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point d'exemple chez les Romains et chez les Grecs, pas même dans les poëtes.

On trouve seulement dans les Métamorphoses d'Ovide des inductions ingénieuses tirées des fables qu'on donne pour fables.

Pyrrha et Deucalion ont jeté des pierres entre leurs jambes par derrière, des hommes en sont nés. Ovide dit (Met. 1, 414):

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Inde genus durum sumus, experiensque laborum;

Et documenta damus qua simus origine nati. »

Formés par des cailloux, soit fable ou vérité,
Hélas! le cœur de l'homme en a la dureté.

Apollon aime Daphné, et Daphné n'aime point. Apollon; c'est que l'amour a deux espèces de flèches, les unes d'or et perçantes, et les autres de plomb et écachées.

Apollon a reçu dans le cœur une flèche d'or, Daphné une de plomb.

« Deque sagittifera prompsit duo tela pharetra

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1

Diversorum operum; fugat hoc, facit illud amorem.

Quod facit auratum est, et cuspide fulget acuta ;

Quod fugat obtusum est, et habet sub arundine plumbum, etc.»

OVID., Met., I, 468.

Fatal Amour, tes traits sont différents':
Les uns sont d'or, ils sont doux et perçants,
Ils font qu'on aime; et d'autres au contraire
Sont d'un vil plomb qui rend froid et sévère.

O dieu d'amour, en qui j'ai tant de foi,
Prends tes traits d'or pour Aminte et pour moi.

Voyez Nanine, acte Ier, scène ire, et le prologue du chant xxx de la Pucelle. B.

DICTIONN. PHILOS. IV.

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Toutes ces figures sont ingénieuses et ne trompent personne. Quand on dit que Vénus, la déesse de la beauté, ne doit point marcher sans les Graces, on dit une vérité charmante. Ces fables qui étaient dans la bouche de tout le monde, ces allégories si naturelles avaient tant d'empire sur les esprits, que peut-être les premiers chrétiens voulurent les combattre en les imitant. Ils ramassèrent les armes de la mythologie pour la détruire; mais ils ne purent s'en servir avec la même adresse : ils ne songèrent pas que l'austérité sainte de notre religion ne leur permettait pas d'employer ces ressources, et qu'une main chrétienne aurait mal joué sur la lyre d'Apollon.

Cependant, le goût de ces figures typiques et prophétiques était si enraciné, qu'il n'y eut guère de prince, d'homme d'état, de pape, de fondateur d'ordre, auquel on n'appliquât des allégories, des allusions prises de l'Écriture sainte. La flatterie et la satire puisèrent à l'envi dans la même source.

On disait au pape Innocent III, «< Innocens eris a << maledictione1, » quand il fit une croisade sanglante contre le comte de Toulouse.

Lorsque François Martorillo de Paule fonda les minimes, il se trouva qu'il était prédit dans la Genèse : << Minimus cum patre nostro 2.

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Le prédicateur qui prêcha devant Jean d'Autriche 3, après la célèbre bataille de Lépante, prit pour son

1 Genèse, xxiv, 41. B.

2 Ibid., XLII, 13. B.

3 Voyez tome XVII, page 508; voyez aussi tome XIX, le chap. xiv du Siècle de Louis XIV. B.

texte, << Fuit homo missus a Deo cui nomen erat Joan« nes 1; » et cette allusion était fort belle si les autres

I.

étaient ridicules. On dit qu'on la répéta pour Jean Sobieski, après la délivrance de Vienne; mais le prédicateur n'était qu'un plagiaire.

Enfin, ce fut un usage si constant, qu'aucun prédicateur de nos jours n'a jamais manqué de prendre une allégorie pour son texte. Une des plus heureuses est le texte de l'Oraison funèbre du duc de Candale, prononcée devant sa sœur, qui passait pour un modèle de vertu : « Dic quia soror mea es, ut mihi bene eve<«< niat propter te 2. » Dites que vous êtes ma sœur, afin que je sois bien traité à cause de vous.

Il ne faut pas être surpris si les cordeliers poussèrent trop loin ces figures en faveur de saint François d'Assise, dans le fameux et très peu connu livre des Conformités de saint François d'Assise avec Jésus-Christ3. On y voit soixante et quatre prédictions de l'avénement de saint François, tant dans l'ancien Testament que dans le nouveau, et chaque prédiction contient trois figures qui signifient la fondation des cordeliers. Ainsi ces pères se trouvent prédits cent quatre-vingtdouze fois dans la Bible.

Depuis Adam jusqu'à saint Paul tout a figuré le bienheureux François d'Assise. Les Écritures ont été données pour annoncer à l'univers les sermons de

1 Saint Jean: Évangile, 1, 6. B.

2 Il y a dans la Genèse, x11, 13: Dic ergo, obsecro te, quod soror mea sis, ut bene mihi sit propter te. B.

3 Par Barthélemi de Pise: voyez sur ce curieux ouvrage le Dictionnaire historique de Prosper Marchand, tome I, page 3 et suivantes. B.

François aux quadrupèdes, aux poissons et aux oiseaux, ses ébats avec sa femme de neige, ses passetemps avec le diable, ses aventures avec frère Élie et frère Pacifique.

On a condamné ces pieuses rêveries qui allaient jusqu'au blasphème. Mais l'ordre de Saint-François n'en a point pâti; il a renoncé à ces extravagances, trop communes dans les siècles de barbarie 1.

FILOSOFE, voyez PHILOSOPHE.

FIN DU MONDE 2.

La plupart des philosophes grecs crurent le monde éternel dans son principe, éternel dans sa durée. Mais pour cette petite partie du monde, ce globe de pierre, de boue, d'eau, de minéraux, et de vapeurs, que nous habitons, on ne savait qu'en penser; on le trouvait très destructible. On disait même qu'il avait été bouleversé plus d'une fois, et qu'il le serait encore. Chacun jugeait du monde entier par son pays, comme une commère juge de tous les hommes par son quar

tier.

Cette idée de la fin de notre petit monde et de son renouvellement frappa surtout les peuples soumis à l'empire romain, dans l'horreur des guerres civiles de César et de Pompée. Virgile, dans ses Géorgiques (I, 468), fait allusion à cette crainte généralement répandue dans le commun peuple:

Voyez l'article EMBLÈME.

2 Questions sur l'Encyclopédie, sixième partie, 1771. B.

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«

Hos, Cæsar, populos, si nunc non usserit ignis,

<< Uret cum terris, uret cum gurgite ponti.

« Communis mundo superest rogus...

Pharsal., VII, 812.

Qu'importe du bûcher le triste et faux honneur?
Le feu consumera le ciel, la terre, et l'onde;
Tout deviendra bûcher; la cendre attend le monde.

Ovide ne dit-il pas après Lucrèce :

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Esse

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quoque

in fatis reminiscitur affore tempus Quo mare, quo tellus, correptaque regia coli

Ardeat, et mundi moles operosa laboret. »

Met., I, 256.

Ainsi l'ont ordonné les destins implacables;

L'air, la terre, et les mers, et les palais des dieux,
Tout sera consumé d'un déluge de feux.

Consultez Cicéron lui-même, le sage Cicéron. Il vous dit dans son livre de la Nature des Dieux", le meilleur livre peut-être de toute l'antiquité, si ce n'est celui des devoirs de l'homme, appelé les Offices; il dit : « Ex quo eventurum nostri putant id, de quo << Panætium addubitare dicebant, ut ad extremum om<«< nis mundus ignesceret; quum, humore consumpto «< neque terra ali posset, nec remearet aer, cujus or« tus, aqua omni exhausta, esse non posset: ita relinqui nihil præter ignem, a quo rursum animante ac «< Deo renovatio mundi fieret, atque idem ornatus

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a De Natura Deorum, lib. II, § 46.

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