux de la Grande-Bretagne. Ils ne sont pas toujours assemblés comme la diète de Ratisbonne, mais ils sont devenus si nécessaires que le roi les convoque tous les ans.

La chambre des communes répond précisément aux députés des villes reçus dans la diète de l'empire; mais elle est en beaucoup plus grand nombre, et jouit d'un pouvoir bien supérieur. C'est proprement la na

tion. Les pairs et les évêques ne sont en parlement que pour eux, et la chambre des communes y est pour tout le pays. Ce parlement d'Angleterre n'est autre chose qu'une imitation perfectionnée de quelques états-généraux de France.

En 1355, sous le roi Jean, les trois états furent assemblés à Paris pour secourir le roi Jean contre les Anglais. Ils lui accordèrent une somme considérable, à cinq livres cinq sous le marc, de peur que le roi n'en changeât la valeur numéraire. Ils réglèrent l'impôt nécessaire pour recueillir cet argent, et ils établirent neuf commissaires pour présider à la recette. Le roi promit, pour lui et pour ses successeurs, de ne faire, dans l'avenir, aucun changement dans la monnaie.

Qu'est-ce que promettre pour soi et pour ses héritiers? ou c'est ne rien promettre, ou c'est dire : Ni moi, ni mes héritiers n'avons le droit d'altérer la monnaie; nous sommes dans l'impuissance de faire le mal.

Avec cet argent, qui fut bientôt levé, on forma aisément une armée qui n'empêcha pas le roi Jean d'être fait prisonnier à la bataille de Poitiers.

On devait rendre compte aux états, au bout de l'année, de l'emploi de la somme accordée. C'est ainsi qu'on en use aujourd'hui en Angleterre avec la chambre des communes. La nation anglaise a conservé tout ce que la nation française a perdu.

Les états-généraux de Suède ont une coutume plus honorable encore à l'humanité, et qui ne se trouve chez aucun peuple. Ils admettent dans leurs assem

blées deux cents paysans qui font un corps séparé des trois autres, et qui soutiennent la liberté de ceux qui travaillent à nourrir les hommes.

Les états-généraux de Danemarck prirent une résolution toute contraire en 1660; ils se dépouillèrent de tous leurs droits en faveur du roi. Ils lui donnèrent un pouvoir absolu et illimité. Mais ce qui est plus étrange, c'est qu'ils ne s'en sont point repentis jusqu'à présent.

Les états-généraux, en France, n'ont point été assemblés depuis 16131, et les cortès d'Espagne ont duré cent ans après. On les assembla encore en 1712, pour confirmer la renonciation de Philippe V à la couronne de France. Ces états-généraux n'ont point été convoqués depuis ce temps.

ÉTERNITÉ 2.

J'admirais, dans ma jeunesse, tous les raisonnements de Samuel Clarke; j'aimais sa personne, quoiqu'il fût un arien déterminé ainsi que Newton, et j'aime encore sa mémoire parcequ'il était bon homme; mais le cachet de ses idées, qu'il avait mis sur ma cervelle encore molle, s'effaça quand cette cervelle se fut un peu fortifiée. Je trouvai, par exemple, qu'il avait aussi mal combattu l'éternité du monde, qu'il avait mal établi la réalité de l'espace infini.

J'ai tant de respect pour la Genèse et pour l'Église qui l'adopte, que je la regarde comme la seule

preuve

1 A la fin de 1614; voyez tome XVIII, page 171; et tome XXII, le chapitre XLVI de l'Histoire du parlement. Depuis Voltaire, il y a eu les états de 1789. B.

2

Questions sur l'Encyclopédie, cinquième partie, 1771. B.

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