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C'est de Plutarque que l'estimable auteur de l'Histoire ancienne a tiré ce conte. Mais quand Plutarque a dit une chose absurde, tout ancien qu'il est, un moderne ne doit pas la répéter.

FORCE1.

Ce mot a été transporté du simple au figuré. Force se dit de toutes les parties du corps qui sont en mouvement, en action; la force du cœur, que quelques uns ont faite de quatre cents livres, et d'autres de trois onces; la force des viscères, des poumons, de la voix ; à force de bras.

On dit par analogie faire force de voiles, de rames; rassembler ses forces; connaître, mesurer ses forces; aller, entreprendre au-delà de ses forces; le travail de l'Encyclopédie est au-dessus des forces de ceux qui se sont déchaînés contre ce livre. On a long-temps appelé forces de grands ciseaux; et c'est pourquoi dans les États de la Ligue on fit une estampe de l'ambassadeur d'Espagne, cherchant avec ses lunettes ses ciseaux qui étaient à terre, avec ce jeu de mots pour inscription : J'ai perdu mes forces.

Le style familier admet encore, force gens, force gibier, force fripons, force mauvais critiques. On dit, à force de travailler il s'est épuisé; le fer s'affaiblit à force de le polir.

La métaphore qui a transporté ce mot dans la morale, en a fait une vertu cardinale. La force, en

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ce sens, est le courage de soutenir l'adversité, et d'entreprendre des choses vertueuses et difficiles, animi fortitudo.

La force de l'esprit est la pénétration et la profondeur, ingenii vis. La nature la donne comme celle du corps : le travail modéré les augmente, et le travail outré les diminue.

La force d'un raisonnement consiste dans une exposition claire des preuves mises dans tout leur jour, et une conclusion juste; elle n'a point lieu dans les théorèmes mathématiques, parcequ'une démonstration ne peut recevoir plus ou moins d'évidence, plus ou moins de force; elle peut seulement procéder par un chemin plus long ou plus court, plus simple ou plus compliqué. La force du raisonnement a surtout lieu dans les questions problématiques. La force de l'éloquence n'est pas seulement une suite de raisonnements justes et vigoureux, qui subsisteraient avec la sécheresse; cette force demande de l'embonpoint, des images frappantes, des termes énergiques. Ainsi on a dit que les sermons de Bourdaloue avaient plus de force, ceux de Massillon plus de grace. Des vers peuvent avoir de la force, et manquer de toutes les autres beautés. La force d'un vers dans notre langue vient principalement de dire quelque chose dans chaque hémistiche:

Et monté sur le faîte, il aspire à descendre.

Cinna, acte II, scène 1.

L'Éternel est son nom; le monde est son ouvrage.

Esther, acte III, scène IV.

Ces deux vers pleins de force et d'élégance sont le meilleur modèle de la poésie.

La force, dans la peinture, est l'expression des muscles que des touches ressenties font paraître en action sous la chair qui les couvre. Il y a trop de force quand ces muscles sont trop prononcés. Les attitudes des combattants ont beaucoup de force dans les batailles de Constantin dessinées par Raphaël et par Jules Romain, et dans celles d'Alexandre peintes par Lebrun. La force outrée est dure dans la peinture, ampoulée dans la poésie.

Des philosophes ont prétendu que la force est une qualité inhérente à la matière; que chaque particule invisible, ou plutôt monade, est douée d'une force active mais il est aussi difficile de démontrer cette assertion, qu'il le serait de prouver que la blancheur est une qualité inhérente à la matière, comme le dit le Dictionnaire de Trévoux à l'article Inhérent.

La force de tout animal a reçu son plus haut degré quand l'animal a pris toute sa croissance. Elle décroît quand les muscles ne reçoivent plus une nourriture égale; et cette nourriture cesse d'être égale quand les esprits animaux n'impriment plus à ces muscles le mouvement accoutumé. Il est si probable que ces esprits animaux sont du feu, que les vieillards manquent de mouvement, de force, à mesure qu'ils manquent de chaleur.

FORNICATION'.

Le Dictionnaire de Trévoux dit que c'est un terme

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de théologie. Il vient du mot latin fornix, petites chambres voûtées dans lesquelles se tenaient les femmes publiques à Rome. On a employé ce terme pour signifier le commerce des personnes libres. Il n'est point d'usage dans la conversation, et n'est guère reçu aujourd'hui que dans le style marotique. La décence l'a banni de la chaire. Les casuistes en fesaient un grand usage, et le distinguaient en plusieurs espèces. On a traduit par le mot de fornication les infidélités du peuple juif pour des dieux étrangers, parceque chez les prophètes ces infidélités sont appelées impuretés, souillures. C'est par la même extension qu'on a dit que les Juifs avaient rendu aux faux dieux un hommage adultère.

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L'Italie a toujours conservé son nom, malgré le prétendu établissement d'Énée qui aurait dû y laisser quelques traces de la langue, des caractères et des usages de Phrygie, s'il était jamais venu avec Achate, Cloanthe et tant d'autres, dans le canton de Rome alors presque désert. Les Goths, les Lombards, les Francs, les Allemands ou Germains, qui envahirent l'Italie tour-à-tour, lui laissèrent au moins son nom.

Les Tyriens, les Africains, les Romains, les Vandales, les Visigoths, les Sarrasins, ont été les maîtres de l'Espagne les uns après les autres; le nom d'Espagne est demeuré. La Germanie a toujours conservé

I

Questions sur l'Encyclopédie, sixième partie, 1771. B.

le sien; elle y a joint seulement celui d'Allemagne qu'elle n'a reçu d'aucun vainqueur.

Les Gaulois sont presque les seuls peuples d'Occident qui aient perdu leur nom. Ce nom était celui de Walch ou Wuelch; les Romains substituaient toujours un G au W qui est barbare; de Welche ils firent Galli, Gallia. On distingua la Gaule celtique, la belgique, l'aquitanique, qui parlaient chacune un jargon dif

férent".

Qui étaient et d'où venaient ces Francs, lesquels, en très petit nombre et en très peu de temps, s'emparèrent de toutes les Gaules, que César n'avait pu entièrement soumettre qu'en dix années? Je viens de lire un auteur qui commence par ces mots : Les Francs dont nous descendons. Hé! mon ami, qui vous dit que vous descendez en droite ligne d'un Franc? Hildvic ou Clodvic, que nous nommons Clovis, n'avait probablement pas plus de vingt mille hommes mal vêtus et mal armés quand il subjugua environ huit ou dix millions de Welches ou Gaulois tenus en servitude par trois ou quatre légions romaines. Nous n'avons pas une seule maison en France qui puisse fournir, je ne dis pas la moindre preuve, mais la moindre vraisemblance qu'elle ait un Franc pour son origine.

Quand des pirates des bords de la mer Baltique vinrent, au nombre de sept ou huit mille tout au plus, se faire donner la Normandie en fief, et la Bretagne en arrière - fief, laissèrent-ils des archives par lesquelles on puisse faire voir qu'ils sont les pères de tous les Normands d'aujourd'hui ?

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