Page images
PDF
EPUB

aller droit 1, et la fille qui lui répond que sa mère va tortu, n'a point paru une fable agréable.

Le buisson et le canard en société avec une chauvesouris 2 pour des marchandises, « ayant des comptoirs, <«< des facteurs, des agents, payant le principal et les «< intérêts, et ayant des sergents à leur porte», n'a ni vérité, ni naturel, ni agrément.

Un buisson qui sort de son pays avec une chauvesouris pour aller trafiquer, est une de ces imaginations froides et hors de la nature, que La Fontaine ne devait pas adopter.

Un logis plein de chiens et de chats, « vivant entre <«<eux comme cousins 3, et se brouillant pour un pot « de potage,» semble bien indigne d'un homme de goût.

La pie-margot-caquet-bon-bec 4 est encore pire; l'aigle lui dit qu'elle n'a que faire de sa compagnie, parcequ'elle parle trop. Sur quoi La Fontaine remarque qu'il faut à la cour porter habit de deux paroisses. Que signifie un milan présenté par un oiseleur à un roi, auquel il prend le bout du nez avec ses griffes 5?

6

Un singe qui avait épousé une fille parisienne et qui la battait, est un très mauvais conte qu'on avait fait à La Fontaine, et qu'il eut le malheur de mettre

en vers.

De telles fables et quelques autres pourraient sans doute justifier Boileau: il se pouvait même que La

Livre XII, fable ro.- 2 Livre XII, fable 7. 3 Livre XII, fable 8.4 Livre XII, fable 11.- 5 Livre XII, fable 12.. — 6 Livre XII, fable 19. Voyez dans les Mélanges, année 1764, le Discours aux Welches. B.

Fontaine ne sût pas distinguer ses mauvaises fables des bonnes.

Madame de La Sablière appelait La Fontaine un fablier, qui portait naturellement des fables, comme un prunier des prunes. Il est vrai qu'il n'avait qu'un style, et qu'il écrivait un opéra de ce même style dont il parlait de Janot Lapin et de Rominagrobis. Il dit dans l'opéra de Daphné:

J'ai vu le temps qu'une jeune fillette
Pouvait sans peur aller au bois seulette :
Maintenant, maintenant les bergers sont loups.
Je vous dis, je vous dis, filles, gardez-vous 1.

Jupiter vous vaut bien;

Je ris aussi quand l'Amour veut qu'il pleure:
Vous autres dieux, n'attaquez rien,

Qui, sans vous étonner, s'ose défendre une heure.
Que vous êtes reprenante,
Gouvernante 2!

Malgré tout cela, Boileau devait rendre justice au mérite singulier du bon-homme (c'est ainsi qu'il l'appelait), et être enchanté avec tout le public du style de ses bonnes fables.

La Fontaine n'était pas né inventeur; ce n'était pas un écrivain sublime, un homme d'un goût toujours sûr, un des premiers génies du grand siècle; et c'est encore un défaut très remarquable dans lui de ne pas parler correctement sa langue : il est dans cette partie très inférieur à Phèdre; mais c'est un homme unique dans les excellents morceaux qu'il nous a laissés : ils sont en grand nombre; ils sont dans la bouche de tous

I

1 Daphné, acte Io, scène 11. 2 Id., acte II, scène v. B.

ceux qui ont été élevés honnêtement; ils contribuent même à leur éducation; ils iront à la dernière postérité; ils conviennent à tous les hommes, à tous les âges; et ceux de Boileau ne conviennent guère qu'aux gens de lettres.

DE QUELQUES FANATIQUES QUI ONT VOULU PROSCRIRE
LES ANCIENNES FABLES,

Il y eut parmi ceux qu'on nomme jansénistes, une petite secte de cerveaux durs et creux, qui voulurent proscrire les belles fables de l'antiquité, substituer saint Prosper à Ovide, et Santeul à Horace. Si on les avait crus, les peintres n'auraient plus représenté Iris sur l'arc-en-ciel, ni Minerve avec son égide; mais Nicole et Arnauld combattant contre des jésuites et contre des protestants; mademoiselle Perrier guérie d'un mal aux yeux par une épine de la couronne de JésusChrist, arrivée de Jérusalem à Port-Royal; le conseiller Carré de Montgeron, présentant à Louis XV le Recueil des convulsions de saint Médard, et saint Ovide ressuscitant des petits garçons.

Aux yeux de ces sages austères, Fénelon n'était qu'un idolâtre qui introduisait l'enfant Cupidon chez la nymphe Eucharis, à l'exemple du poëme impie de l'Énéide.

[ocr errors]

Pluche, à la fin de sa fable du ciel, intitulée Histoire, fait une longue dissertation pour prouver qu'il est honteux d'avoir dans ses tapisseries des figures prises des métamorphoses d'Ovide; et que Zéphyre et Flore, Vertumne et Pomone, devraient être bannis des jar

dins de Versailles". Il exhorte l'académie des belleslettres à s'opposer à ce mauvais goût; et il dit qu'elle seule est capable de rétablir les belles-lettres.

Voici une petite apologie de la fable que nous présentons à notre cher lecteur, pour le prémunir contre la mauvaise humeur de ces ennemis des beaux-arts1.

grace

D'autres rigoristes, plus sévères que sages, ont voulu proscrire depuis peu l'ancienne mythologie, comme un recueil de contes puérils indignes de la gravité reconnue de nos mœurs. Il serait triste pourtant de brûler Ovide, Homère, Hésiode, et toutes nos belles tapisseries, et nos tableaux, et nos opéra: beaucoup de fables, après tout, sont plus philosophiques que ces messieurs ne sont philosophes. S'ils font aux contes familiers d'Ésope, pourquoi faire mainbasse sur ces fables sublimes qui ont été respectées du genre humain dont elles ont fait l'instruction? Elles sont mêlées de beaucoup d'insipidité, car quelle chose est sans mélange? Mais tous les siècles adopteront la boîte de Pandore, au fond de laquelle se trouve la consolation du genre humain; les deux tonneaux de Jupiter, qui versent sans cesse le bien et le mal; la nue embrassée par Ixion, emblème et châtiment d'un ambitieux; et la mort de Narcisse, qui est la punition

a Histoire du ciel, tome II, page 398.

Dans les Questions sur l'Encyclopédie, en 1771, on rapportait ici la pièce intitulée l'Apologie de la fable (voyez dans les Poésies du tome XII), et c'était la fin de l'article.

Tout ce qui suit avait paru, dès 1746, dans le tome IV des OEuvres de Vol taire, sous le titre de Discours sur la fable. Ce morceau alors commençait ainsi : « Quelques personnes, plus tristes que sages, ont voulu, etc.» Ce sont les éditeurs de Kehl qui, en plaçant ici ce Discours, en ont changé les premiers mots. Voyez ALLÉGORIES, tome XXVI, page 180. B.

DICTIONN. PHILOS. IV.

20

de l'amour-propre. Y a-t-il rien de plus sublime que Minerve, la divinité de la sagesse, formée dans la tête du maître des dieux? Y a-t-il rien de plus vrai et de plus agréable que la déesse de la beauté, obligée de n'être jamais sans les graces? Les déesses des arts, toutes filles de la Mémoire, ne nous avertissent-elles pas aussi bien que Locke que nous ne pouvons sans mémoire avoir le moindre jugement, la moindre étincelle d'esprit? Les flèches de l'Amour, son bandeau, son enfance, Flore caressée par Zéphyre, etc., ne sontils pas les emblèmes sensibles de la nature entière? Ces fables ont survécu aux religions qui les consacraient; les temples des dieux d'Égypte, de la Grèce, de Rome, ne sont plus, et Ovide subsiste. On peut détruire les objets de la crédulité, mais non ceux du plaisir; nous aimerons à jamais ces images vraies et riantes. Lucrèce ne croyait pas à ces dieux de la fable; mais il célébrait la nature sous le nom de Vénus.

[ocr errors][merged small][merged small][merged small]

«

«

Concelebras, per te quoniam genus omne animantum
Concipitur, visitque exortum lumina solis, etc. »

I

LUCR., I, 2-5.

Tendre Vénus, ame de l'univers,

Par qui tout naît, tout respire, et tout aime;

Toi dont les feux brûlent au fond des

mers,

Toi qui régis la terre et le ciel même, etc. »

Si l'antiquité dans ses ténèbres s'était bornée à reconnaître la Divinité dans ces images, aurait-on beaucoup de reproches à lui faire? L'ame productrice du

1 Ces quatre vers ne sont pas dans les éditions antérieures à 1756. B.

« PreviousContinue »