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s'était fait un grand parti dans l'armée sans y prétendre.

Un chef de parti est toujours un chef de faction: tels ont été le cardinal de Retz, Henri duc de Guise, et tant d'autres.

Un parti séditieux, quand il est encore faible, quand il ne partage pas tout l'état, n'est qu'une faction.

La faction de César devint bientôt un parti dominant qui engloutit la république.

Quand l'empereur Charles VI disputait l'Espagne à Philippe V, il avait un parti dans ce royaume, et enfin il n'y eut plus qu'une faction. Cependant on peut dire toujours le parti de Charles VI.

Il n'en est pas ainsi des hommes privés. Descartes eut long-temps un parti en France; on ne peut dire qu'il eut une faction.

C'est ainsi qu'il y a des mots synonymes en plusieurs cas, qui cessent de l'être dans d'autres.

FACULTÉ1.

Toutes les puissances du corps et de l'entendement ne sont-elles pas des facultés, et qui pis est des facultés très ignorées, de franches qualités occultes, à commencer par le mouvement, dont personne n'a découvert l'origine?

Quand le président de la faculté de médecine, dans le Malade imaginaire, demande à Thomas Diafoirus2

1 Questions sur l'Encyclopédie, sixième partie, 1771. B.

2 Ce n'est pas Thomas Diafoirus, c'est Argan qui, dans le troisième intermède du Malade imaginaire, est le bachelierus, et fait en cette qualité la réponse que cite Voltaire. B.

«< quare opium facit dormire, » Thomas répond très pertinemment «<quia est in eo virtus dormitiva, cujus <«<est natura sensus assoupire,» parcequ'il y a dans l'opium une faculté soporative qui fait dormir. Les plus grands physiciens ne peuvent guère mieux dire.

Le sincère chevalier de Jaucourt avoue, à l'article Sommeil, qu'on ne peut former sur la cause du sommeil que de simples conjectures. Un autre Thomas plus révéré que Diafoirus, n'a pas répondu autrement que ce bachelier de comédie, à toutes les questions qu'il propose dans ses volumes immenses.

Il est dit à l'article Faculté du grand Dictionnaire encyclopédique, «que la faculté vitale une fois établie <«< dans le principe intelligent qui nous anime, on con<< çoit aisément que cette faculté, excitée par les im<< pressions que le sensorium vital transmet à la partie « du sensorium commun, détermine l'influx alternatif << du suc nerveux dans les fibres motrices des organes <«< vitaux, pour faire contracter alternativement ces << organes. >>

Cela revient précisément à la réponse du jeune médecin Thomas, « quia est in eo virtus alternativa «< quæ facit alternare. » Et ce Thomas Diafoirus a du moins le mérite d'être plus court.

La faculté de remuer le pied quand on le veut, celle de se ressouvenir du passé, celle d'user de ses cinq sens, toutes nos facultés, en un mot, ne sont-elles pas à la Diafoirus?

Mais la pensée! nous disent les gens qui savent le secret; la pensée, qui distingue l'homme du reste des animaux !

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Sanctius his animal, mentisque capacius altæ. »
OVID., Met., I, 76.

Cet animal si saint, plein d'un esprit sublime.

Si saint qu'il vous plaira; c'est ici que Diafoirus triomphe plus que jamais. Tout le monde au fond répond, «quia est in eo virtus pensativa quæ facit pen<«< sare. » Personne ne saura jamais par quel mystère pense.

il

Cette question s'étend donc à tout dans la nature entière. Je ne sais s'il n'y aurait pas dans cet abîme même une preuve de l'existence de l'Être suprême. Il y a un secret dans tous les premiers ressorts de tous les êtres, à commencer par un galet des bords de la mer, et à finir par l'anneau de Saturne et par la voie lactée. Or, comment ce secret sans que personne le sût? il faut bien qu'il y ait un être qui soit au fait.

Des savants, pour éclairer notre ignorance, nous disent qu'il faut faire des systèmes, qu'à la fin nous trouverons le secret; mais nous avons tant cherché sans rien trouver, qu'à la fin on se dégoûte. C'est la philosophie paresseuse, nous crient-ils: non, c'est le repos raisonnable de gens qui ont couru en vain : et après tout, philosophie paresseuse vaut mieux que théologie turbulente et chimères métaphysiques.

FAIBLE'.

Foible, qu'on prononce faible, et que plusieurs écrivent ainsi, est le contraire de fort, et non de dur

I Encyclopédie, tome VII, 1757. C'était au mot Foible que l'article était placé. B.

et de solide. Il peut se dire de presque tous les êtres. Il reçoit souvent l'article de : le fort et le faible d'une épée; faible de reins; armée faible de cavalerie; ouvrage philosophique faible de raisonnement, etc.

Le faible du cœur n'est point le faible de l'esprit ; le faible de l'ame n'est point celui du cœur. Une ame faible est sans ressort et sans action; elle se laisse aller à ceux qui la gouvernent.

Un cœur faible s'amollit aisément, change facilement d'inclinations, ne résiste point à la séduction, à l'ascendant qu'on veut prendre sur lui, et peut subsister avec un esprit fort; car on peut penser fortement et agir faiblement. L'esprit faible reçoit les impressions sans les combattre, embrasse les opinions sans examen, s'effraie sans cause, tombe naturellement dans la superstition.

:

Un ouvrage peut être faible par les pensées ou par le style par les pensées, quand elles sont trop communes, ou lorsque étant justes, elles ne sont pas assez approfondies; par le style, quand il est dépourvu d'images, de tours, de figures qui réveillent l'attention. Les oraisons funèbres de Mascaron sont faibles, et son style n'a point de vie, en comparaison de Bossuet.

Toute harangue est faible quand elle n'est pas relevée par des tours ingénieux et par des expressions énergiques; mais un plaidoyer est faible quand, avec tout le secours de l'éloquence et toute la véhémence de l'action, il manque de raison. Nul ouvrage philosophique n'est faible, malgré la faiblesse d'un style lâche, quand le raisonnement est juste et profond,

Une tragédie est faible, quoique le style en soit fort, quand l'intérêt n'est pas soutenu. La comédie la mieux écrite est faible, si elle manque de ce que les Latins appelaient vis comica, la force comique : c'est ce que César reproche à Térence :

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Lenibus atque utinam scriptis adjuncta foret vis
Comica ! »

C'est surtout en quoi a péché souvent la comédie nommée larmoyante. Les vers faibles ne sont pas ceux qui pèchent contre les règles, mais contre le génie; qui, dans leur mécanique, sont sans variété, sans choix de termes, sans heureuses inversions, et qui, dans leur poésie, conservent trop la simplicité de la prose. On ne peut mieux sentir cette différence qu'en comparant les endroits que Racine et Campistron son imitateur ont traités.

FANATISME..

SECTION PREMIÈRE 2.

C'est l'effet d'une fausse conscience qui asservit la religion aux caprices de l'imagination et aux déréglements des passions.

I

En général, il vient de ce que les législateurs ont

Voyez le commencement des Honnêtetés littéraires, dans les Mélanges, année 1767. B.

2 Cette première section est tirée mot pour mot de l'article FANATISME de l'Encyclopédie, par M. Deleyre; M. de Voltaire n'a fait ici que l'abréger et le mettre dans un autre ordre. K. Ce morceau a paru pour la première

fois dans les éditions de Kehl. B.

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