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inspire la défiance en employant toujours la finesse; on se trompe presque toujours en entendant finesse à

tout.

La finesse dans les ouvrages d'esprit, comme dans la conversation, consiste dans l'art de ne pas exprimer directement sa pensée, mais de la laisser aisément apercevoir; c'est une énigme dont les gens d'esprit devinent tout d'un coup le mot.

Un chancelier offrant un jour sa protection au parlement, le premier président se tournant vers sa compagnie: «< Messieurs, dit-il, remercions M. le chan<«< celier; il nous donne plus que nous ne lui deman«<dons: » c'est là une réponse très fine.

La finesse dans la conversation, dans les écrits, diffère de la délicatesse; la première s'étend également aux choses piquantes et agréables, au blâme et à la louange même, aux choses même indécentes, couvertes d'un voile, à travers lequel on les voit sans rougir.

On dit des choses hardies avec finesse.

La délicatesse exprime des sentiments doux et agréables, des louanges fines; ainsi la finesse convient plus à l'épigramme, la délicatesse au madrigal. II entre de la délicatesse dans les jalousies des amants; il n'y entre point de finesse.

Les louanges que donnait Despréaux à Louis XIV ne sont pas toujours également délicates; ses satires ne sont pas toujours assez fines.

Quand Iphigénie, dans Racine, a reçu l'ordre de son père de ne plus revoir Achille, elle s'écrie:

Dieux plus doux, vous n'avez demandé que ma vie !

Acte V; scène 1.

Le véritable caractère de ce vers est plutôt la délicatesse que la finesse.

FLATTERIE1.

Je ne vois pas un monument de flatterie dans la haute antiquité; nulle flatterie dans Hésiode ni dans Homère. Leurs chants ne sont point adressés à un Grec élevé en quelque dignité, ou à madame sa femme, comme chaque chant des Saisons de Thomson est dédié à quelque riche, et comme tant d'épîtres en vers, oubliées, sont dédiées en Angleterre à des hommes ou à des dames de considération, avec un petit éloge et les armoiries du patron ou de la patronne à la tête de l'ouvrage.

Il n'y a point de flatterie dans Démosthène. Cette façon de demander harmonieusement l'aumône commence, si je ne me trompe, à Pindare. On ne peut tendre la main plus emphatiquement.

Chez les Romains, il me semble que la grande flatterie date depuis Auguste. Jules-César eut à peine le temps d'être flatté. Il ne nous reste aucune épître dédicatoire à Sylla, à Marius, à Carbon, ni à leurs femmes ni à leurs maîtresses. Je crois bien que l'on présenta de mauvais vers à Lucullus et à Pompée; mais, Dieu merci, nous ne les avons pas.

C'est un grand spectacle de voir Cicéron, l'égal de César en dignité, parler devant lui en avocat pour un

1 Questions sur l'Encyclopédie, sixième partie, 1771. B.

roi de la Bithynie et de la Petite-Arménie, nommé Déjotar, accusé de lui avoir dressé des embûches, et même d'avoir voulu l'assassiner. Cicéron commence par avouer qu'il est interdit en sa présence. Il l'appelle le vainqueur du monde, victorem orbis terrarum. Il le flatte; mais cette adulation ne va pas encore jusqu'à la bassesse; il lui reste quelque pudeur.

C'est avec Auguste qu'il n'y a plus de mesure. Le sénat lui décerne l'apothéose de son vivant. Cette flatterie devient le tribut ordinaire payé aux empereurs suivants; ce n'est plus qu'un style. Personne ne peut plus être flatté, quand ce que l'adulation a de plus outré est devenu ce qu'il y a de plus commun.

Nous n'avons pas eu en Europe de grands monuments de flatterie jusqu'à Louis XIV. Son père Louis XIII fut très peu fêté; il n'est question de lui que dans une ou deux odes de Malherbe. Il l'appelle, à la vérité, selon la coutume, roi le plus grand des rois, comme les poëtes espagnols le disent au roi d'Espagne, et les poëtes anglais lauréats au roi d'Angleterre ; mais la meilleure part des louanges est toujours pour le cardinal de Richelieu.

Son ame toute grande est une ame hardie,
Qui pratique si bien l'art de nous secourir,

Que, pourvu qu'il soit cru, nous n'avons maladie
Qu'il ne sache guérir a.

Pour Louis XIV, ce fut un déluge de flatteries. Il ne ressemblait pas à celui qu'on prétend avoir été étouffé

a Ode de Malherbe (au roi, allant chátier la rébellion des Rochelois). Mais pourquoi Richelieu ne guérissait-il pas Malherbe de la maladie de faire des vers si plats ?

sous les feuilles de roses qu'on lui jetait. Il ne s'en porta que mieux.

La flatterie, quand elle a quelques prétextes plausibles, peut n'être pas aussi pernicieuse qu'on le dit. Elle encourage quelquefois aux grandes choses; mais l'excès est vicieux comme celui de la satire.

La Fontaine a dit, et prétend avoir dit après Ésope:

On ne peut trop louer trois sortes de personnes,

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Ésope n'a rien dit de cela, et on ne voit point qu'il ait flatté aucun roi ni aucune concubine. Il ne faut pas croire que les rois soient bien flattés de toutes les flatteries dont on les accable. La plupart ne viennent pas jusqu'à eux.

Une sottise fort ordinaire est celle des orateurs qui se fatiguent à louer un prince qui n'en saura jamais rien. Le comble de l'opprobre est qu'Ovide ait loué Auguste en datant de Ponto.

Le comble du ridicule pourrait bien se trouver dans les compliments que les prédicateurs adressent aux rois quand ils ont le bonheur de jouer devant leur majesté. Au révérend, révérend père Gaillard, prédicateur du roi : Ah! révérend père, ne prêches-tu que pour le roi? es-tu comme le singe de la Foire qui ne lui?

sautait

que pour

On lit dans La Fontaine, Malherbe le disait, etc. B.

FLEURI'.

Fleuri, qui est en fleur; arbre fleuri, rosier fleuri: on ne dit point des fleurs qu'elles fleurissent, on le dit des plantes et des arbres. Teint fleuri, dont la carnation semble un mélange de blanc et de couleur de rose. On a dit quelquefois, C'est un esprit fleuri, pour signifier un homme qui possède une littérature légère, et dont l'imagination est riante.

Un discours fleuri est rempli de pensées plus agréables que fortes, d'images plus brillantes que sublimes, de termes plus recherchés qu'énergiques: cette métaphore est justement prise des fleurs, qui ont de l'éclat sans solidité.

Le style fleuri ne messied pas dans ces harangues publiques, qui ne sont que des compliments; les beautés légères sont à leur place quand on n'a rien de solide à dire; mais le style fleuri doit être banni d'un plaidoyer, d'un sermon, de tout livre instructif.

En bannissant le style fleuri, on ne doit pas rejeter les images douces et riantes qui entreraient naturellement dans le sujet : quelques fleurs ne sont pas condamnables; mais le style fleuri doit être proscrit dans un sujet solide.

Ce style convient aux pièces de pur agrément, aux idylles, aux églogues, aux descriptions des saisons, des jardins il remplit avec grace une stance de l'ode la plus sublime, pourvu qu'il soit relevé par des stances d'une beauté plus mâle. Il convient peu à la

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